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                                    Les beaux quartiers

     

            En vieille Parisienne, coutumière des transports en commun, j’étais aussi à l’aise dans le métro nocturne que dans ma salle de bains.

             En fait, je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais flippé en parcourant la capitale,  sauf une fois, une seule. Dans le XVIème arrondissement. C’était un dimanche après-midi, et je sortais de la Maison de la Radio après une vague émission littéraire. Rues désertes, pas un bistrot d’ouvert à l’horizon, rideaux de fer baissés sur les vitrines des magasins ; une ambiance post-apo à vous donner le frisson.

             Soudain, qu’entends-je derrière moi ? Des rires gras, des bruits de pas précipités, des cris, des bousculades…  Je me retourne ; le remue-ménage émane de trois gros crânes rasés dont le treillis militaire et les rangers kaki me font monter l’adrénaline.(Ah, que je regrette, à cet instant précis mes petites frappes de Barbès, si inoffensives face à ces mastards !) Fringues ethniques et dread-locks ne véhiculent à mes yeux aucune violence, tandis que ce look agressif d’extrême droite… au secours !

             «  Et s’ils ont écouté l’émission ? », me dis-je tout en marchant. Si mes propos leur ont déplu et qu’ils décident de se venger ? Qui les en empêchera ? »

             À force de me faire des films, je finis vraiment par avoir la trouille, si bien  que, déboulant à toutes jambes sur l’avenue des Champs-Élysées, j’arrête le premier taxi qui passe à ma portée et saute dedans. Une chance que le chauffeur ne soit pas un couard, car, à la vue de mon escorte, j’en connais  qui auraient pris la poudre d’escampette !

     


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                                           Valentin Letendre

     

             Certains éditeurs ne mesurent pas le privilège d’avoir tel ou tel auteur à succès dans leur « écurie ».   Cette année-là, Plon jeunesse cartonnait grâce aux Peggy Sue de S.B. À tel point que la direction le sollicita afin qu’il créât, secondé par des collaborateurs de son choix, une nouvelle série dans la même veine. S’ensuivit un coup de fil qui m’enchanta littéralement.

             —Veux-tu te joindre à nous ? me proposait S. B. Voici comment j’envisage les choses : une équipe réduite mais dynamique et bourrée d’imagination. Pour chaque écrivain, un tome de 250.000 signes par mois, avec un (ou des) héro(s) récurrent(s) dans le(s)quel(s) les ados puissent se reconnaître.

             — Houlà ! protestai-je : ce n’est pas mon format, ça ! Moi, je tourne  plutôt autour des 100 à 150.000 signes. Je n’aime les gros pavés ni en tant que lectrice, ni en tant qu’auteure.

             — Rien ne t’empêche d’écrire plusieurs  petites nouvelles qui, mises bout à bout, donnent un roman-fleuve, reprend S.B. C’est une formule qui, en ce qui me concerne, a fait ses preuves.

              L’idée est loin de me déplaire, si bien que je promets un synopsis pour les semaines à venir — synopsis dont S. B. compte prendre connaissance à son retour de vacances. L’à-valoir me convient, les termes du contrat également, bref il n’y a aucune raison qu’à ce stade avancé,  l’affaire capote.

             C’est ce qui se passe, cependant. Profitant de l’absence de l’initiateur du projet, la direction embauche une éditrice qui, bien qu’ultra-novice en littérature jeunesse, reprend la série  à son compte. Les contrats sont signés dans la foulée;  le nom de la nouvelle directrice de collection y remplace celui de S. B.(dont nous ignorions qu’il avait été évincé) et le chiffre des-à-valoir  est divisé par deux. Bref, hormis le fait que S.B. furieux, part en claquant la porte (et à raison), tout roule. Deux mois plus tard sortent les premiers exemplaires. Mon héros, destiné en priorité aux garçons, se nomme Valentin Letendre, et le tome 1 est rebaptisé « Valentin Letendre, Amour magie et sorcellerie », tandis que le deuxième devient, pour cause de marketing :  «  Valentin Letendre, Frisson, Amour et Maléfice » (On peut trouver actuellement ces ouvrages en éditions numériques chez Multivers : http://www.multivers-editions.com/…/nos-couvertures-font-p…/)

             Comme S. B. semble tenir tout particulièrement au suivi de la série, je me creuse le ciboulot pour lui pondre un second  tome  dans la parfaite continuité du précédent.

             Lorsque je lui annonce la bonne nouvelle  par téléphone. Sa réponse me laisse pantoise :

             — Je ne fais plus partie de la maison, adresse-toi à ma remplaçante.

