•  

                             Mémé fait de la résistance

     

    « Et merde, grogne mémé Georgette, en écrasant sa clope sur le seuil du troquet. Ne plus pouvoir fumer devant mon p’tit ballon, ça me mine… »

    Elle s’accoude au bar, commande un verre de rouge.

    « Je ne sers plus que du bio, précise le patron. Et pour la demoiselle, ce sera ?

    — Une grenadine. »

    J’ai droit à un sirop vaguement rosâtre et pas appétissant du tout.

    « Pourquoi elle est pas rouge, ma grenadine ? », je demande.

    Il me regarde comme si j’avais chié une pendule sur son zinc.

    « Le colorant est un poison, lâche-t-il du bout des lèvres.

    — Confidence pour confidence, je préfère le bon vieux Préfontaines à cette piquette, objecte mémé en repoussant son verre à moitié plein. Je vous dois combien ?

    — Cinq euros trente.

    — Oups ! Ça a augmenté ! 

    — La bonne santé se paie, ma p’tite dame. Mon pinard réduit le taux de cholestérol.  »

    Au même moment, à la télé placée au fond de la salle passe un pub pour les yaourts Trouduc, qui facilitent le transit intestinal.

    « Aujourd’hui, tu ne manges plus, tu te soignes, ricane amèrement mémé Georgette. Faudra bientôt une ordonnance pour boire un coup, et  les restos ressembleront à des pharmacies— d’ailleurs leurs cuisines s’appellent déjà “laboratoires”… . Le pire, c’est que tout le monde applaudit ! Et si t’es pas d’accord, y a toujours quelqu’un pour te faire la morale : le sucre, c’est mauvais pour la tension, le gras bouche les artères, fumer donne le cancer, etc…Et le plaisir, dans tout ça, on en fait quoi ? On s’asseoit dessus ? »

    Les consommateurs l’écoutent, bouche bée, comme à un meeting.

    « La secte des bien-mangeants est en passe de devenir la religion officielle, beugle-t-elle. Ne nous laissons pas embrigader dans leur trip castrateur ! Résistons, foutredieu ! Jouissons de nos papilles avant que la dictature de l’hygiène ait notre peau ! »

    Eh bien, vous savez quoi ? Personne n’a applaudi. Triste époque… 

     


    votre commentaire
  •  

                                 DROITS DE L’HOMME... POIL AU STERNUM

     

             — Ce n’est pas trop tôt ! s’écrie mémé Georgette.

             — Trop tôt pour quoi, mémé ?

             — Pour dénoncer les bavures de la police française.

             — ?...

             — Dans un rapport accablant, Amnesty international accuse la force publique de violer constamment les droits de l’homme. La plupart des témoignages émanent de ressortissants étrangers, victimes d’arrestations arbitraires, d’injures xénophobes, d’humiliations à caractère sexuel, de passages à tabac, voire d’homicides...

             — Tu veux dire que les flics sont racistes ?

             — En majorité, oui.

             — Mais... le racisme est un délit !

             — Tout dépend par qui il est pratiqué. Le rapport de l’ONG précise que « cette tendancea déjà été constatée avec préoccupation par les organes de défense des droits humains des Nations unies et par la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS)». Ce qui laisse «craindre l'existence d'un racisme institutionnalisé au sein des organes chargés de l'application des lois en France ».

             — Ah bravo ! Ça sert à quoi, alors, les cours d’éducation civique ?

             — On se le demande... Et ce n’est pas tout : si les victimes ou les témoins des faits protestent, ils sont poursuivis pour outrage à agents !

             — En gros, les keufs font ce qu’ils veulent, et nous, on la ferme !

             — Oh, de temps en temps, la Justice s’en mêle... En 2006, sur 639 cas de violences avérées, 130 condamnations ont été prononcées.

             — Et les 500 restants ?

             — Ils sont tombés aux oubliettes. C’est d’ailleurs cette impunité qui inquiète le plus les ONG. Amnesty International réclame la création d’une commission indépendante, chargée des plaintes contre la police.

             — Et alors ?

             — Le ministère de l’Intérieur et les syndicats de police sont contre. Notre doulce France tient à ses outils de répression comme à la prunelle de ses yeux ! Et ceux à qui ça ne plaît pas n’ont qu’à rester chez eux, qu’on se le dise !

             


    votre commentaire
  •  

                      Mémé Georgette aime les olives

     

             « Tu fais quoi, Mémé, pendant tes vacances ?

    — Bouclier humain. »

    C’est pas une blague. Mémé Georgette, qui vit dans l’Isère, à Rivoiranche plus précisément, va partir en Palestine, dans un village dont j’ai oublié le nom, pour la récolte des olives.

    Quel rapport avec le fameux bouclier, me direz-vous ? Eh bien voilà : entre les paysans palestiniens et leurs champs d’oliviers, Israël a dressé un mur. LE fameux mur de la honte. Bien sûr, il y a quelques petites portes qui permettent de le franchir, mais elles sont gardées par des militaires. Or, ces militaires se font chier grave, dans ce trou perdu. Alors, la tentation est grande, histoire de rigoler, d’abîmer un peu ceux d’en face quand ils viennent du mauvais côté. D’autant qu’ils sont arrogants, ces bouseux ! Des « naan din bébek » et des « kiss ommak », ils leur en envoient plein la tronche, aux pauvres bidasses ! Des fois, même, les gamins leur lancent des cailloux !

    Résultat : les olives pourrissent sur les arbres pendant que les paysans soignent leurs blessés.

