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                                     PETITS ARRANGEMENTS AVEC LES MORTS

     

     

             Il m’arrivait aussi de parler à Sylvain :

             — C’est toi qui me l’as envoyé, n’est-ce pas ? Mais où tu l’as dégoté, celui-là ? Dans quel Au-delà, quel paradis ? Sur quelle planète ? Il est pas humain, je te jure. Même quand j’étais jeune et belle, personne aurait fait ça pour moi. Alors, tu penses, maintenant que je suis vieille et chauve…

     

             Vieille, chauve, et qui plus était,  totalement paumée. Car non seulement mon univers avait perdu toute logique, mais j’étais convaincue que je ne pourrais plus jamais écrire. Faut dire, mes tentatives  dans ce domaine s’étaient soldées par de cuisants échecs, si bien que j’avais renoncé à utiliser mon ordinateur, dont je ne maîtrisais plus les paramètres (la connexion internet de l’hôpital avait engendré des conflits que, même en temps normal, j’aurais été incapable de gérer). Et malgré les efforts de Castor pour recréer des interfaces à ma portée, j’étais aussi perdue devant mon écran que trente ans plus tôt, lors de mes premiers balbutiements informatiques. A tel point que je décidai — chose que je n’avais pas faite depuis des siècles — de me remettre au cahier-stylo. Ainsi gribouillai-je une vingtaine de pages illisibles où, à force de brasser mes terreurs,  je répétais en boucle les mêmes clichés bidons.

             L’infâme brouet finit à la poubelle, et, histoire de prendre un peu de recul, je tentai d’élaborer une nouvelle sarcastique, intitulée « Mauvais scénar ». Car, à la réflexion, ce qui me frappait le plus, dans cette affaire, c’était le manque de talent du (ou des) scénariste(s). Jamais j’aurais osé écrire une daube pareille, moi ! Il n’y avait que les scènes d’amour qui tenaient la route, mais bon, c’est le B A BA  du métier, ça…

     

                                                 


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                                                                        VISION CÉLESTE

     

             A dater de ce jour, une image m’obséda. Celle de deux compagnons marchant main dans la main vers un horizon sans limite. L’un ailé, bien sûr, et moi, reconnaissable à ma tignasse bouclée.  Par la suite, dans chaque  homme que j’ai aimé, j’ai perçu l’ange tapi. Sauf que cette fois, je n’étais pas la seule…

     

             Allez, je me permets une petite digression ; une distorsion du temps. Ce fut mon amie Elsa qui, peu après notre retour au village, me mit la puce à l’oreille.

             — Gaffe, Michel, on voit tes ailes ! lança-t-elle en riant à Castor  (dont le nom officiel est celui d’un archange ; bonjour la coïncidence ! )       

             Je me retournai et j’eus un choc. Le soleil qui auréolait ses cheveux d’argent et nimbait de lumière sa mince silhouette lui conférait un indéniable aspect céleste. Me revinrent en vrac mes émotions de fillette, et je me sentis rougir. C’est à cet instant, je crois, que, moi, l’athée virulente, je pardonnai à ma mère l’embrigadement extrême dont j’avais fait l’objet. Juste pour cette vision, ce coup au cœur ébloui…

     

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  •                                        COMMENT LA DÉVOTION VIENT AUX FILLES

     

             J’ai longtemps craint qu’en raison de notre lien de parenté, Cousin Jean m’ait été attribué d’office comme ange gardien. D’autant que maman en rajoutait une louche :

             — Il est assis à la droite du Seigneur, répétait-elle : c’est la place des saints Innocents. De Là-Haut, je suis sûre qu’il veille sur sa famille. Prie-le le plus souvent possible afin qu’il te protège des tentations et garde ton âme bien pure.

             Houlà ! Moi qui rêvais d’un beau protecteur androgyne (et adulte) comme sur les chromos de l’école maternelle…

             Ainsi bousille-t-on, sans y prendre garde, une sensualité  en  plein éveil.

             Dieu ! Que j’ai prié  avec ferveur, à cette époque !

             — Mon Dieu, je vous en supplie, donnez-moi un autre ange gardien que Cousin Jean, il est vraiment trop moche (j’avais vu sa photo).