             Or, non seulement cette personne s’est lamentablement plantée dans le choix des couvertures (que l’on croirait dessinées par quelque préado  en proie aux affres d’une puberté précoce) mais quand je mentionne l’ouvrage que, selon nos accords verbaux,  je viens laborieusement de terminer, elle s’écrie :

             —Ah non, non, non ! je n’en veux pas, c’est bien trop tôt !  Faut d’abord liquider le tirage précédent.

             J’ai beau lui rappeler que ses concurrents sont très demandeurs, rien n’y fait. (Le suivi drastique des séries, c’est le point sensible de ce genre littéraire alors en plein essor). À L’évidence, la dame est dépassée par les us et coutumes d’un métier qu’elle n’a jamais approché de près. «  Valentin Letendre, Frisson, Amour et Maléfice » sortira donc l’année suivante, avant d’être repris, à ma demande expresse, par le club « Succès du livre » sous une admirable couverture d’Erwann Surcouf.

             L’année suivante, aux Imaginales d’Épinal, j’apprends que les éditions Bragelonne (où sont déjà parus quatre de mes titres pour adultes) crée une collection jeunesse Sfff, à laquelle je suis censée participer. Comme le cahier des charges correspond à peu près à celui des «  Valentin », j’y vois l’occasion d’extirper mon héros de l’oubli et m’informe candidement :

             — Vous recherchez une sorte de Valentin Letendre, c’est ça ?

             La réponse positive de mon interlocutrice donne le feu vert au «  Faiseur d’anges », un gros bouquin de fantasy ( 350.000 signes) qui me sera refusé aussi sec car pas assez « bit-lit » pour Bragelonne. « Le spectre sans yeux », son successeur, connaîtra le même sort jusqu’à ce que les éditions « Armada » s’y intéressent et programment sa sortie pour janvier 2015. 

     


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                              Où vas-tu, petit soldat ? À l’abattoir

     

             En 1989, Sylvain caresse un projet ma foi fort sympathique : éditer un album collectif sur la guerre des tranchées. Les bénéfices de cette opération, par ailleurs entièrement bénévole, serviront à financer des actions antimilitaristes : tracts, affiches, conférences, exposition de documents d’époque, etc.

             Nous plongeons tous deux dans nos carnets d’adresses et appelons les copains bédéistes pour solliciter leur collaboration.

             Le livre, une fois imprimé, s’avère magnifique. Une admirable couverture de Tardi, et des planches intérieures des meilleurs graphistes du moment (Gotlib, Edika, Gébé, Pichon, Pichard, Al Coutelis, Thiriet,Teulé, Goossens, Cabu, Taffin, Delarue, Mix &Remix, Savard, Caro, Nicollet, Kellec Menu, Sylvie Picard, Pellos…), illustrent un rédactionnel concocté sur mesure par deux historiens libertaires. Cerise sur le gâteau :  au terme de l’opération, Édika m’offre sa planche originale que je m’empresse d’accrocher au mur de mon salon. C’est là que Jean-François, l’un des plus proches amis de Sylvain, la découvre avec un tel émerveillement que, spontanément, je lui en fais cadeau — ce qui me vaut une engueulade de mon compagnon qui s’estime abusivement dépossédé.

             — M’enfin, protestai-je, cet original m’appartient, je le donne à qui je veux, t’as rien à voir là-dedans ! En plus, je croyais te faire plaisir en « gâtant »  ton pote ; je n’imaginais pas que tu le prendrais mal. Moi, quand on fait un cadeau à quelqu’un que j’aime, je suis aussi contente que si on me le faisait à moi !

             — C’est à nous deux qu’Édi a offert cette planche, tu n’avais pas à en disposer sans me demander mon avis, rétorque Sylvain tout à trac. Franchement, Gudule, quel manque de délicatesse !

             Cause toujours, bel oiseau !


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                                       La chambre de l'ange

     

             «  Nos actes nous suivent ».

             Lorsque tante Irma m’asséna cet aphorisme en pleine tronche, elle ignorait que les mois à venir lui donneraient raison, en agrémentant mon jeune corps d’un petit ventre rond dont l’égoïsme de mes parents — plus encore que ma soif d’aventure — était directement responsable.

                      Je vous explique :

             Comme je le raconte dans mon roman La chambre de l’ange, (paru en 2011 aux éditions Nathan), j’avais une cousine, Françoise, que j’adorais. Bien  que nos familles ne soient pas très liées, je rêvais qu’elle vienne habiter chez nous,  pour me donner l’illusion d’avoir une sœur aînée. Mais il fallait trouver une bonne raison

             Cette raison se présenta en 1964, à la mort de sa mère avec qui elle vivait depuis le divorce de ses parents.  

             Après l’enterrement, son père vint trouver le mien.

