• L’exorciste

      Qui avait fourré dans la tête de ma mère, bigote notoire, que j’étais peut-être possédée par le démon ? L’une de ses sœurs, aussi bigote qu’elle ? Une voisine ? Le curé ? Toujours est-il que l’idée la travaillait.

             — Cette enfant est insupportable, se morfondait-elle à tout bout de champ. Elle désobéit, elle ment, elle répond...

             Et d’énumérer mes tares une à une : j’étais impertinente, désordonnée, raisonneuse ; je piquais des sous dans son porte-monnaie ; je ne voulais pas manger ma viande ; je me disputais avec mon frère...

             — Ce n’est pas normal, concluait-elle. Il faut la faire exorciser !

             J’ignorais le sens exact de cette menace, mais elle m’épouvantait. L’exorcisme devait être une chose abominable, une sorte de supplice inquisitorial comparable aux peintures du musée du Cinquantenaire, section Moyen-Âge. On y voyait, sur des retables, les tortures infligées aux suppôts de Satan : la roue, l’écorchement, l’énucléation, les brûlure au fer rouge, l’embobinage d’intestin...

             Bref, je vivais dans la terreur, avec cette menace suspendue, telle une épée de Damoclès, au-dessus de ma tête.

             Par chance, ma marraine, qui terminait l’école Normale, incita maman à me faire plutôt passer des tests. L’une de ses amies venait d’obtenir son diplôme de psychologue et ne demanderait pas mieux que de lui rendre ce service. Si quelque chose clochait, elle l’en informerait et il serait toujours temps d’aviser.

             Cette sage proposition recueillit tous les suffrages — sauf le mien, car la psy m’effrayait presque autant que le bourreau. Mais j’eus beau pleurer, supplier, promettre de devenir irréprochable, rien n’y fit. On me remit entre les griffes d’une jeune femme (au demeurant charmante) qui me posa des questions rigolotes, me fit faire de jolis dessins, des jeux, des bricolages, et au terme de la séance annonça à ma mère :

             — Votre fille est parfaitement équilibrée, elle a juste trop d’imagination. Tout le mal vient de là, mais rassurez-vous, ça s’arrangera en grandissant.

              Maman se contenta de cette explication, et le spectre de l’exorciste fut définitivement écarté. La science avait vaincu l’obscurantisme 

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  •      Épisode 7

      Résumé des épisodes précédents : Zoé s’est engagée à retrouver les deux mille tonnes de sperme, disparues de la banque. Modeste Legicleur lui propose de l’aider dans cette noble tâche.

     

             Il se passa alors une chose inouïe. Modeste Legicleur poussa un cri perçant et, dans un grand éclair, se transforma en un dragon cracheur de feu.

             Zoé tomba à la renverse mais, sa première stupeur passée, l’observa avec intérêt. Son physique lui était familier. Au bout de son long cou flaccide, il avait une vraie tête de nœud.

             — Pas mal, apprécia-t-elle en connaisseuse.

             — Merci. C’est là ma véritable apparence. Mon nom est Sire Concis. Modeste Legicleur n’était qu’un avatar.

             — Destiné à... ?

             — Toi. J’étais en panne sèche, il me fallait quelqu’un pour raviver ma flamme. Ce que tu fis de main de maître. Enfin... de maîtresse.

             Flattée, Zoé sourit.

             — À présent, reprit le dragon, monte sur mon dos. Deux mille tonnes de sperme ne s’évaporent pas comme ça, dans la nature. Où qu’elles soient, nous les retrouverons !

             Lors, déployant ses grandes ailes, Sire Concis  prit son envol vers l’horizon.

                                                                                                                                                         (à suivre)


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  • daniel emilfork Daniel Emilfork

     En 1983, j’animais, sur Radio Libertaire, une émission intitulée « Le passe-temps des dames et des demoiselles » — titre piqué à la RTF des années cinquante, et, bien sûr, détourné de sa formule originale. Les thèmes abordés étaient rarement convenables, les invités fort peu conventionnels. On y parlait de cinéma X, de BD érotique, de fétichisme, de gaytude, de transsexualité... Bref, de tout ce qui, en ces temps reculés, était encore tabou, ou, du moins, transgressif. 

    Le studio se trouvait sur la bute Montmartre.

     En m’y rendant, ce jour-là, j’étais très embêtée. Qu’allais-je bien pouvoir raconter à mes auditeurs ? Jean Rollin, mon invité, s’était décommandé à la dernière minute, et je n’avais pas prévu de sujet de secours.

    Perdue dans mes pensées, je monte les escaliers longeant le funiculaire quand, subitement, je me retrouve nez à nez avec Daniel Emilfork — le fabuleux Dubois du Casanova de Fellini, oui, lui-même en personne. L’Hendrik de Pirates. L’épouvantable Krank de La Cité des Enfants Perdus...

    Quel choc !

    En un éclair, je réalise que le destin vient de mettre sur ma route l’invité idéal. Vais-je laisser passer cette aubaine ? Allez, Gudule, de l’audace ! Propose-lui une interview en direct !

    Je prends mon courage à deux mains, j’ouvre la bouche... et me contente de sourire bêtement. Sourire que Daniel Emilfork me rend au centuple. Puis il passe son chemin, moi le mien. Nous nous retournons au même moment ; re-sourire mutuel mais toujours sans paroles. Si je m’écoutais, je me mordrais.

    Furieuse contre moi-même, je parviens au studio, et sur le seuil, croise l’animateur de l’émission précédente, un grand blond que je ne connais que de vue.

     — J’ai rien préparé, lui soufflai-je, en panique. Tu ne veux pas me filer un coup de main ?

    Par chance, outre ses activités bénévoles à la radio, il est régisseur au théâtre de dix heures. Et les coulisses du Pigalle nocturne sont pleines d’anecdotes croustillantes... Nous improvisons donc une sympathique émission, au terme de laquelle on va boire un coup au bistrot du coin.

    Mon sauveur s’appelle Sylvain. Ce sera notre tout premier tête-à-tête. 

     


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  • Épisode 6

       Résumé des épisodes précédents : La menace d’un trayeuse électique contraint Zoé à se lancer au plus vite dans son enquête.

     

             «  Cette fois, le vin est tiré, il faut le boire », se disait Zoé, en s’activant distraitement sur la personne de Modeste Legicleur.

             —Tu n’es pas à ton affaire, lui fit remarquer tendrement ce dernier. Aurais-tu des soucis ?

             — J’ai pris un engagement... Et je ne sais pas comment le tenir !

             — À pleine main, ça ira.

             — Je parlais de mon engagement. Aurais-tu une idée pour me sortir de ce merdier ?

             Elle lui fit un récit détaillé des cinq épisodes qui précèdent.

             — L’ennui conclut-elle, c’est que je ne sais pas par où commencer...

             — Commence d’abord par me finir, ensuite j’en ferai mon affaire.

             — De mes deux mille tonnes ?

             — De tes deux mille tonnes.

             Zoé eut un sourire las.

             — J’y ai bien pensé, mon pauvre chéri : tu es tout ce que j’ai sous la main pour l’instant. Mais hélas, sortir une telle quantité de liquide, même en plusieurs fois, n’est pas dans tes moyens.  Déjà,  pour t’extirper trois goutte, je peine comme une forcenée !

             — Détrompe-toi, répondit Modeste Legicleur d’une voix étrange. J’ai la capacité de t’aider, et je vais te le prouver sur l’heure !

     

                                                                                                                                   (à suivre)


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  • Tintin

      Mon père étant ami et collaborateur d’Hergé, nous possédions la totalité de ses albums — en particulier ceux en noir et blanc, datant des années 30/40. Ils étaient tous agrémentés d’une dédicace et d’un petit dessin original. Si cela leur conférait une valeur certaine, je n’en avais pas conscience. Papa non plus, sans doute, puisqu’il m’en laissait l’usage exclusif. C’étaient « mes » tintins, au même titre que « mes » bécassines, « mes » spirous, « mes » mickeys, « mes » semaines de Suzette.

             En grandissant, je me découvris une véritable passion pour la lecture, et délaissai les BD au profit de « vrais » livres. Je dévorai tous ceux qui étaient à la maison avant de me tourner vers une mine intarissable : la bouquinerie de madame Delcourt.

             Toute mes économies y passèrent. Mais que représentaient-elles, face à l’immensité de mon désir ? Il m’en aurait fallu cent fois, mille fois plus pour combler ma fringale de lecture... Me vint alors une idée lumineuse : si je proposais un échange à madame Delcourt ? Mes tintins contre des romans.

             Ni une ni deux, je les fourrai dans mon cartable et les lui apportai. Elle les feuilleta d’un air critique.

             — Ils ne sont pas en très bon état, remarqua-t-elle. Et puis, ils sont dédicacés. C’est difficile à vendre...

             — On n’a qu’à arracher les pages !

             Joignant le geste à la parole, je saisis l’un des feuillets litigieux, mais elle m’arrêta dans mon élan.

             — Inutile de les abîmer, je n’en veux pas.

             Très déçue, je remballai mes albums et retournai chez moi, la rage au cœur.

             «  Quelles vieilles merdes ! » pensai-je, en les re-fourrant pêle-mêle sous mon lit. 

             Aujourd’hui, ils valent une fortune. 

    dédicace Hergé 1945


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