• Episode 86

     

             Résumé des chapitres précédents : finalement, Branquenstein n’est pas si ignoble que ça. C’est même un humaniste, si on y réfléchit.

     

             — C’est pour ça que vous avez créé Chouchou ?

             Le docteur Branquenstein acquiesça.

             — Cette voix... Vous avez entendu cette voix ? murmura-t-il songeusement.

             — Je le croyais muet.

             — Il l’est, en vérité. C’est ça l’astuce : telles que je les ai agencées, ses cordes vocales ne peuvent émettre que des sons sublimes, pas de vulgaires paroles. Je ne voulais pas un compagnon bavard, vous comprenez.

             D’un froncement de sourcils, Zoé marqua sa désapprobation.

             — Et qu’est-ce qu’il en pense, lui ?

             Branquenstein émit un petit gloussement.

             — Oh, lui, il ne pense pas : je ne lui pas greffé de cerveau, juste une moëlle épinière. Il n’a pas de libre arbitre, rien qu’un instinct et des réflexes. Boire, manger, fuir devant le danger, réclamer des câlins, regarder les images des catalogues et les conneries de la télé... Un bon gros toutou, quoi. Bien affectueux.

             — Et bien sexué ! 

             Le ton de Zoé, à la fois désapprobateur et ironique, mit le toubib en alerte.

             — Comment le savez-vous ? s’exclama-t-il. Est-ce que, par hasard, il vous aurait fait des avances ?

             — On peut dire ça comme ça...

             La chose, à l’évidence, contrariait Branquenstein.

             — C’était peut-être une erreur d’utiliser cette bite..., marmonna-t-il, comme pour lui-même. 

             Et devant l’air intrigué de Zoé, il ajouta :

             — Vous vous souvenez de l’explosion du Dark Vomi, ce pétrolier qui avait enmazouté toute la côte normande ?           

             Zoé eut un sursaut. Si elle s’en souvenait !

             — Ce jour-là, la marée a rejeté un cadavre, sur la plage, poursuivit le médecin, sans tenir compte de sa pâleur subite. Un plongeur déchiquetté de la tête aux pieds, hormis son appareil génital, inexplicablement préservé. Un bel organe, ma foi, en dépit de sa couleur un peu particulière ! Je décidai aussitôt de le prélever : on a toujours besoin d’un pénis de secours. Comme je campais dans le coin, j’avais ma glacière à portée de main. J’y déposai l’objet, puis remis le corps à l’eau...

                                                                                                                                           (A suivre)

     

     


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  • Je ne serai jamais Mazo de la Roche (suite et fin)

            Mais je ne m’avoue pas vaincue. « La vie en Rose » vient d’être racheté par France Loisirs. Or, ce club qui, d’ordinaire, n’offre à ses adhérents que des titres ayant fait leurs preuves, a ouvert, depuis peu, un département création. S’ils reprennent les trois tomes existant chez Grasset, rien ne les empêche de poursuivre la série !

             Je demande rendez-vous au responsable, lui explique mon projet, et m’entends répondre que « vu le peu de succès du premier ouvrage, il ne comptent pas pousser plus avant l’expérience ». (Rien d’étonnant, étant donné leur hideuse couverture, NDLA)

             Un coup dans l’eau. 

             Commence alors une prospection systématique de tous les éditeurs censés ressortir en poche des titres déjà parus. Refus, refus, refus... jusqu’au jour où, miracle ! la directrice d’Hachette Jeunesse me téléphone. Elle va lancer une collection pour jeunes adultes dans laquelle mes « Rose » s’intégreront parfaitement. Et comme Grasset fait partie du groupe Hachette, la cession de droits ne devrait poser aucun problème.

               Je regrimpe illico sur mon petit nuage, et, dans la foulée, commence le sixième tome : « Tous les chemins mènent à Rose ». Hélas, la dame me rappelle quelques jours plus tard : la transaction a échoué. L’éditrice de chez Grasset refuse de lâcher le morceau,  sous prétexte « qu’elle aime trop mes textes et craint qu’une version poche ne les dévalorise. »

              Ma dernière chance s’envole. Décidément, je ne serai jamais Mazo de la Roche. 

     


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  • C'est la question que pose "La Mare aux Mots". Plusieurs réponses d'auteurs, pour ceux que le thème intéresse. 

    http://lamareauxmots.com/blog/france-quatromme-et-peut-on-tout-ecrire-dans-un-livre-pour-enfants/#2


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  • Episode 85

                Résumé des chapitres précédents : Chouchou, comme l’avait deviné Zoé — et vous, par conséquent — est bien composé de bouts de cadavres. Le docteur Branquenstein vient de le confirmer.

