•               Episode 79

              Résumé des chapitres précédents :  à la suite du mystérieux patient à la bite verdâtre, Zoé pénêtre dans une propriété dissimulée au fond du bois de Boulogne : celle de l’inquiétant docteur Branquenstein.

     

             À peine Zoé avait-elle pénétré dans le bâtiment qu’une voix caverneuse se fit entendre :

             — C’est toi, Chouchou ?

             Elle n’eut que le temps de se dissimuler derrière une tenture. Un pas lourd résonnait dans le monumental escalier.

             L’homme qui descendait — et qu’elle identifia comme le docteur Branquenstein, car ce nom lui allait à ravir — portait une blouse blanche, des gants de caoutchouc et de grosses lunettes de myopie. Une houpette de cheveux blancs s’échappait de sa charlotte stérile.

             Sitôt qu’il l’aperçut, le barbu courut vers lui et se jeta dans ses bras. Puis, tendrement enlacés, ils se dirigèrent vers un vaste salon où brûlait un feu de bois.

             — Tu veux boire quelque chose ?

             Le barbu hocha la tête.

             « Mais... il est muet ! réalisa Zoé. Et moi qui prenais son silence pour de la timidité ! »

              Tandis que Branquenstein se dirigeait vers le bar, il se laissa tomber dans un canapé. Zoé, rasant les murs, s’approcha de la porte restée ouverte, derrière laquelle elle se cacha. De ce poste d’observation, elle avait une vue imprenable sur la scène.

             — Mets-toi à l’aise, nous sommes entre nous, dit Branquestein en tendant un verre à son compagnon.

             Aussitôt, ce dernier s’exécuta. C’est-à-dire qu’il quitta son chapeau, ses lunettes noires, sa barbe... Zoé étouffa un gargouillis d’effroi. Le visage ainsi révélé était d’une hideur sans nom. Couturé. Rabouté. Une sorte de patchwork de chairs disparates, grossièrement cousues entre elles, sans logique apparente ni recherche d’harmonie.

             « Qu’est-il arrivé à ce pauvre type ? se demanda-t-elle, le souffle court. Accident ? Maladie ? Mutilation rituelle ? Expérimentation humaine ? Chirurgie esthétique foirée ? »

             Comme pour répondre à ces questions, l’ex-barbu tomba la veste. Apparurent deux bras nus, dont l’un, hypermusclé, et l’autre d’une grâce féminine. Se saisissant de la main qui était au bout de ce bras, le docteur Branquenstein la couvrit de baisers.

             — Dora, mon amour, murmura-t-il, tout en trempant un à un les petits doigts roses dans son verre, avant de les suçoter avec passion.

                                                                                                                                (A suivre)


    4 commentaires
  • Cri du cœur

             Il y a une dizaine d’années, une rumeur courut dans le petit milieu de la littérature-jeunesse : Gudule était un collectif. En toute logique, une auteure ne pouvait publier à elle seule autant de livres (21 en 2000,  24 en 2001,  23 en 2002). Une production pareille recquérait au minimum trois ou quatre personnes.

             Le bruit parvint à la direction d’Hachette jeunesse, qui me convia à une réunion avec les représentants, des journalistes spécialisés et des libraires, afin que je me justifie.

             J’étais morte de trouille...

             Mon « procès » (ou, du moins, ce que je percevais comme tel)  se déroulait dans un grand hôtel parisien. Une salle entière était réservée à cette réunion où le comité éditorial présentait son programme 2003. J’étais donc loin d’en être la vedette ! N’empêche qu’en pénétrant sous les sunlight, j’avais l’estomac au fond des baskets.

             Je fus applaudie, si si. Ce qui augmenta encore mon trouble. Puis l’un des invités me posa tout à trac la fameuse question :

             — On dit que sous le nom de « Gudule » se cachent plusieurs écrivains. Qu’en est-il exactement ?

             Incapable d’articuler un mot, je secouai négativement la tête. Ce que voyant,  ma directrice de collection répondit à ma place :

             — Moi qui travaille depuis longtemps avec Gudule, je puis vous assurer que cette accusation n’est pas fondée. C’est bien elle qui écrit tous ses livres.

             Me sentant épaulée, je retrouvai subitement mon aplomb.

             — Forcément, m’exclamai-je, en m’adressant à elle : avec ce que vous me payez, comment voudriez-vous que je m’offre des nègres ?

             La salle éclata de rire et on me laissa tranquille. Je pense que ce « cri du cœur » avait convaincu tous mes détracteurs, car la rumeur s’éteignit d’elle-même. Et, en prime, j’eus droit à une petite augmentation de mes à-valoir !


     


    18 commentaires
  • Episode 78

             Entre ses folles nuits avec Asia Li-Li et le mystérieux barbu à la bite verdâtre, le cœur de notre Zoé est mis à rude épreuve. Ce sont les risques du métier !

     

             Ce fut au réveil d’une nuit particulièrement chifoumiesque que Zoé, à qui la volupté donnait toutes les audaces, souffla à son patient :

             — Montre-moi ton visage, mon chéri...

             Ni une ni deux, l’homme débanda et, sans même prendre le temps de rajuster son froc, détala comme un lapin.

             « Quel grand timide », pensa notre héroïne tout attendrie, en s’élançant à sa poursuite.

             Cette course effrénée, dans la demi-obscurité du petit jour, les mena, de rue en rue, jusqu’au bois de Boulogne. L’heure matinale ayant vidé les lieux de sa faune interlope — tapineuses, michetons, macs, ripoux, travelots brésiliens, touristes américains, marchands de préservatifs... — , la nature avait repris ses droits. Dans l’aurore radieuse, la rosée scintillait sur les vieux Kleenex et les capotes usagées.

             «  Que c’est beau ! » s’émerveillait Zoé, sans perdre son patient de vue.

             Ce dernier, empruntant un chemin de traverse, parvint hors d’haleine devant une grille rouillée dissimulée sous la verdure. L’ayant poussée, il pénétra dans une propriété quasiment invisible aux yeux des promeneurs, tant elle se confondait avec le décor ambiant. Au cœur de cet écrin de verdure  se dressait une ancienne maison de maître, aux murs couverts de lierre, dont il franchit prestement le porche moussu.

             Avant de s’engouffrer à son tour par l’ouverture béante, Zoé eut le temps de lire, sur la plaque de cuivre ornant le panneau de bois : Docteur Branquenstein, résurrectologue.

                                                                                                                                      ( A suivre)


    24 commentaires
  • Esprit critique

             Été 2012, vide-grenier de Lisle-sur-Tarn. Je m’arrête devant un stand tenu par un gamin. Un de mes livres trône au milieu des Légos, jeux vidéos et autres bricoles.

             — Combien ? m’informai-je, en le montrant du doigt.

             — Un euro.

             Je le prends, le feuillette, comme n’importe quel client lambda.

             — Il a l’air bien... Tu l’as aimé ?

             — Non.

             — Pourquoi ?

             — C’est nul.

             Je repose le livre avec un « ah, bon » fataliste, et me fonds dans la foule. Une chance que le gamin ne m’ait pas reconnue :  nous avons évité de justesse un double moment de solitude !


    12 commentaires
  • Encore une nouvelle publiée par la revue en ligne "Bon à tirer" : 

    http://www.bon-a-tirer.com/volume57/gudule.html


    3 commentaires