•                                                 Irma la douce (suite et fin)

     

             Cependant, à la longue, il fallut quand même avouer la vérité à ma famille. Mon frère Claude s’en chargea, lors d’un de ses trop rares séjours en Belgique. Il commença par prévenir mon père, qui, avec mille précautions, mit maman au courant. Elle pleura beaucoup et, prenant le ciel à témoin, clama avec emphase :

             — J’ai enfanté une fille qui vit dans le péché. Qu’ai-je fait pour mériter une pareille épreuve ?

               Puis, au terme de cette question fondamentale,  elle téléphona à tante Irma, tout en me  lançant, péremptoire :

             — Cette nouvelle va la tuer, et tu auras sa mort sur la conscience !

             Or, non seulement la bonne vieille survécut, mais quand maman lui annonça :

             — Tiens-toi bien, ma pauvre : la petite a un amant.

             Elle répondit d’un ton placide :

             — Et alors ? C’est de son âge. 

             Ce qui me fit penser  qu’au cours des quinze dernières années, la chère créature s’était bien dessalée. Qu’avait-elle donc vécu à l’insu de ses proches qui lui ait ainsi élargi  l’esprit ? Nous ne le saurons sans doute jamais puisqu’elle s’éteignit six mois plus tard en emportant son secret dans la tombe.

     


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  •                                                            Hospitalité

     

             Etant donné les préjugés de mes parents — pour qui le mariage était sacré, indissoluble, et le divorce prohibé  à l’extrême —, je leur cachais soigneusement mes problèmes conjugaux. La distance entre Paris et les Ardennes belges facilitant cette dissimulation, ils ignoraient qu’Alex et moi, après une rupture houleuse, avions refait nos vies chacun de son côté. Aussi, quand ils venaient nous rendre visite (tant que leur état de santé leur permettait encore de voyager), je prétendais que mon mari était en déplacement. Nos enfants, soigneusement briefés, jouaient le jeu, et Sylvain s’éclipsait quelques jours.  Oui mais, pour aller où ? À la rue ? À l’hôtel ? Chez des potes ? C’était là que le bât blessait

            ­— Et pourquoi pas à la maison ? proposa Alex à qui nous faisions part de notre embarras.

                La cohabitation se déroula sans encombres. Désormais, tous les trois ou quatre mois, Sylvain s‘octroya une petite semaine de vacances chez mon ex. Vacances d’autant moins contraignantes qu’ ils étaient tous deux férus de poker et profitaient de l’occasion pour s’adonner à leur hobby jusqu’à pas d’heure.

     

             J’aurais pu ajouter, pour la beauté de l’histoire, qu’ils s’éprirent follement l’un de l’autre, mais ce ne fut pas le cas. En tant qu’auteur, je le déplore ; mais pas en tant que femme. C’eût pourtant été une sacrée solitude, au sens propre comme au figuré !

     

               


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  •                                                   Les nourritures terrestres

     

           Ma  mère, qui avait été, tout au long de sa vie, pétrie d’a-priori, changea, sur ses vieux jours. Rigoureuse —  voire rigoriste —,  adepte forcenée d’une alimentation saine et naturelle, elle se laissa gagner par  les « vices » de l’époque que son esprit défaillant n’était plus à même de contrer. Penons le Coca-cola, par exemple, qu’elle vouait depuis toujours aux gémonies.  

            — Le Coca, c’est le diable, répétait-elle souvent.

            Et d’affirmer que cette boisson chimique, importée des Etats-Unis,  provoquait le cancer et rongeait les boyaux.

             Jusqu’au jour où Olivier, par une sorte de revanche facétieuse, lui proposa de goûter « une tite gorgée, pour voir » .  Ô surprise, elle trouva cela délicieux, se resservit un verre et finit la bouteille.

           Idem pour le cannabis dont je lui fis une tisane « pour l’aider à dormir ».  Le résultat dépassa mes plus folles espérances. Elle qui, d’ordinaire, était insomniaque, passa une si bonne nuit  que je récidivai, le lendemain. L’effet placébo ayant sans doute joué, elle ne cessa, dès lors, de chanter les louanges de « cette plante miraculeuse qu’on devrait prescrire d’office à toutes les vieilles personnes »  et m’en réclama chaque soir.

             De sorte que  je bénis la maladie d’Alzheimer qui, en altérant sa personnalité, lui permit de découvrir, avant de nous quitter, des voluptés insoupçonnées


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  •                                        Le livre que je suis fière de ne pas avoir écrit 

     

             Eviter de parler de ce qu’on ne connaît pas est, à mes yeux, la règle d’or de la littérature jeunesse. Aussi, lorsqu’un de mes éditeurs me commanda un roman sur l’anorexie, m’empressai-je de refuser.

    — Pourquoi ? s’étonna-t-il. Tu abordes souvent les grands problèmes de l’adolescence, non ?  

    Oui, dans la mesure où ils me sont familiers, Mais je n’ai jamais été anorexique, mes enfants non plus, ni personne de mon entourage. Ce que je pourrais écrire là-dessus sonnerait forcément faux, et j’aurais toutes les chances de sortir des conneries.

    — Bah, il suffit de te documenter : la presse et la télé ne parlent que de ça ; c’est le thème à la mode. Et l’édition jeunesse n’est pas en reste : tous nos concurrents l’ont abordé. Leurs bouquin se vendent comme de petits pains ; ce serait idiot de ne pas surfer sur la vague !

    S’il y a bien un truc qui m’insupporte, c’est ce genre d’opportunisme, qui exploite cyniquement une véritable souffrance.

