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                                          JE SOUHAITERAIS PAS ÇA À MON PIRE ENNEMI

     

             La fin des six semaines de radiothérapie nous offrit quelques jours de liberté chimérique. Nous en profitâmes pour nous baguenauder sur les routes de  France. Le temps était encore beau, les aires de repos remplies d’autocars vous avaient un p’tit air « vacances du troisième âge » tout à fait réjouissant. J’étais ravie de ces escapades à deux dont j’avais tant rêvé dans mes nuits solitaires, d’autant que le but du jeu était d’aller saluer les copains de Castor perdus dans leur campagne. Mais, une fois sur place, je déchantai vite. J’avais, en vérité, trop présumé de mes forces. C’en était terminé des folles soirées à boire, à fumer, à écouter de la musique en refaisant le monde de fond en comble. Sitôt le dîner avalé, j’étais en proie à une telle fatigue qu’il m’était impossible de garder les yeux ouverts. Lors, abandonnant Castor aux bons soins de nos hôtes, j’allais me pieuter, le cœur en débandade.

             « Je ne suis vraiment plus bonne à rien, me répétais-je en boucle. Même à faire la fête. Quelle désolation ! »

             Et me revenait comme un leitmotiv ce constat plein d’amertume :

             — Quel sale tour j’ai joué à mon pauvre Castor !

            

    Imaginez un peu : deux êtres se rencontrent après toute une vie chacun de leur côté. Ils se plaisent, se désirent, font des projets d’avenir. Ils sont libres tous deux, ont les mêmes centres d’intérêt, partagent les mêmes émerveillements, les mêmes colères ; bercent des rêves identiques. Leurs goûts concordent, leurs opinions également ; leurs attentes sont du même ordre, leurs cicatrices placées aux mêmes endroits, et, pour corser le tout, ils sont encore capables de tomber amoureux  comme larrons en foire.

    Jusque là,  je dis bravo : ça s’appelle un coup de maître. Mais… il y a un mais. En pleine idylle, la dame chope un cancer. Voilà notre Juliette sans un poil sur le râble, vomissant tripes et boyaux. « Glamour à mort », comme disait l’autre.  Roméo,  dévolu au rôle de garde-malade, change les draps, vide les bassins, éponge le carrelage, fait tourner la machine à laver. Avec le souvenir — pas si lointain, pourtant, mais déjà obsolète — de nuits éblouissantes (car, en toute modestie,  Juliette avait de beaux restes et savait s’en servir).

             Soyons clair : question vacherie, c’est digne du Livre des Records. Et un exploit pareil, je ne le souhaiterais pas à mon pire ennemi.

             Voilà ce que je rabâchais, ma nuque dégarnie calée dans l’oreiller, en écoutant les rumeurs du salon  —Vangélis en sourdine, chuchotements, murmures, éclats de voix, gloussements feutrés — comme lorsqu’enfant,  je guettais dans le noir la présence de mes parents regardant la télé derrière la paroi. Et, comme alors, une sale envie de pleurer me comprimait la glotte. Un sentiment d’exil parfaitement détestable. Les revenants, j’en suis sûre, doivent éprouver cela. Ce besoin fou, inexprimable  ­ — et insatiable — de s’intégrer aux humains.  De faire partie du groupe. D’échapper au silence transi du tombeau pour s’insinuer dans la chaleur, la lumière, le bruit, les rires qui sont l’essence même de la vie, et dont ils ont été si brutalement exclus. Sans ça, pourquoi reviendraient-ils ?

     

     


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                                                         IMPÉNÉTRABLES JARDINS

     

                              

     

             J’ai un peu l’impression, en rédigeant ces lignes, de n’y parler que de moi, au détriment de mon entourage. De passer sous silence les transes de tous ceux qui, sans démériter, m’ont soutenue, portée à travers la tempête. Qu’ils n’en prennent pas ombrage, surtout. Mais si je n’aborde ici que mon propre point de vue, c’est parce que c’est le seul que j’appréhende vraiment. Ce que ressentent les autres, fussent-ils la chair de votre chair, est et restera toujours un mystère. Et si parfois, à la faveur d’un instant d’abandon, le rideau semble s’écarter, il ne révèle jamais qu’une infime parcelle de leur jardin secret.  Pourquoi, dès lors, tenter d’y faire une incursion, même littéraire ? Et de quel droit ?  Autant se cantonner au nôtre, de jardin. Là où rien de ce qui pousse, germe ou s’épanouit ne nous est étranger…


