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          Petits moments de reconnaissance (suite)

          

                         La Comtesse, Fifi et moi

     

             Du plus loin que je me souvienne, la Bibliothèque Rose a tenu dans ma vie une place de choix. Mes premières vraies jouissances de lectrice remontent aux romans de la Comtesse de Ségur, ces magnifiques ouvrages à couverture rouge, dorée au fer, que je tenais de ma grand-mère. À l'époque, ils n'étaient pas encore illustrés par Pécoud — dont les dessins très « années trente » furent, par la suite, indéfectiblement liés à l'œuvre de la Comtesse — mais enluminés de gravures vieillottes qui me transportaient. J'ai appris à lire en déchiffrant avidement Les malheurs de Sophie et Les mémoires d'un âne, ce dernier titre restant pour moi, en dépit des critiques dont il a pu être l'objet, l'un des monuments de la littérature jeunesse.

             Puis, un jour, vint Fifi Brindacier, et l'approche, à travers les mésaventures cocasses de la trublionne aux nattes rousses, de l'humour, de la désinvolture, de l'impertinence et de l'insoumission. Je n'oublierai jamais mon émerveillement en découvrant, dans La princesse de Couri-coura, une héroïne fondamentalement différente de toutes celles que j'avais croisées jusqu'alors. Rompant avec la tradition bien établie des personnages-modèles que les livres pour enfants, par souci pédagogique, imposaient à leurs lecteurs, Fifi en remontrait aux adultes, vivait seule en compagnie d'un singe et d'un poney, et possédait une force surhumaine. Bref, elle ne cherchait pas à nous faire la morale mais la transgressait, au contraire. Je crois avoir appris, sous la plume d'Astrid Lindgren, le sens du mot « liberté ».

             Fifi ne m'a plus jamais quittée, depuis. Je lui dois, en grande partie du moins, ma fougue d'écrire, et nombre de mes héros portent son empreinte. Zoé-la-trouille, entre autres, qui m'a ouvert les portes de cette collection mythique…

             Paraître dans la Bibliothèque Rose était pour moi plus qu'un rêve : un fantasme. Prendre la suite des Grands Dames qui lui ont donné son âme, son identité, et ont aidé tant de fillettes à se construire, quel privilège, quel honneur ! L'occasion m'en fut offerte il y a une vingtaine d'années, et depuis, Zoé côtoie, pour mon plus grand bonheur — et, je l'espère, celui des lecteurs d'aujourd'hui —, les Sophie, les Cadichon et les Fifi qui ont ébloui mon enfance.

     

    (Pour plus de détails, voir le chapitre 32 du présent recueil)

     


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                                            Petits moments de reconnaissance

     

           J’aimerais clore ces « Grands moments de solitude », par deux « Petits moments de reconnaissance » envers ceux — auteurs, personnages, éditeurs, lectures — grâce auxquels a pu se construire ma carrière, avec ses instants de bonheur, de honte, de fous-rires, de frustration, d’exaltation, de découragement, dont ce livre donne un aperçu.

             Les deux textes qui suivent évoquent ma collaboration avec les éditions Hachette, à travers ses collections légendaires : La Bibliothèque verte et La Bibliothèque rose.

     

     

           Cher Instit,

     

             Vous l'ignorez sans doute, mais je vous dois beaucoup, et plus encore que cela ! C'était en 1994, si je me souviens bien. Je travaillais alors dans la presse bas-de-gamme où je m'ennuyais à mourir, et, tout en sélectionnant petites annonces et encarts publicitaires, je me disais :

             « Ah, si je pouvais vivre de mes livres… »

             Désir utopique s'il en est ! Certes, j'avais, au cours des sept années précédentes, publié une demi-douzaine d'ouvrages, en mordant sur mes loisirs et mes heures de sommeil, mais de là à en faire mon activité principale ! Ce n'étaient pas, hélas, six titres marchant cahin-caha qui allaient payer le loyer, l'électricité, la bouffe, les notes de téléphone de ma fille et les croquettes du chat.

             Dans mes moments de déprime, j'avais fait un calcul sordide mais réaliste : pour arriver à « nouer les deux bouts », il me fallait sortir au minimum dix livres par an, le montant des à-valoir étant, grosso-modo, l'équivalent d'un mois de salaire. Or, j'étais loin du compte ! Et même si j'avais été capable de les écrire, ces livres, encore eût-il fallu les publier ! Quel(s) éditeur(s) eû(ssen)t pu m'assurer une telle régularité, une telle abondance ?

    « Aucun, hélas… » pensais-je.

    Eh bien, je me trompais. Le miracle jaillit sous forme d'un coup de fil de Laurence D., alors directrice de la Verte et de la Rose. Elle me proposait la novélisation d'un épisode de votre série télévisée, alors en plein essor. Les deux premiers titres, m'expliqua-t-elle (Concerto pour Guillaume et Le mot de passe), avaient été confiés à des auteures-maison qui ne souhaitaient pas récidiver, et elle leur cherchait des remplaçants. Cela me tentait-il ?

             J'ignorais alors en quoi consistait l'adaptation d'un film en livre, mais puisqu'il s'agissait d'écrire, c’était forcément dans mes cordes. D'autant que je vous connaissais pour vous avoir vu deux ou trois fois à la télé, et je me sentais en accord avec ce que vous véhiculiez : générosité, égalité, fraternité, respect de la différence, refus de toute forme d'exclusion, racisme ou discrimination. Je pouvais donc, sans risquer de trahir mon éthique, m'approprier votre personne et mettre mes mots dans votre bouche.

             Laurence me fournit la cassette de l'épisode qu'elle me destinait (Vanessa, la petite dormeuse), ainsi que le scénario d'origine, en me précisant que c'était assez urgent. Mon fils Frédéric, qui travaillait sur les décors du film, me fit découvrir le marais Poitevin où il était tourné, et, gonflée à bloc, je me lançai à corps perdu dans l'aventure.