     — Raison de plus ! explosai-je. Les lecteurs intéressés par ce sujet n’ont que l’embarras du choix. Un livre supplémentaire ne leur apporterait rien, surtout écrit sans conviction.

                  Je plantai donc là l’éditeur déçu qui fit appel, pour concrétiser son projet,  à l’une de mes collègues, bien plus calée que moi en la matière. Dans les mois qui suivirent sortit un roman qui, si je me souviens bien, connut un beau succès de librairie avant d’être adapté en téléfilm. L’éditeur  dut se féliciter de mon refus et, tel que je le connais, s’en attribuer le mérite.       

                 Perso, je suis assez fière de ne pas avoir cédé. Même si, une fois encore, j’ai raté le coche.

     


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  •                                   Quand le rap est, quand le rap est là,

                                      La techno s’en, la techno s’en va…

     

             En 1995 parut mon best-seller :  La Bibliothécaire (plus d’un million d’exemplaires vendus, une dizaine de prix, autant de traductions, et l’aval de l’Education Nationale qui l’inclut dans  le programme des collèges). Ce qui ne l’empêcha pas, avant sa parution, de subir les outrages d’une éditrice stagiaire en mal de reconnaissance.

             Cette personne, par ailleurs charmante, trouva judicieux d’apporter à mon texte — sans m’avoir préalablement consultée  — , des modifications qui me valurent un moment de honte mémorable.

     

             Je vous explique. L’un des héros de l’histoire, le jeune rappeur Doudou, avait un langage  bien à lui, à la fois rimé et rythmé, de sorte que le lecteur pouvait danser sur ses paroles ou les chanter, au choix. Ainsi trouvait-on, page 71 :

     

             Dans le ciel, la lune pointe sa tête ;

             Nous v’là près d’la bibliothèque.

             C’est tell’ment grand et tell’ment beau

             Que yo ! j’ai l’cœur qui fait l’gros dos!

     

             Dérangée, sans doute, par cette métaphore qu’elle jugeait  absconse, la stagiaire la remplaça par :

     

             Dans le ciel, la lune pointe sa tête ;

             Nous v’là près d’la bibliothèque.

             C’est tell’ment grand et tell’ment beau

             Que yo ! ne manque plus qu’ la techno.

     

             A la relecture des épreuves, je ne relevai pas cette « correction » noyée parmi tant d’autres. On ne répétera jamais assez à quel point le bras de fer avec son éditeur est usant pour un auteur. (Ayant abordé maintes fois ce sujet dans mes romans et mes articles, je n’y reviendrai pas. Qu’on se souvienne simplement que, dans un manuscrit digne de ce nom, rien n’est laissé au hasard. Chaque mot, chaque virgule, chaque alinéa, est soigneusement pesé et réfléchi. Une fois « remanié » par une main  étrangère, le texte perd son rythme, sa vivacité, sa cohérence, et se retrouve souvent truffé de répétitions, d’erreurs, voire d’invraisemblances.)

             Bref, le livre parut, agrémenté de ce vers que, de guerre lasse, j’avais validé.

              Hélas.      

     

             Dans les mois qui suivirent, je fus invitée par un établissement scolaire à rencontrer des élèves de cinquième, pour leur parler de mon roman et répondre à toutes leurs questions. En principe, je maîtrisais bien ce genre d’intervention. Mais cette fois-là…

             — Eh, m’dame, m’interpella un gamin de but en blanc, pourquoi Doudou il dit : « Ne manque plus qu’la techno » ?

             Prise de court, je bredouillai : 

            — Euh… parce qu’il aime bien ça, je suppose…

    Tollé général.

            — M’enfin m’dame, tout le monde sait que les rappeurs détestent la techno !

             (Euh… ah bon ? moi,  je l’ignorais. La correctrice aussi, apparemment.)

             Devant mon embarras, la classe devint houleuse. Des propos agressifs fusèrent de toute part.

              — On imprime n’importe quoi, alors, dans les bouquins ? lança un élève, visiblement déçu.      

               —  Pourquoi vous écrivez des mensonges ? interrogea un autre.

             A l’évidence, mon manque de rigueur les choquait et ils tenaient à le faire savoir. L’occasion était trop belle d’en remontrer à un adulte, surtout un écrivain (censé, de par son métier, avoir la science infuse). Le ton montait, montait, agrémenté d’insultes et de gros mots. La prof, dépassée, tentait en vain de calmer le chahut.

             — Faites quelque chose, voyons ! finit-elle par me supplier. Expliquez-leur que vous ne vous êtes pas moquée d’eux, et tâchez d’être convaincante ; c’est le seul moyen d’en venir à bout.

              Leur expliquer ? Et quoi, grands dieux ? Que je n’y connaissais rien en musique moderne ? Que le vers litigieux m’avait été imposé par l’éditeur ? Choix cornélien : ou je passais pour une fumiste et je perdais toute crédibilité , ou j’avouais ma faiblesse et j’avais l’air d’une truffe.

             Ayant opté pour la seconde solution, je chargeai la stagiaire au  maximum —  ce qui, vu le tour pendable qu’elle m’avait joué, me fit plutôt plaisir, et captiva mon auditoire.

             Après quoi, je m’enquis, selon mon habitude :

             —Avez-vous encore des questions à poser ?

            Quelques doigts se levèrent ; je désignai l’un d’eux.

             — Oui ?

             — M’dame, si c’est pas vous qui écrivez vos livres, pourquoi vous les signez, alors ?

            

              Voilà qui était frappé au sceau du bon sens !

     

     


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