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                                                                       MISÈRE !

     

                      Rachel se planta dans ses horaires.

                      Et nous ratâmes l’avion.

                      Nouveaux billets payés au prix fort, nouvel itinéraire ;  plusieurs  heures d’attente à Charles de Gaulle. Impossible d’atteindre les organisateurs pour les avertir que 1)  nous allions louper la navette nous emmenant de Strasbourg à Épinal, 2) j’arriverais en retard pour les deux tables rondes auxquelles j’étais conviée, prévues en fin de matinée et en début d’après-midi.

                      La merde, quoi.

                      J’appelai Castor sur son portable, histoire de le tenir au courant de mes déboires,  et tombai sur sa boîte vocale

                      La double merde.

                      Et pour couronner le tout, mon tube de dentifrice me fut confisqué à l’embarquement, comme s’il s’était agi d’une kalachnikov.

                      La triple merde de merde.

                      Cette accumulation de petits désagréments qui, en temps ordinaire, ne m’aurait pas affectée outre mesure, me provoqua un tel stress que Rachel s’en alarma. Elle ne m’avait jamais vue dans cet état. Afin de la tranquilliser, j’imputai mon pétage de câble à une conscience professionnelle exacerbée (« J’ai horreur de ne pas tenir mes engagements, tu comprends ? ») mais en réalité, ce qui me perturbait, c’était de faire faux bond à Castor.

     


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                                                                                ÉPINAL

     

     

                      Les Imaginales d’Epinal — ce festival du livre fantastique où j’avais décidé de me rendre, après plusieurs années d’absence  — avaient lieu fin mai. 

                      — Tu viendras m’y retrouver ? demandai-je à Castor, mine de rien.

                      Il acquiesça. Avec un bémol, cependant :

                      — Je n’ai pas réservé de chambre d’hôtel, et tout doit être plein des mois à l’avance…

                      Alors moi, sans me démonter :

                      — Bah, pas grave, on te trouvera une chtite place dans la mienne, de chambre.

                      La cause étant entendue, il n’en fut plus question. Sauf dans ma tête, bien sûr. Plus le temps passait plus j’éprouvais l’effroi mâtiné d’allégresse de la petite fiancée à la veille de ses noces. (Le premier qui rigole est prié de sortir.)

                      Vint le fameux jour j. J’avais soigneusement choisi mes fringues, emprunté un blouson à Barbara, l’aînée de mes petites-filles, et pas fermé l’œil de la nuit. Une amie écrivaine — appelons-la Rachel — qui habitait la ville voisine, devait venir me chercher en voiture  pour m’amener à l’aéroport, car je n’ai jamais été fichue de passer le permis.

     

                      C’est là que tout commença à déconner.

     


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                               LA VIEILLE DAME INDIGNE

     

                      Eh oui, aussi dérangeant que cela puisse paraître, trois mois seulement après le décès de Sylvain, cet aperçu de la vie à deux, même tronquée de son aspect charnel, m’avait séduite.  La complicité, les éclats de rire, les escapades dans les bois, les vidéos au coin du feu…  Les morceaux de guitare ponctuant les soirées-papotages (Castor pratiquait le ragtime à haute dose)… Bref, tous ces petits riens qui font le charme de l’existence — et dont j’avais oublié la saveur — me manquaient, tout à coup. De sorte que, bien malgré moi, je me surprenais à re-croire au bonheur. A mon âge ? Et après les épreuves que je venais de traverser ? Les êtres humains sont, décidément,  d’incorrigibles rêveurs.  J’avais beau me raisonner, me répéter : « Arrête ton char, ma fille, les vieilles dames indignes, y a rien de plus pathétique »,  ça me démangeait grave.

                      Skype — béni soit-il — n’était pas étranger à cette bienfaisante exaltation.  Car nous avions repris nos petites soirées communes. Soirées au terme desquelles je finissais souvent par m’endormir, sur du Marcel Dadi joué rien que pour moi, à six cents bornes de distance…

     

     

     

                                                        

     


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                                              MONSIEUR VACANCES

     

                      Nulle entorse à ce rituel frustrant, hormis cette fin de soirée frisquette où, tels des préados, nous nous étions glissés sous une couverture pour regarder un film d’horreur.  Mais, bien que la situation s’y prêtât foutrement, aucun d’entre nous ne tomba dans le piège des promiscuités frissonnantes — ni, a fortiori, des mains baladeuses. Nous eûmes bien du mérite, je trouve. Ou alors, nous n’étions pas prêts.  

                      Le jour de son départ, j’avouai à Mélanie :

                      — Je voudrais qu’il revienne. 

                      Elle sourit.

                      — Rassure-toi, il reviendra.

                      Une aimable voisine, qui, nous voyant  passer  sous ses fenêtres en pouffant comme des collégiens, l’avait surnommé « Monsieur Vacances » me fit la même promesse.

                      — Élémentaire, mon cher Watson, ajouta-t-elle.

                      Ma parole, j’en aurais chialé !

     

     

     

                                                           

     


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                                   QUINZE JOURS DÉLICIEUX

            

                      Oui, délicieux, je persiste et signe. Une sorte de deuil buissonnier. Nous discutions de tout, de rien, de pas grand-chose, sans que, par un accord tacite, il soit jamais question des douleurs qui précèdent. Castor ne pratiquait pas l’apitoiement  pesant ; je l’en ai béni maintes fois. En revanche, j’eus  plus de fous-rires, pendant ce petit  break, que durant, sans doute, tout le reste de ma vie.

                      Entre deux averses, nous allions rendre visite à mes petits-enfants, Maya et Alix, qui avaient adopté d’emblée ce grand-père intérimaire  au surnom de rongeur, toujours prêt à les faire sauter sur ses genoux ou à leur jouer un air de guitare. Nous fîmes, avec eux et ma fille Mélanie, quelques mémorables balades en forêt, dans une humidité à couper au couteau, et de rares piqueniques sur les espaces verts qui agrémentaient le village.

                      Généralement chassés par l’ondée, on courait tous se réfugier au Roc café où l’aventure s’achevait devant un chocolat brûlant.

     

                      Le soir, notre tête-à-tête au coin du feu se prolongeait souvent très tard, et pour cause : à notre insu — ou pas ; se targuer d’innocence à soixante ans passés  serait du dernier grotesque —, le désir avait fait son apparition. Mais même sous la torture, ni l’un ni l’autre ne l’aurait avoué. Outre sa grande pudeur, Castor, j’imagine, ne se sentait pas le courage d’étreindre une brûlée vive. Quant à moi,  si j’avais osé un geste, un mot déplacé, j’aurais eu l’impression de profaner un cimetière. Nous nous quittions donc sur un chaste « bonne nuit » avant de gagner chacun notre chambre, un peu penauds mais la conscience en paix.

     

    — Toi, tu t’es encore fait du cinéma et tu ne l’assumes pas, me grondait gentiment ma fille, le lendemain matin, en me voyant promener mes chiens, l’air déconfit.       

    Du cinéma, oui, oh que oui ! Sur l’écran noir de mes nuits blanches…

     


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