•  

                                      Bob et Bobette

     

         C’étaient mes B.D. préférées. Les albums populaires belges par excellence. On les trouvait dans les supermarchés au prix d’un magazine-télé bas de gamme. Ce sont ces lectures qui m’ont donné Très tôt le goût du rêve et de l’aventure. Dès leur parution, on se les disputait férocement, mes frères et moi ; la vaisselle à peine terminée, les deux grands escogriffes se barricadaient dans les chiottes avec leur provision de culture. (Et quand j’emploie le mot « culture » c’est à dessein : l’Histoire et tous ses dérivés : contes, légendes, ritournelles, fabliaux, refrains, romances servaient de terreau à ces récits qui m’enchantaient et ont fait naître en moi une frénésie d’écrire dont je ne me suis jamais départie depuis.)

         Une année, le journal Tintin qui prépubliait chaque semaine quelques épisodes, organisa un concours pour ses jeunes lecteurs. A la question subsidiaire : « Lequel de nos dessinateurs aurais-tu souhaité avoir comme père ? » je répondis : « WillyVandersteen » ce qui déplut fortement à papa.

         - « Tu m’as couvert de ridicule, me reprocha-t-il. Tu n’aurais pas pu mettre Hergé ou Edgar P. Jacobs ? » Eux, au moins, ce sont mes amis ! ».

     


    2 commentaires
  •  

                                  Où le roi va tout seul

     

         Shabazz raffolait des parfums « rares et coûteux », comme il disait. Et moi, j’avais horreur de ça. A tel point qu’après lui avoir fait la bise, je me ruais dans ma baignoire, histoire de ne pas lui gerber sur les pompes. Je n’ai jamais compris pourquoi des hommes à l’odeur plutôt agréable éprouvaient le besoin de s’inonder de ce liquide nauséabond. Par masochisme pur, peut-être ? Pour le simple plaisir d’être un objet de répulsion ? Nulle tentative de séduction dans cette démarche, en tout cas : la seule femelle de mon entourage sensible aux charmes des hormones industrielles était notre chatte Pépette, une bête hystérique et fortement sexuée dont « Habit rouge », « Cavalier seul», « Tabac » ou « Venez, Milord » titillaient à haute dose la libido féline. Résultat : non contente de lécher avec ferveur le col de l’odorant blouson, elle finissait, surexcitée, par mordre cruellement Shabazz dans le cou, ce qu’il n’appréciait guère. Bref, afin d’échapper aux hommages de l’affectueuse bête, il n’avait d’autre choix que de courir se planquer dans les chiottes, ce qui libérait mes narines de l’éprouvante agression. Ah, combien j’appréciais la saine et fraîche odeur des déjections humaines, quand je la comparais à ces odieuses fragrances chimique !


    9 commentaires
  •  

                                             Étonnant voyageur

     

           Dans les salons du livre, à force de croiser des visages connus et inconnus, on finit par tous les confondre. Qu’ils appartiennent à des lecteurs rencontrés les années précédentes (« Vous ne vous souvenez pas de moi ? En 2006, vous m’avez dédicacé votre livre X, Y, Z »), à des collègues auteurs, ou même à des célébrités du cinéma, de la télé ou de la presse, leurs traits, à la longue, s’impriment dans notre mémoire — mais pas toujours avec la bonne identité.

             Ce fut le cas, cette année-là, à Saint-Malo où, dans la navette reliant la gare au site d’Étonnant voyageur, je me retrouvai assise en face de Louis Velle. Son physique m’était si familier (j’avais, en son temps, suivi assidument la série Les Demoiselles d’Avignon dont ma petite famille était friande), que je crus avoir affaire à l’un de mes amis.

             — Oh, tu es venu ! m’écriai-je, en me penchant vers lui. Quel plaisir de te revoir ! On va passer le week-end ensemble, alors ?

             Comme je me levais pour l’embrasser, son léger mouvement de recul me mit la puce à l’oreille, et je regardai sa voisine qui ne me quittait pas des yeux. C’était sa femme, Frédérique Hébrard que je reconnus instantanément. Avec un « gloups » discret, je me rassis et, jusqu’à destination, gardai obstinément le nez collé à la vitre.