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  •                                                                MÉMÉ GEORGETTE FOR EVER

     

             Je vous dois la vérité. En fait, ce n’est pas moi qui ai séduit Castor,  mais c’est mémé Georgette. Ce personnage de vieille râleuse, créé spécialement  pour Siné Hebdo, anima, de 2009 à 2010, ma rubrique : « Vos gueules, les mômes ! », avant d’être repris dans la revue Psikopat sous le titre : « Les Pochtronnes ». 

     

             Un petit exemple au hasard ?

     

     

                                                                MORT AUX VACHES !

     

             —  Ils sont parmi nous,  déclare Mémé Georgette d’un ton lugubre. Et rien ne pourra les arrêter. 

             —  Toi, t’as regardé un épisode de ce vieux feuilleton... comment il s’appelait, déjà ? Ah oui, « Les Envahisseurs ».

             — Pas du tout : je suis allée boire de l’eau chaude chez ma copine Muriel.

             —  De l’eau chaude ?

             — Ouais. Elle, elle appelle ça du thé blanc, mais comme ça a la couleur de l’eau, l’odeur de l’eau et le goût de l’eau, c’est forcément de l’eau, non ?

             — Quel rapport avec les envahisseurs ?

             —  Aucun. Je parlais juste de la nouvelle religion intégriste qui consiste, comme toute religion digne de ce nom, à déterminer ce qui est bien ou mal et à convertir les infidèles — sur internet, entre autres — en les culpabilisant au maximum.

             —  De quoi tu parles ? De l’Islam ?

             —  Meunon, gourdasse, de la Diététique, également dénommée « bien-manger » (par opposition à la diabolique « malbouffe »), et dont saint Quinoa est le Prophète.

             —  ?

             — Dans cette religion, le démon, c’est les vaches. «  Tu bois du lait ? s’est effarée Muriel quand je lui en ai demandé « un nuage » pour mon eau . Mais t’es foooolle ! Ça donne le cancer. Tu manges du beurre ? De la crème fraîche ? Du yaourt ? Dépêche-toi de faire ton testament, tu n’en as plus pour très longtemps à vivre... Tu ne sais donc pas que les produits laitiers sont un poison pour l’organisme ? C’est prouvé sci-en-ti-fi-que-ment. »

             —  Tu caricatures, là, Mémé ?

             —  À peine. Moi qui ai été élevée dans le catholicisme le plus ostracique, je retrouve les mêmes mécanismes : tu seras puni par où tu as péché. Manger doit être un acte de survie, non un plaisir. Le plaisir, c’est le mal. Si tu consommes autre chose que des céréales complètes ou des graines germées vendues en biocop, tu t’exposes au châtiment divin.

             — N’importe quoi !

             —  Et ce n’est pas tout : l’un de ces prêcheurs alimentaires vient de découvrir une recette à base d’argile verte et de plantes, pour se prémunir contre les radiations.

             —  Wouah ! Le coup de pub génial !

             —  Comme tu dis. Vu que la base de la Foi, c’est la peur de la mort, les adeptes vont pulluler. En fait, l’autre, là, le Peyrefitte, se plantait allègrement  quand il prophétisait : « Le vingt-et-unième siècle sera mystique ou ne sera pas ».

    Pourquoi ?

                 — Ben c’est « Le vingt-et-unième siècle sera sain ou ne sera pas », qu’il aurait dû dire.

    — Hé, ho, Mémé, tu nous les brises avec tes conneries.  Patron, remets-nous ça ! Pour faire taire la Georgette, rien de tel qu’un bon goulot.

    — Nan, le pinard, c’est trop soft. Sers-moi plutôt du lait, la boisson des rebelles...

     

             Ah, si on m’avait dit, quand je vitupérais contre l’actualité entre les pages de ces sympathiques journaux, qu’un lecteur, charmé par mes éructations,  me prendrait sous son aile, quelques années plus tard… 

              « Nos actes nous suivent », me répétait ma mère, à chaque fois que je commettais une bévue. « Nos écrits également », aurais-je pu ajouter —, et ce, non sans fierté puisque je leur devais ma survie actuelle.