             Une dizaine de jours plus tard, j’apportai ma première mouture à l’éditrice qui l’accepta sans hésiter. La symbiose entre vous et moi était, assura-t-elle, totale ; nous étions véritablement faits l'un pour l'autre.

    — Seriez-vous prête à prendre la totalité de la série en charge ? hasarda-t-elle. Je vous préviens : il y aura environ sept livres par an.

    Je faillis lui sauter au cou ! Sept Instit, plus, disons, deux ou trois bouquins de mon crû, j'atteignais mon quota !

    Je n'eus pas besoin de répondre : elle lut sur mon visage un oui sans réticence. Ainsi, cher Instit, débutèrent, pour nous deux, trois années d'union, ma foi, fort harmonieuses. Vous me fournissiez le gîte et le couvert, je vous conférais, en échange, forme, épaisseur, existence, humanité. Virent ainsi le jour quelque vingt-cinq ouvrages — nos enfants, en somme — dont ni vous ni moi n'eûmes, je crois, à rougir.

    Aujourd'hui, le parcours commun est terminé depuis bien longtemps. Mais il m'arrive d'y repenser avec émotion, surtout quand de jeunes lecteurs — et ils sont encore très nombreux ! — me parlent de vous, en précisant : « C'est grâce à l'Instit que je me suis mis à lire. » Alors, je sais que, vous et moi, n'avons pas perdu notre temps, puisque nous leur avons ouvert, ensemble, les portes du rêve.

    (Pour plus de détails, voir les chapitres 5253 et 169 du présent recueil)

     

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    Demain, la deuxième partie de ces petits moments de reconnaissance...

     


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                                           Franquin

     

       Quand nous débarquâmes à Bruxelles après notre retour du Liban, papa nous signala :

         — savez-vous que j’ai Franquin parmi mes clients ?

       Bond de joie d’Alex dont la rencontre avec son idole est le plus cher désir.

         — Je l’appelle, annonce papa en sortant son petit calepin.

       Sitôt dit, sitôt fait.

         — Je dois justement me rendre au centre ville, je passe vous voir répond le dessinateur Belge.

       Après une longue discussion avec Alex, Franquin lui confie une lettre pour René Goscinny dans laquelle il demande à ce dernier de le prendre dans l’équipe de Pilote. Le prochain numéro comportera une double planche de Carali intitulée « le pied ».


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                                       Grégoire

     

             Mon vieux relieur avait eu un frère, dans sa jeunesse, lequel, mort à la guerre, se prénommait Grégoire. Chaque fois qu’il l’évoquait, Louis avait les larmes aux yeux. Ce qui me poussa un jour à décider :

             — Si c’est un garçon, nous l’appellerons Grégoire !

             Cette proposition le toucha beaucoup.

             Un que ça toucha moins, en revanche, ce fut mon père, car tout ce qui émanait du « suborneur » lui était parfaitement odieux.

             Arriva le terme de ma grossesse, ce joli mois d’avril 1965. Et, mes parents m’ayant fait accoucher sous un nom d’emprunt dans une clinique secrète, ce fut papa qui déclara son petit-fils aux autorités compétentes. Or, quel que soit le sexe de l’enfant, son prénom était déjà choisi : garçon = Grégoire, pour les raisons susdites, et fille = Frédérique comme l’héroïne de « L’Ourse aux patons verts » de Christian Pineau, paru chez Hachette, dans la collection rouge et or. Mon père eut-il un trou de mémoire involontaire ? Ou une subite poussée d’autoritarisme brouilla-t-elle ses idées ? Mystère. Toujours est-il que, par sa faute, Grégoire devint officiellement Frédéric sur les registres de la maison communale d’Ixelles. Je n’en ressentis nulle amertume, car ce prénom était celui de Chopin, pour lequel j’éprouvais une tendresse toute particulière. Quant à Claude Léveillée, chanteur québécois auquel nous devions la superbe chanson « Frédéric » qui passait en boucle à la radio, j’étais ravie qu’en quelque sorte, il soit, par le biais des ondes, le  parrain virtuel de mon petit bonhomme !

     


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                                      Collocs

     

           Ça m’était déjà arrivé quelques années auparavant.

           Une sensation extravagante, inexplicable. A peine couchée, je les sentais à mes cotés comme s’ils partageaient mon lit, leur poids faisait s’enfoncer mon matelas à certains endroits bien précis. Pire encore : quand ils se blottissaient sous la couette à la manière d’une portée de chats, ils me comprimaient de toute part, tel un stock de gisants empilés dans une crypte abbatiale. Parfois, je les surprenais à rôder de pièce en pièce, vêtus en grognards de Bonaparte ou déguisés en chevaliers médiévaux. Une fois, j’ai même reçu la  visite d’une femme  qui lisait par-dessus mon épaule, appuyée au dossier de mon fauteuil roulant. Quant à ceux qui, furtivement, glissaient le long des murs, j’avais beau les interpeller, ils m’ignoraient avec hauteur.

           — Tiens, les fantômes sont revenus, disais-je à Michel qui s’empressait de les chercher des yeux.

           Ainsi, durant des semaines hantèrent-ils la maison, plus désopilants qu’une horde de géants en goguette. Que voulaient-ils exactement ? Que cherchaient-ils ? Pourquoi cette intrusion dans un univers qui ne les concernait guère ? Pourquoi cohabitâmes-nous, ces esprits et moi-même, dans une maison soi-disant hantée dont ils s’échinaient à pourrir l’ambiance et qu’ils emplissaient nuit et jour de murmures inquiétants – comme de vrais collocs, en somme ?

     


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