             Le divin Entremetteur dut m’exaucer car, vers trois ou quatre ans, l’ange à grosse tête dodelinante déserta mes pensées, remplacé par une sorte de Peter Pan disneyen dont je tombai illico raide-dingue. Dès lors, je n’eus de cesse d’en remercier le Ciel, ce qui me valut une réputation d’enfant pieuse dont mes parents, légitimement,  s’enorgueillirent.

     


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                                                               DU CÔTÉ DES CHÉRUBINS

     

             Cousin Jean, âgé de trois semaines, était « monté au ciel » la veille de ma naissance. De sorte que le télégramme de félicitations envoyé à ma mère par son frère et sa belle-sœur fut libellé comme suit : «  Petit ange Jean nous a quittés hier stop bienvenue à petit ange Anne »

             La similitude de dates qui faisait de moi, en quelque sorte, la remplaçante du disparu, me troubla longtemps. Et comme j’étais curieuse, je n’eus de cesse de découvrir les causes de ce décès qui me touchait de si près. Mais mes questions se heurtèrent aux fantasmagories et aux superstitions de mon entourage. Selon certaines sources, le nourrisson devait sa mort prématurée à la maladresse d’une bonniche indigène qui l’aurait fait tomber de la table à langer. Détail horrible : la chute, en déplaçant une vertèbre cervicale, aurait bouché le canal rachidien, provoquant une hydrocéphalie dont la description me transissait d’effroi. De sorte que non content d’être un ange à grosse tête, Jean était également un monstre à petites ailes, ce qui, tout bien pesé, ne valait guère mieux.

     

             Une autre version incriminait la quinine dont mon oncle et ma tante, qui vivaient dans les colonies, faisaient un usage intensif. Selon Le Dictionnaire médical du ménage moderne que je m’empressai de consulter, cette saine habitude, censée préserver les organismes européens de maladies telles que la malaria, la fièvre jaune et le béribéri, était à l’origine de nombreuses malformations congénitales.

     

             Il y avait également l’option « sorcellerie ». digne des meilleurs passages de Tintin au Congo.  Celle-là n’était abordée qu’à l’issue d’un repas bien arrosé et généralement à voix basse. Les mots « envoûtement », « magie », « malédiction », « maléfices » couraient de bouche en bouche telles des obscénités, et l’on hésitait à les prononcer tant ils étaient chargés de paganisme barbare.

     

     


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                                                    SU’L’TROTTOIR, J’AI RENCONTRÉ

                                                    UN ANGE DESCENDU DES CIEUX

                                                    SU’L ‘TROTTOIR, J’AI RENCONTRÉ

                                                     UN BEL ANGE AUX YEUX BLEUS

     

                                                                         Boby Lapointe (L’Ange)

     

             Le soir même, nous réintégrâmes notre chambre, Castor et moi. Bien que sa présence fût le meilleur des antidotes,  l’effarante impression de décalage persistait. Je regardais cet homme tendre, empressé, toujours calme, toujours souriant, qui avait mis sa vie en stand by par amour, et je me disais : «  Ce n’est pas possible. Des êtres aussi parfaits ne peuvent pas exister. Il fait forcément partie du jeu de dupes. Ou alors, c’est un de mes personnages, conçu sur mesure pour les besoins de l’intrigue. »

             — Tu es sûr que tu es vrai ?  lui demandais-je parfois — ce qui le faisait rire.

             Il m’assurait que oui, confirmait d’un baiser.

             «  Et si c’était mon ange gardien,  matérialisé pour l’occasion ? »,  me disais-je encore.

             Ça a toujours été mon trip à moi, les anges. Une espèce de conditionnement maternel — ma mère était folle de religion —, très tôt dévoyé par ma « mauvaise nature », comme elle disait. En fait, du plus loin que je me souvienne, j’ai fréquenté ces créatures astrales, d’une beauté immatérielle et aérienne. Jusqu’à penser (ô sacrilège !) que le nid velouté placé entre mes jambes leur était destiné en exclusivité.

             La faute en incombait sans doute à Cousin Jean…

     

     


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