     

             Castor, quant à lui, semblait prendre plaisir à traquer la mémé Georgette qui, tel Mister Hyde, se réveillait souvent en moi. Comme il ne quittait jamais son appareil photo,  à peine me renfrognais-je qu’il me tirait le portrait, avec, je le soupçonne, un voyeurisme perfide de paparazzi en rut. De sorte qu’il entassa dans son ordinateur un nombre impressionnant de clichés maussades qui passeront sans doute à la postérité. « La harpie du Tarn » me surnommera-t-on à voix basse (comme on parle de Grand-mère Kal  à l’île de La Réunion ou de la fée Carabosse dans les contes pour enfants.)

             Ainsi naissent les légendes…

     

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                                                                       LA FÉE LUNA

     

             Il n’y a pas que des anges, dans ce conte-là. Il y a des fées, aussi. Enfin, UNE. Une fée aux yeux verts qui y joue un rôle de tout premier ordre.

             Elle apparut un beau matin sur mon écran, sous forme d’une nouvelle (signée d’un pseudo masculin) qui me laissa pantoise. Un pastiche de Perrault, grinçant, cynique et drolatique que je relus trois fois avant de m’écrier : « Putain, mais c’est génial ! »

             Croix de bois croix de fer, le type qui avait pondu ça, je lui tirais mon chapeau.

             Or, ce type n’en était pas un. C’était une jeune femme, mais ça, je ne l’appris que bien plus tard. Castor qui, du vivant de Sylvain, m’avait transmis cette friandise littéraire, laissa planer le mystère. Il nous fallut devenir intimes pour qu’il m’avoue, le rouge au front, que l’auteur de la pépite, présenté comme « un vieux copain », était en réalité sa propre fille.

             Je réclamai aussitôt à lire l’œuvre de la dame ; un recueil me fut offert. Il était de la même veine que l’échantillon susdit.

    — Et ce n’est pas tout, ajouta Castor qui, une fois le morceau lâché, n’avait plus aucune raison de se taire. Si nous nous sommes rencontrés, c’est grâce à elle.

             Et de m’expliquer qu’ayant lu mes livres depuis son plus jeune âge, elle les lui avait fait découvrir ainsi que mes site, blog et autres réseaux sociaux sur lesquels il s’était empressé de surfer.

             Ainsi la fée Luna devint-elle l’artisane d’une romance qui, d’une part, valut à cet été si mal commencé le qualificatif de « bel », et de l’autre donna naissance à un livre que je lui dédie de tout cœur. 

             Comme quoi un beau brin de plume vaut une baguette magique !

     

     

              

     


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  •                                 ET POURQUOI PAS L’AMOUR AVEC UNE MAJUSCULE ?                     

     

             En 1965 (ou 70, par là) , j’avais lu une nouvelle dont le souvenir ne m’a jamais quittée.  En résumé : suite à un accident de voiture, un enfant est hospitalisé dans un état critique. Il en réchappe, grandit, fait des études, rencontre l’âme sœur et se marie. Comblé par sa réussite professionnelle tout autant que par sa vie de famille,  il vieillit dans l’aisance, entouré de l’affection des siens, et meurt à un âge avancé. C’est là qu’on se rend compte que tout n’était qu’un rêve. En fait, il n’a pas survécu à l’accident, et cette illusion d’existence est l’œuvre  d’une drogue, injectée à l’ultime seconde.

             Elsa avait peut-être raison, après tout. Qui, mieux qu’un écrivain pouvait édulcorer les lieux-communs sordides de la réalité ?

             Fallait que j’invente un truc ultra-fantasmatique pour donner à ce livre un p’tit air guilleret.

             Que j’offre à mon héroïne la cerise sur le gâteau.

             La richesse, genre. Hu, hu.

             La jeunesse.

             La beauté.

             La santé.

             Des cheveux. 

             Et pourquoi pas l’amour avec une majuscule ?

             L’Amour, oui.

             Mais pour ça — dieu ou le diable soit loué —  pas besoin de me creuser les méninges. Suffisait de regarder, d’écouter, de sentir. De savourer chaque instant comme on savoure un fruit, avec gratitude et jubilation.

             Puis, bien tranquillement, de me remettre à croire aux anges de mon enfance…

            


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