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Branle-bas dans Landerneau
En 1979, à Angoulème, je croise Yvan Delporte, figure éminemment charismatique de la BD. Non content d’être le scénariste — entre autres — des Shtroumpfs, il fut, durant de longues années, rédacteur en chef de Spirou. De sorte que l’on put voir déambuler, courant 1960-70, sa silhouette voûtée et fortement barbue à l’arrière-plan des cases de Roba, Jidéhem, Morris et consort.
— Je dirige, chez À Suivre, quatre pages de supplément inclues dans la revue, m’explique-t-il. Un « journal dans le journal », indépendant de la rédaction-mère, et auquel participent des tas de gens sympas : Franquin, Binet, Fred, Cabu, Janin, etc. Mais nous manquons de rédacteurs et surtout d’une rédactrice. Veux-tu te joindre à nous ?
Et comment !
— Euh... c’est quoi, les limites ? m’enquis-je néanmoins.
— Pas de limite. Si je m’adresse à toi, c’est que je connais ton travail. Lâche-toi, ma grande, faut que ça rigole !
Je me lâche donc, ce qui donne un feuilleton d’une vingtaine de mini-épisodes, bourré de jeux de mots d’un goût douteux et délicatement intitulé « Les aventures de Zoé Borborygme, trayeuse dans une banque de sperme ». Yvan applaudit : voilà qui va secouer son lectorat !
— Non seulement on a une femme dans l’équipe, mais en plus, elle est drôle et elle bosse ! clame-t-il à qui veut l’entendre.
Son enthousiasme sera de courte durée. Dès le deuxième épisode, la sentence tombe : monsieur Casterman ne veut pas d’immondices dans son beau journal. Zoé doit disparaître.
Yvan est convoqué, tancé d’importance, il riposte vertement, le débat s’envenime, le mot « censure » est prononcé... Et, plutôt que d’éliminer purement et simplement ma chronique, comme l’exige la direction, le barbu rebelle remplace le texte par un pavé noir. Et, sous ce pavé, il met un magnifique dessin de Franquin me représentant, en larmes, tandis que lui-même, dans une vaste bulle, me réconforte en répétant tous les mots « interdits » qui ont justifié mon banissement.
Ce vent de révolte sonnera la fin de Landerneau. Désormais, « À suivre » se passera de son supplément, devenu par trop subversif.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Franquin, avec sa gentillesse coutumière, m’offre le dessin original. Un trésor ! Trésor que je « prêterai » sottement à Charlie hebdo pour illustrer l’article dénonçant cette affaire. Et que, en dépit de mes demandes réitérées, je ne récupérerai jamais. Un petit malin, à la rédaction ou à l’imprimerie, aura mis la main dessus, et sans doute fait-il aujourd’hui la fierté d’une collection privée...
Ma confiance aveugle envers mes semblables me perdra !
J’avais prévu d’illustrer cette chronique par le fameux dessins de Franquin — que je n’ai plus, bien sûr, mais qui a été reproduit sur deux supports, au moins : le numéro 20 de « A suivre », paru aux alentours du 15 juillet 1979, et le Charlie Hebdo sorti au même moment. Malheureusement, je n’ai retrouvé ni l’un ni l’autre. Aussi lançai-je un appel solennel :si l’un d’entre vous pouvait mettre la main dessus, le scanner et me l’envoyer, je lui en serais éternellement reconnaissante.
Par ailleurs, je vous propose, afin de prolonger notre tête-à-tête, de vous donner à lire les six épisodes existants de « Zoé Borborygme ». Ils ont été écrits il y a trente-trois ans, je réclame donc toute votre indulgence pour leur vénérabilité — et leur évidente maladresse.
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Dans le cul
Peu de temps après notre mariage (secret, vous vous souvenez ?) , Alex annonce à ses parents qu’il va poursuivre ses études en Belgique. La chose, après bien des palabres, lui est finalement accordée. Nous partons donc tous les trois passer un long séjour dans ma famille, ravie que sa brebis galeuse soit « rentrée dans le rang ».
Mes parents, qui possèdent une villa au bord de la mer du Nord — à Westende, plus précisément — nous y installent en grande pompe.
Un dimanche, à la demande expresse de ma mère, nous les accompagnons à la messe. Arrive le moment de la quête. L’enfant de chœur passe dans les rangs avec son petit panier et marmonne : « Dank u » à chaque obole — ce qui signifie « merci » en flamand, vous aviez compris je suppose. Alex, non (ou alors, il fait semblant). Toujours est-il qu'après avoir suivi avec attention le déroulement des événements, il se penche à mon oreille et me murmure : « Où ça ? ». Et moi, je prends le fou-rire du siècle. Impossible de me contenir. Ma mère a beau me lancer des œillades furibardes, le gloussement me fuse pas tous les trous. Je finis par sortir, les yeux pleins de larmes, rouge, suante, sous pression... pour exploser sur le parvis.
Ne nous y trompopns pas, il y avait près de vingt ans d’anticléricalisme larvé, dans ce rire-là !
C’est la dernière fois que j'ai mis les pieds dans une église.