     

     


    votre commentaire
  •  

                                          Mon Doudou bien-aimé

     

            S’il est une mode irritante, dans l’univers sordide de la consommation, c’est bien celle des doudous. Autant, je trouve craquant qu’un bambin s’entiche d’un vieux mouchoir, d’une couverture ou d’une peluche usée jusqu’à la corde, autant la commercialisation de ces réceptacles d’amour artificiels me semble suspecte — surtout quand les labels, rivalisant de slogans culpabilisateurs, exacerbent sans scrupule l’hystérie parentale.

             Aussi, lorsqu’une maison d’édition bien connue, profitant de cet engouement pseudo-pédagogique, lança sur le marché un recueil intitulé Mon doudou bien-aimé, composé d’une dizaine de textes-souvenirs d’écrivains jeunesse, eus-je, comme toujours, le réflexe de ruer dans les brancards.

     

             Ma participation à ce livre, la voici ; elle est sincère et rend hommage à ce « doudou » qui fut l’une des plus grandes douceurs de mon enfance.

     

             Quand j’étais petite, je n’avais pas de doudou mais un oncle Doudou. Contrairement à mon père, assez docte et sévère, oncle Doudou était tout tendre, tout mou. C’était un oncle-câlin qui ne grondait jamais, racontait des histoires et savait consoler les gros chagrins chauds. En promenade, quand je traînais la patte, il me prenait sur ses épaules et là, ô merveille ! je pouvais poser ma joue sur son crâne. Le crâne d’oncle Doudou, je ne l’oublierai jamais. Il était chauve, luisant — brillant, même, quand la lumière s’y reflétait —, et si doux, si doux que je finissais immanquablement par m’endormir. Ce crâne-là, c’était mon oreiller-soleil !

             Je n’avais pas de doudou, quand j’étais petite ; qu’en aurais-je fait ? J’avais oncle Doudou, et c’était mille fois mieux !

     


    2 commentaires
  •  

                                         Mère maquerelle

     

             C’était ainsi que mon père me surnommait, depuis que j’avais remonté le moral au grand Philippe, fraîchement largué par ma copine Chantal.    

             Faut dire, cette fille-là, comme ravageuse, elle valait son pesant d’or ! Difficile de compter le nombre de cœurs brisés qu’elle traînait à ses guêtres… Et vu que j’étais sa meilleure amie (d’où mon statut d’intermédiaire privilégiée), je me faisais un devoir de ramasser les morceaux et, éventuellement, de les recoller.

             Normal : j’ai jamais supporté de voir souffrir quelqu’un sans essayer de lui venir en aide. Question de nature !

             À la maison, c’était un défilé constant de désespérés, venus chercher un peu de réconfort sur mon épaule. (Réconfort réciproque d’ailleurs, et pas complètement désintéressé, car ces larmes viriles m’émouvaient plus que de raison, moi que la pruderie maternelle privait des légitimes attraits du flirt et de la drague.)

             Je n’avais pas le droit de recevoir de garçons dans ma chambre, mais la cuisine leur était ouverte, ce qui nous permettait de joindre l’utile à l’agréable, les tartes de maman s’avérant souveraines contre le mal d’amour.

             Je n’oublierai jamais le beau Christian, les coudes sur la toile cirée, ânonnant entre deux déglutitions :

             — Elle est tellement jolie, la petite Chantal, tellement fragile… Si je la perds, je ne m’en remettrai jamais.

             Toute chavirante, je regardais sa pomme d’Adam monter et descendre le long de son cou, et ça me donnait des frissons partout. Ah, que j’aurais aimé qu’il parlât de moi en ces termes!

             Hélas, en ces termes ou pas, personne ne parlait jamais de moi. Enfin, je le croyais… jusqu’au jour où le bruit courut que je piquais les mecs de Chantal. J’en fus la première ahurie, d’autant que je n’avais rien à me reprocher. D’où pouvait bien venir cette rumeur mensongère ?

             Je ne tardai pas à l’apprendre, de la bouche même de ma rivale. Au cours d’une dispute, Christian lui avait lancé à la figure : « Je préférerais encore sortir avec cette pauvre Anne qui en pince pour ma gueule, plutôt qu’avec une peste comme toi ! »

             L’aveu, bien que peu flatteur, mit un terme à notre amitié et m’exposa, durant quelques semaines, à l’hostilité de mes compagnes de classe.

             Quant à Christian, il se consola très vite entre les bras de Martine, et « cette pauvre Anne qui en pinçait pour sa gueule » n’entendit plus jamais parler de lui !

            


    2 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique