•  

                                           Franquin

     

       Quand nous débarquâmes à Bruxelles après notre retour du Liban, papa nous signala :

         — savez-vous que j’ai Franquin parmi mes clients ?

       Bond de joie d’Alex dont la rencontre avec son idole est le plus cher désir.

         — Je l’appelle, annonce papa en sortant son petit calepin.

       Sitôt dit, sitôt fait.

         — Je dois justement me rendre au centre ville, je passe vous voir répond le dessinateur Belge.

       Après une longue discussion avec Alex, Franquin lui confie une lettre pour René Goscinny dans laquelle il demande à ce dernier de le prendre dans l’équipe de Pilote. Le prochain numéro comportera une double planche de Carali intitulée « le pied ».


    votre commentaire
  •  

                                       Grégoire

     

             Mon vieux relieur avait eu un frère, dans sa jeunesse, lequel, mort à la guerre, se prénommait Grégoire. Chaque fois qu’il l’évoquait, Louis avait les larmes aux yeux. Ce qui me poussa un jour à décider :

             — Si c’est un garçon, nous l’appellerons Grégoire !

             Cette proposition le toucha beaucoup.

             Un que ça toucha moins, en revanche, ce fut mon père, car tout ce qui émanait du « suborneur » lui était parfaitement odieux.

             Arriva le terme de ma grossesse, ce joli mois d’avril 1965. Et, mes parents m’ayant fait accoucher sous un nom d’emprunt dans une clinique secrète, ce fut papa qui déclara son petit-fils aux autorités compétentes. Or, quel que soit le sexe de l’enfant, son prénom était déjà choisi : garçon = Grégoire, pour les raisons susdites, et fille = Frédérique comme l’héroïne de « L’Ourse aux patons verts » de Christian Pineau, paru chez Hachette, dans la collection rouge et or. Mon père eut-il un trou de mémoire involontaire ? Ou une subite poussée d’autoritarisme brouilla-t-elle ses idées ? Mystère. Toujours est-il que, par sa faute, Grégoire devint officiellement Frédéric sur les registres de la maison communale d’Ixelles. Je n’en ressentis nulle amertume, car ce prénom était celui de Chopin, pour lequel j’éprouvais une tendresse toute particulière. Quant à Claude Léveillée, chanteur québécois auquel nous devions la superbe chanson « Frédéric » qui passait en boucle à la radio, j’étais ravie qu’en quelque sorte, il soit, par le biais des ondes, le  parrain virtuel de mon petit bonhomme !

     


    1 commentaire
  •  

                                      Collocs

     

           Ça m’était déjà arrivé quelques années auparavant.

           Une sensation extravagante, inexplicable. A peine couchée, je les sentais à mes cotés comme s’ils partageaient mon lit, leur poids faisait s’enfoncer mon matelas à certains endroits bien précis. Pire encore : quand ils se blottissaient sous la couette à la manière d’une portée de chats, ils me comprimaient de toute part, tel un stock de gisants empilés dans une crypte abbatiale. Parfois, je les surprenais à rôder de pièce en pièce, vêtus en grognards de Bonaparte ou déguisés en chevaliers médiévaux. Une fois, j’ai même reçu la  visite d’une femme  qui lisait par-dessus mon épaule, appuyée au dossier de mon fauteuil roulant. Quant à ceux qui, furtivement, glissaient le long des murs, j’avais beau les interpeller, ils m’ignoraient avec hauteur.

           — Tiens, les fantômes sont revenus, disais-je à Michel qui s’empressait de les chercher des yeux.

           Ainsi, durant des semaines hantèrent-ils la maison, plus désopilants qu’une horde de géants en goguette. Que voulaient-ils exactement ? Que cherchaient-ils ? Pourquoi cette intrusion dans un univers qui ne les concernait guère ? Pourquoi cohabitâmes-nous, ces esprits et moi-même, dans une maison soi-disant hantée dont ils s’échinaient à pourrir l’ambiance et qu’ils emplissaient nuit et jour de murmures inquiétants – comme de vrais collocs, en somme ?

     


    votre commentaire
  •  

                                      Bob et Bobette

     

         C’étaient mes B.D. préférées. Les albums populaires belges par excellence. On les trouvait dans les supermarchés au prix d’un magazine-télé bas de gamme. Ce sont ces lectures qui m’ont donné Très tôt le goût du rêve et de l’aventure. Dès leur parution, on se les disputait férocement, mes frères et moi ; la vaisselle à peine terminée, les deux grands escogriffes se barricadaient dans les chiottes avec leur provision de culture. (Et quand j’emploie le mot « culture » c’est à dessein : l’Histoire et tous ses dérivés : contes, légendes, ritournelles, fabliaux, refrains, romances servaient de terreau à ces récits qui m’enchantaient et ont fait naître en moi une frénésie d’écrire dont je ne me suis jamais départie depuis.)

         Une année, le journal Tintin qui prépubliait chaque semaine quelques épisodes, organisa un concours pour ses jeunes lecteurs. A la question subsidiaire : « Lequel de nos dessinateurs aurais-tu souhaité avoir comme père ? » je répondis : « WillyVandersteen » ce qui déplut fortement à papa.

         - « Tu m’as couvert de ridicule, me reprocha-t-il. Tu n’aurais pas pu mettre Hergé ou Edgar P. Jacobs ? » Eux, au moins, ce sont mes amis ! ».

     


    2 commentaires
  •  

                                  Où le roi va tout seul

     

         Shabazz raffolait des parfums « rares et coûteux », comme il disait. Et moi, j’avais horreur de ça. A tel point qu’après lui avoir fait la bise, je me ruais dans ma baignoire, histoire de ne pas lui gerber sur les pompes. Je n’ai jamais compris pourquoi des hommes à l’odeur plutôt agréable éprouvaient le besoin de s’inonder de ce liquide nauséabond. Par masochisme pur, peut-être ? Pour le simple plaisir d’être un objet de répulsion ? Nulle tentative de séduction dans cette démarche, en tout cas : la seule femelle de mon entourage sensible aux charmes des hormones industrielles était notre chatte Pépette, une bête hystérique et fortement sexuée dont « Habit rouge », « Cavalier seul», « Tabac » ou « Venez, Milord » titillaient à haute dose la libido féline. Résultat : non contente de lécher avec ferveur le col de l’odorant blouson, elle finissait, surexcitée, par mordre cruellement Shabazz dans le cou, ce qu’il n’appréciait guère. Bref, afin d’échapper aux hommages de l’affectueuse bête, il n’avait d’autre choix que de courir se planquer dans les chiottes, ce qui libérait mes narines de l’éprouvante agression. Ah, combien j’appréciais la saine et fraîche odeur des déjections humaines, quand je la comparais à ces odieuses fragrances chimique !


    9 commentaires