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Dans le lit de la marquise
Un hôtel à Épinal, au moment des Imaginales. Il fait un froid de canard. Je vais touver l'hôtellière et lui dis finement :
— J'ai l'habitude de dormir avec un homme, une couette et un chien, alors, vous comprenez, deux couvertures, ça ne me suffit pas !
— Je n'ai malheureusement pas de couettes, me répond-elle, imperturbable. Pour ce qui est de l'homme, il n'est pas question que je vous prête le mien, j'y tiens trop. Mais vous pouvez prendre le chien, si vous voulez.
L'humour des Vosges vaut bien son lin !
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Le secret de Mimine
J’étais en vacances chez ma marraine, dans une petite ville des Ardennes belges. Je venais d’avoir dix ans, elle en avait vingt-cinq et, toute jeune mariée, m’accueillait pour la première fois dans « sa maison d’amour ».
Le principal attrait de cette maison était la chatte de Pierre, son mari, dont je tombai aussitôt raide-dingue. La pauvre vieille Mimine, d’ordinaire cantonnée à la cave, n’en revenait pas d’être aussi chouchoutée. Elle me suivait partout, de sorte qu’au fil des jours, je me persuadai que nous communiquions. (En ce temps-là, parler avec les animaux était mon grand trip. Combien de conversations télépathiques ai-je eues avec les oiseaux, les grenouilles, les poissons rouges, les chiens errants... !)
Ma marraine, amusée, marchait dans mon jeu, ce qui me confortait dans ma conviction. J’allais même jusqu’à lui traduire les miaulement de l’animal — mais jamais devant Pierre qui se serait moqué de mes « enfantillages ». Les être pragmatiques ne comprennent rien à rien.
Un jour, la chatte disparaît. Je fouille la maison et le jardin en appelant « Mimine ! Mimine ! » ; pas de Mimine.
— Ne t’inquiète pas, me dit Pierre, ça lui arrive souvent. Elle fugue pendant deux ou trois jours, puis elle revient. Tous les chats font ça.
Effectivement, le lendemain, Mimine est de retour. Mais tandis que je l’abreuve de tendres reproches, elle m’explique quelque chose. On dirait... mais oui, qu’elle me demande de la suivre. Ce que je fais, le cœur battant. Elle m’entraîne à la cave, et, ni une ni deux, se rue vers son panier placé sous l’établi. Puis là, dans l’ombre, elle se met à lécher quelque chose...
« Des chatons ! »
Tout s’éclaire. La pauvre chatte, craignant qu’on lui prenne ses petits, est allée accoucher en cachette. Je suis la seule à qui elle ait confié son secret. J’en ai les larmes aux yeux...
Je me garde bien de m’approcher pour vérifier, car on m’a toujours dit qu’il ne fallait pas toucher les bébés animaux : si elle sent notre odeur sur eux, leur mère les abandonne. Je me retire donc sur la pointe des pieds, laissant la p’tite famille à ses ronronnements. Mais je suis si excitée, durant les heures qui suivent, que ma marraine devine qu’il se passe quelque chose d’exceptionnel. Elle m’interroge... et moi, incapable de tenir plus longtemps ma langue, je lui avoue tout, en la suppliant de ne pas noyer les nouveaux-nés. Sur ces entrefaites, Pierre rentre, elle lui annonce la nouvelle, et il éclate de rire :
— Impossible, elle est opérée.
Outrée, j’insiste :
— Si, si, je les ai vus ! Même qu’elle les léchait !
Toujours en riant, Pierre m’entraîne à la cave, vire la Mimine de son panier et me montre qu’en effet, il n’y a pas le moindre chaton.
J’étais si humiliée que je n’ai pas déserré les lèvres de la soirée.
« Quelle menteuse, cette chatte ! ruminais-je en moi-même. Quelle sale traitressse ! Je suis sûre qu’elle l’a fait exprès pour me ridiculiser ! »
Ce fut la fin de notre belle amitié. Et comme c’était aussi la fin des vacances, je ne l’ai jamais revue : elle est morte de vieillesse l’hiver suivant, sans m’avoir donné d’explication claire sur sa conduite.
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Ronron petit patapon
Avec Sylvain, mon compagnon, nous avions reçu des places pour la générale de presse d'une pièce de Paul Valéry dont j'ai oublié le titre. En fait, il s'agissait d'un monologue désuet, dans un décor de station balnéaire des années 30, porté à bout de bras par un Pierre Arditi soporifique. Tellement soporifique qu'au bout de vingt minutes, mes yeux commencent à picoter. J'ai beau lutter de toutes mes forces, impossible de résister : le sommeil m'emporte. Jusqu'au moment où un bruit incongru me réveille en sursaut. Une sorte... mais oui ! de ronflement. J'ouvre l'œil, et la première chose que j'aperçois, ce sont mes voisins de devant, Christine Ockrent et Bernard Kouchner, tournés vers moi, une expression outrée sur le visage. La deuxième chose, c'est Sylvain, plié de rire.
— Je... j'ai ronflé ? interrogeai-je, morte de honte.
Mais je connaissais déjà la réponse.
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