    « Ça ne peut plus durer ! » a décrété mémé Georgette qui adore les olives et déteste la brutalité. Et, avec son club du troisième âge, ils ont décidé de se rendre sur place pour mettre de l’ordre dans tout ce bordel. Rien que des vieux ou presque, bardés d’appareils photos, de caméras, de téléphones portables. Du coup, les militaires se tiennent à carreau. Pas envie de passer pour des barbares aux yeux du monde entier, merde ! Et les paysans ferment leur gueule. Pas envie de passer pour des pignoufs aux yeux du monde entier, remerde ! Sous le regard bienveillant des papis et des mamies, ils cueillent leurs olives puis rentrent tranquillement chez eux, fabriquer de l’huile et des saumures dans la joie et la bonne humeur. Elle est pas belle, la vie ?

    Moi, ma mémé, je l’aime.

    Quand je serai grande, je veux être vieille. Et quand je serai vieille, je veux être elle.

    Mais p’t’être que d’ici là, il n’y aura plus ni mur ni militaires, et que les olives made in Palestine se vendront dans les supermarchés… On peut rêver, non ?


    votre commentaire
  •                          

                                       FASHION VICTIMES

     

             « T’as remarqué ? Tout le monde porte des keffiehs comme écharpes, cette année », dit le grand Lulu.

             Si j’ai remarqué ? Je m’en suis acheté un, pas plus tard qu’avant-hier !

             «  Faut bien être à la mode, je réponds.

    — Une mode pas trop con, pour une fois. Arborer ce foulard, c’est, quelque part, une marque de solidarité.

    — Solidarité, mon cul ! “Arborer ce foulard”, comme tu dis, c’est juste tendance, point barre !

    — Tttt, faut pas minimiser la valeur des symboles, même involontaires. Moi, ça me fait chaud au cœur de croiser des pro-palestiniens à chaque coin de rue. Surtout quand je repense aux treillis militaires de l’année dernière, qui déguisaient la moitié de la population en rambos ou en chasseurs ! Même les gens sympas ressemblaient à des fachos. C’était pathétique !

    — Tandis que cette année, même les fachos ressemblent à des gens sympas… »

    Lulu hoche songeusement la tête :

    «  Bien vu ! Comme quoi, il suffit de pas grand chose pour inverser la vapeur. Quand l’uniforme de la police a changé, au milieu des années 80, les mentalités ont suivi. Les flics ne se sentaient plus pisser. Avec leur nouvelle dégaine, ils sortaient tout droit d’une série télé américaine et agissaient en conséquence. Y a jamais eu autant de bavures. Mais remplace-moi leur attirail de fafs par une tenue à la Jean-Paul Gaultier, avec petit polo marin et pompon rouge, et tu verras leur arrogance se faire la malle ! Peut-être même qu’ils deviendront polis…»

    Bonjour le tableau ! J’éclate de rire :

    «  Un nez rouge et un chapeau de clown, ce serait encore mieux !

    — Non, ça, ce sont les attributs du Président de la République, rétorque gravement Lulu. Ils indiquent sa fonction, comme la couronne et le sceptre indiquaient celle des rois. »

    On sent qu’il en a gros sur la patate, pauvre grand ! Forcément : en tant qu’éducateur spécialisé, il est censé prôner les valeurs sacrées de la République !

    « Et là, c’est moi qui ai l’air d’un clown… » conclut-il amèrement. 

     

     


    votre commentaire
  •  

                                    Mémé, j’ai peur de l’ogresse !

     

    « La campagne présidentielle des Etats-Unis ressemble à un jeu vidéo, déclare mémé Georgette. On y retrouve tous les stéréotypes du genre : le preux chevalier issu d’un horizon lointain, la bonne fée, le vieux magicien roublard, l’ogresse… Ils briguent le pouvoir de la plus grande nation du monde, celle qui peut détruire l’univers ou, au contraire, lui apporter la paix. Je schématise, bien sûr, mais bon, quelque part, c’est un peu ça… »

    .J’ouvre grandes mes oreilles. La politique me fait chier, en temps normal. Mais racontée par ma mémé… 

    « La première manche se jouait entre la fée et le chevalier noir, continue-t-elle. Le chevalier a gagné. Il lui restait à affronter le magicien qui, de l’avis général, ne faisait pas le poids. Le problème, c’est qu’il était magicien, justement. Alors, abracadabra ! il a fait surgir une ogresse du néant. Et quelle ogresse ! Un fléau ravageur, super-sexy et redoutablement puissant.

    —  On dirait une légende !

    — Bien vu ! Je pense que les Américains le vivent comme tel. Le reste de la planète aussi, d’ailleurs. Ce n’est pas une élection, c’est un mythe fondateur !

    —  Tu veux dire le combat entre le Bien et le Mal ?

    — Cette fois, c’est toi qui schématises : le Bien et le Mal n’existent pas, ce ne sont que des préjugés culturels.

    —  M’en fous, j’ai peur de l’ogresse !

    — Logique, elle défend des valeurs mortifères : la guerre, la pollution, la chasse, le port d’armes, la peine de mort. Nous, dans l’ensemble, on aime la vie. Remarque, elle aussi, à sa manière, puisqu’elle condamne l’avortement, la contraception, l’homosexualité et l’éducation sexuelle, qui donnent aux gens le moyen de baiser sans procréer.

    — Ce n’est pas la vie qui l’intéresse, c’est d’avoir encore plus de victimes à bouffer !

    — Sans doute, mais ça, personne ne le sait. Et comme les arguments simpliste ont un fort pouvoir convaincants, les siens risquent de remporter tous les suffrages… »

    Je frissonne.

    « Mémé, tu crois que l’ogresse peut gagner la bataille ?

    —J’espère que non, je déteste les contes qui se terminent par : “Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants” !

     

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique