• Episode 82

              Résumé des chapitres précédents : En suivant l’homme à la bite verdâtre, Zoé a-t-elle découvert le repaire de l’assassin de Dora Drelin, la diva découpée en morceaux ?

            

             Zoé attendit que les deux hommes soient endormis avant de s’éclipser sur la pointe des pieds. Son but : explorer la maison de fond en comble. Pour y trouver quoi ? Des preuve de la culpabilité de Branquenstein, pardi ! Car si son intuition était exacte, cette découverte allait faire un sacré raffût à la PJ, où l’enquête piétinait depuis des années...

             A pas de loup, elle traversa la salle à manger et la cuisine — dans lesquelles elle fureta vaguement, sans rien y repérer de suspect  — puis gagna le sous-sol par un escalier dérobé.

             — Brrr, qu’est-ce qu’il fait noir !

             À tâton, elle chercha le commutateur.

             — Ah !

             La lumière jaillit, si éblouissante que Zoé ferma les yeux. Quand elle les rouvrit, ce fut pour constater qu’elle se trouvait dans un laboratoire, flanqué d’une salle d’opération à l’équipement ultra-moderne. Les murs et le sol, carrelés de blanc, la firent frissonner. Elle les imaginait éclaboussés de sang...

             La nausée, à nouveau, lui comprima la glotte.

               Du calme, se morigéna-t-elle. Au lieu de te projeter des films gores, tu ferais mieux de chercher des indices !

             Prenant son courage à deux mains, elle entreprit de fouiner parmi les cornues, alambics, instruments chromés, microscopes, tubes à essai, réserves de pansements et de médicaments qui encombraient la pièce... En vain. Il n’y avait rien ici qui évoquât de près ou de loin une quelconque activité criminelle. La femme de ménage était passée par là.

             — Dans ce bureau, peut-être ?

             Notre héroïne inspectait les tiroirs quand une voix grinçante s’éleva derrière elle :

             — Ne vous gênez pas, surtout !

             Elle se retourna d’un bloc. Branquenstein, en liquette et le flingue à la main, se tenait debout dans l’embrasure de la porte.

                                                                                                                                    (A suivre)

     


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  • La voyageuse

             Il m’arrivait souvent, quand Mélanie avait trois ou quatre ans, de l’emmener avec moi visiter mes parents, en Belgique. Nous prenions le train à la gare du Nord, pour quelque six heures de trajet. Par respect pour les autres voyageurs — car les babillages des tout-petits gênent certaines personnes —,  nous cherchions toujours un compartiment vide ou peu occupé. 

              Dans celui que nous choisissons, ce jour-là, il n’y a qu’une jeune femme qui lit le journal. Je la salue sans la voir, m’assieds en face d’elle, installe ma fille avec sa réserve de bonbons et ses crayons de couleur, puis le train démarre. Un moment plus tard, notre compagne de voyage, ayant terminé sa lecture, abaisse son journal, et là... là...

             Le choc. Elle est défigurée au dernier degré. Pas de nez, pas de lèvres, un œil sans paupière, l’autre aux trois-quarts fermé ; une vision de cauchemar.

            Tandis que je m’efforce de garder mon sang-froid, des pensées se bousculent dans ma tête : « Au secours, je ne peux pas faire six cents kilomètres dans ces conditions », «  Mais je ne peux pas non plus me lever et partir, ce serait ignoble », et surtout : « Comment va réagir Mélanie ? ». Je la regarde en douce ; absorbée par son dessin, elle n’a rien remarqué. 

              — Euh... ma fille ne vous dérange pas ? demandai-je à la dame (dans l’espoir qu’elle me dise « si », pour que je m’éclipse sans scrupules).

               — Non, répond-elle aimablement. J’adore les enfants.

              Puisque la glace est rompue, nous commençons à discuter. Elle me parle de son accident, de ses opérations multiples ; c’est très intéressant. Et mes réticences fondent comme neige au soleil. Pire : en mon for intérieur, j’en ai honte. D’autant qu’elle est vraiment sympa.

               Mélanie, quant à elle, n’a fait aucune réflexion. Elle s’est comportée envers la voyageuse avec un naturel qui m’a bluffée. Elle lui a même offert un bonbon. Finalement, les enfants, c’est moins con qu’on ne le croit.

     


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  • Episode 80

             Résumé des chapitres précédents : L’homme a la bite verdâtre est, en réalité, un être hybride, formé d’un tas de petits bouts disparates. Le docteur Branquestein semble très épris de son bras droit, indéniablement féminin.

     

             Zoé ne pouvait détacher ses yeux de l’hallucinant spectacle. À l’évidence, un sentiment très fort unissait le médecin et sa créature. De quelle nature était-il ? C’est ce que notre héroïne aurait aimé savoir... Mais comment arracher leur secret à ces deux êtres étranges ?

             «  Ne plus les quitter d’une semelle » fut l’unique réponse qui lui vint. Dès lors, elle décida de hanter les lieux à leur insu.

             Ainsi débuta une filature qui devait durer toute la journée. Aussi discrète qu’une ombre, Zoé s’insinuait dans les replis des rideaux, s’accroupissait sous les tables, se tapissait derrière les meubles et les fauteuils, afin de jamais perdre les deux hommes de vue. Elle put donc suivre, minute après minute, heure après heure, leurs activités — fort banales, au demeurant : repas, infos télévisées, café, sieste, petite promenade dans le jardin, apéro, dîner au son d’une musique douce, le tout orchestré par les monologues insipides du médecin qui tenaient lieu de conversation...

             « Je plains les détective privés, se disait-elle, un peu déçue du résultat. On s’imagine toujours que leur job est palpitant, mais en réalité, c’est d’un ennui ! »

             Vint enfin le soir.

             — Si nous allions dormir ? proposa Branquenstein. Je tombe de sommeil.

             « Enfin, un peu d’animation », pensa Zoé.

             Profitant de la toilette de ses hôtes, elle se glissa dans leur chambre. Par chance, un placard à claire-voie faisait face au lit. Elle s’y tapit et, de ce poste d’observation privilégié, put les épier tandis qu’ils se couchaient.

             Première et indéniable constatation : le chirurgien et sa créature étaient amants. Mais de manière assez particulière, puisque seul le bras prénommé Dora semblait exciter la libido de Branquenstein. Pour le reste, il se comportait plutôt en père envers celui qu’il appelait « Chouchou », et ce dernier s’en contentait. Il lui laissait utiliser Dora avec indifférence, comme si ce membre était indépendant de sa personne. Et, tandis que son compagnon flirtait éhontément avec les doigts gracieux, il lisait ou comptait les mouches, au plafond. Jamais il ne manifesta un intérêt quelconque pour les ébats manuels auxquels il se prétait mais qui, visiblement, ne le concernaient pas. 

             — Je t’aime, je t’aime... ânonnait le toubib dans le feu de la passion. Serre mieux les doigts, s’il te plaît... oui, comme ça... Accélère le mouvement... Non, là, tu me fais mal ; plus souple le poignet !

              Bien que ce spectacle, de par sa maladresse, éprouvât les nerfs d’une trayeuse professionnelle, Zoé ne broncha pas. L’heure n’était point aux jugements de valeur mais à l’observation. Et celle-ci, toute laborieuse qu’elle fût, s’avérait bougrement instructive...

                                                                                                                                           (A suivre)


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  • http://fr.wikipedia.org/wiki/Forêt_domaniale_de_Grésigne#Histoire

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  • La disparition

             Après la mort d’Hergé et celle d’Edgar Jacobs, mon père, qui avait été leur ami à tous deux, fut courtisé par leurs admirateurs. Il ne se passait pas une semaine sans que ses « fans », comme il les appelait, ne viennent le visiter dans sa retraite spadoise. Flatté de susciter autant d’intérêt, il répétait sans cesse les mêmes histoires, ce qui agaçait ma mère et donnait lieu à d’attendrissantes chamailleries de vieux couple.

             Mes frères et moi, conscients du petit côté cabotin de nos parents, nous félicitions de cette célébrité tardive. Nous étions loin de nous douter qu’un visiteur indélicat en profiterait pour les dépouiller.

             Papa possédait un livre d’or dans lesquel, outre de nombreux et très beaux dessins (dont un d’Hergé), il y avait une aquarelle d’Edgar Jacobs : un pirate à mine patibulaire qui, enfant, me fascinait. La dédicace, à elle seule, donnait le ton : « A ce vieux flibustier de Gérard, à sa charmante épouse et à ses moussaillons ». En ai-je passé, des heures, à rêver devant cet admirable portrait, d’un réalisme et d’un relief saisissants. Je m’attendais presque à le voir s’animer et me lancer d’une voix étraillée : « Un coup de rhum, matelote ? »

             Un jour, désireuse de montrer cette œuvre à mes enfants, je prends le livre d’or dans la bibliothèque (placée dans un couloir, à côté des toilettes) et je le feuillette. Tiens ? Où est passé « mon » pirate ? La page a été proprement coupée... Papa se serait-il enfin décidé à l’encadrer ?

             Je lui pose la question ; il me répond par la négative, et ne peut que constater, comme moi, le désastre.

             La première surprise passée, nous reconstituons l’affaire. Tous ses « fans » connaissaient l’existence de ce dessin qu’il se plaisait à exhiber, et qui suscitait forcément des convoitises. Or, rien de plus simple, en se rendant au WC, que d’embarquer le livre d’or au passage, de prélever discrètement la page et de le remettre à sa place en sortant...

             Cet abus de confiance — assez crapuleux, il faut bien l’avouer — a assombri les dernières années de mon vieux flibustier de père. 


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