     

             — Comment vous les êtes-vous procurés ? s’enquit Zoé, la gorge sèche (en dépit de son double whisky).

             — Rien de plus simple : il ne manque pas de malfrats prêts à déterrer n’importe quel cercueil, pourvu qu’on y mette le prix. Chouchou, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est constitué des meilleurs morceaux d’une bonne vingtaine d’individus — tous décédés de mort violente, je tiens à le préciser. De la récup’, en quelque sorte. Des défunts impossibles à ressusciter en l’état...

             Zoé se mordilla les lèvres. Quelque chose lui échappait.

             — Vous ne prétendez quand même pas...

             — ... être capable de faire revivre un mort ? Bien sûr que si ! A condition qu’il soit intact, évidemment. Qu’il ne lui manque aucun organe, qu’il ne soit corrompu ni par la maladie ni par un accident, qu’il ne soit pas trop vieux, pas trop jeune non plus, et de préférence en excellente forme physique.

             — Ça ne fait pas beaucoup de monde.

             — Comme vous dites. D’autant que le traitement coûte bonbon aux familles, et que je ne garantis pas sa fiabilité. La plupart de mes patients ne bénéficient que d’un sursis éphémère, quelques jours, voire quelques semaines, avant de repartir pour l’Au-delà.

             — À quoi ça sert, alors ?

             — Certaines personnes donneraient n’importe quoi pour un petit peu de rab avec l’être aimé. Rappelez-vous la chanson d’Edith Piaf : « Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu / Laissez-le moi encore un peu mon amoureux / Un jour, deux jours, dix jours / Laissez-le moi, oh seulement un mois ».

             — C’est reculer pour mieux sauter, non ? 

             — Il y a aussi les histoires d’héritage. Quelqu’un qui meurt sans testament laisse souvent ses héritiers dans l’embarras. Une résurrection, même de courte durée, lui permet de réparer cette négligence. La plupart de mes interventions ont ce caractère administratif, assez frustrant affectivement. D’où mon désir d’aller plus loin...

                                                                                                                             (A suivre)



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  • Je ne serai jamais Mazo de la Roche

               En 2002, à la demande de mon éditrice de chez Grasset — et d’une lycéenne enceinte jusqu’aux dents rencontrée à l’île de la Réunion —, je réécris mon premier livre, « Et Rose elle a vécu », en direction des adolescents. Travail à la fois éreintant, car il me replonge dans un épisode difficile de ma vie, et exaltant, puisque remettre au propre un texte déjà écrit est toujours un plaisir. Ainsi naît « La vie en Rose », titre dont je suis très fière bien que personne ne semble comprendre le jeu de mots (c’est une histoire de grossesse, allez, faites un effort !). Le livre est si bien accueilli, tant par le public que par la presse, que ça m’incite à lui donner une suite... et même plusieurs. « Soleil Rose », paraît en 2003,  puis « La Rose et l’Olivier », l’année suivante. L’éditrice adore, des messages de lectrices enthousiastes déferlent sur mon site, oh, punaise, cette fois, je crois que je tiens le bon bout...

             Dans un état second, je m’attelle aux tomes 4 et 5, respectivement intitulés « Le Rose et le noir » et « Sous les pavés, la Rose » (ça se passe en mai 68). Bon, j’avoue : le récit s’éloigne de plus en plus de la réalité. Seuls les personnages et quelques anecdotes sont authentiques, mais ça fonctionne. Après tout, je suis romancière, pas biographe...

             «  Je m’en vais leur refaire Jalna, moi ! me dis-je avec délectation. Une saga à rallonge, comme celle de Mazo de la Roche ! »

             Cette charmante illusion s’estompe brutalement lorsque j’apporte « Le Rose et le noir » à l’éditrice.

             — Désolée mais je n’en veux pas, me déclare-t-elle, embarrassée. Ma direction refuse un quatrième volume. Une trilogie, d’accord, il y a des précédents, mais une série, ça fait vulgaire. C’est de la sous-littérature. Or, Grasset est une maison prestigieuse...

             Bleum ! ni une ni deux, je dégringole de mon petit nuage, et m’en retourne chez moi, salement plombée. Force m’est d’expliquer aux lectrices, via mon site, qu’elles devront renoncer aux aventures de Rose. Ce qui provoque un tel tollé que l’une d’entre elles décide de lancer une pétition. Elle récolte une centaine de signatures d’adolescentes (oui, oui, tant que ça !) et même de quelques mères qui se sont prises au jeu. Réaction de l’éditrice :

             — Gudule, tu peux demander à ton fan club de cesser de saturer ma boîte mail ? C’est agaçant, à la fin.

             Et se retrouver avec, sur les bras, deux romans désormais impubliables, ce n’est pas agaçant, peut-être ?


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