             — J’ai un service à te demander, lui expliqua-t-il. Pourrais-tu héberger ma fille pendant un mois ou deux ? Je  lui ai proposé de m’accompagner aux Etats-Unis où je m’installe avec ma nouvelle femme, mais elle ne veut rien entendre. Ce serait trahir sa mère, prétend-elle. Et puis, il y a autre chose : elle a un amoureux qu’elle ne veut pas quitter. Imagine le choc pour la pauvre petite : le deuil, d’abord, puis l’éloignement d’avec son chéri. Si tu pouvais lui épargner cette épreuve… Chez toi, elle retrouverait un foyer chaleureux et tendre,  sans rupture avec son passé, ses amis, son milieu scolaire. Il va sans dire que tous les frais seraient à ma charge !

             Voilà qui ne faisait pas l’affaire de mes parents. Une adolescente à problèmes leur pourrissait déjà suffisamment la vie, ils n’avaient nulle envie de s’encombrer d’une autre.

             En dépit de nos supplications, la sentence demeura donc sans appel : ma cousine quitterait la Belgique comme prévu — et ce, bien que j’aie « déménagé » au grenier après lui avoir solennellement remis la clé de ma chambre.

             — Elle a une très mauvaise influence sur toi, m’asséna maman, tandis que je pleurais à chaudes larmes. Sa mère lui laissait trop de liberté ; imagine qu’elle veuille sortir le soir ou, pire, qu’elle se conduise mal ? Qu’elle nous ramène un polichinelle dans le tiroir, par exemple ? Dans quel embarras serions- nous, grands dieux !

             Or, le polichinelle, ce fut moi qui le leur ramenai. Et depuis ce temps-là, une conviction me taraude : si, surmontant leurs préjugés, papa et maman  avaient accueilli ma cousine, rien de tout cela ne serait arrivé. Car l’influence de Françoise m’eût épargné « la pente fatale ». Habituée depuis toujours à se prendre en charge, et jouissant, de ce fait, d’une confiance maternelle dont elle était très fière, elle avait, comme on dit, du plomb dans la cervelle. Sous sa houlette,  jamais je n’aurais cédé à mon vieux relieur. Elle m’aurait présenté des garçons de mon âge, mode d’emploi à l’appui, ce qui m’eut épargné, à dix-sept ans à peine, une grossesse illicite —mais également un immense bonheur. Car si nos actes nous suivent, ils nous précèdent aussi, parfois. Ainsi,  la naissance de Frédéric, en m’arrachant au fastidieux présent, me propulsa-t-elle, à la suite de mon merveilleux petit bonhomme, vers un avenir radieux.

              


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                                        Paternité

     

             Les consignes étaient claires : pas question que quiconque, dans notre entourage,  soupçonnât l’origine des enfants de Mondeva. C’est qu’il avait sa dignité, notre Shabazz ! Guinevra et Siegfrid étaient ses gosses à lui, point barre. S’il ne les avait pas conçus avec l’engin idoine — laissant ce soin à l’ignoble Baffrelard, plus doué que lui en discipline reproductive —, il en avait fait ses héritiers moraux, répandant sur leurs berceaux, telle une fée médiévale, les mille et un talents dont il était pourvu. Mais ces attributions avaient un prix : Guinevra serait musicienne, et Siegfrid, plasticien ou designer. De plus, ils l’appelleraient papa ( ce qui ne semblait guère leur déplaire).

             Mais le problème, quand on ment, c’est qu’on s’emmêle facilement les pinceaux, surtout si plusieurs personnes sont dans la confidence. C’ était le cas, en ce qui me concernait du moins. D’autant que cette histoire de paternité en tracassait plus d’un(e), sur notre lieu de travail, et les questions allaient bon train. Homosexualité, divorce, identités fantaisistes, informations contradictoires formaient un amalgame qui rendait peu crédible la fable familiale concoctée par le faux père en mal de reconnaissance. Et ce qui devait arriver arriva : pressée de toute part, je finis par vendre la mèche.

             — Mais enfin, ces enfants, ce sont les siens ou pas ? m’interrogea Kate en pleine réunion.

             Je rougis, bafouillai :

             — Euh… oui, oui… Bien sûr ! Il te l’a dit, non ?

             — Et toi, il t’a dit quoi ?

             — Ben… pareil.

             — T’es sûre ?

             —Ou… oui…

             Ma réponse ne dut pas être convaincante car , un quart d’heure plus tard, Shabazz me tombait dessus au détour d’un couloir.

             — Qu’as-tu encore été raconter comme connerie ? Tout le bureau est au courant de mes histoires, et je passe pour quoi, moi ?

             J’aurais pu lui répondre tout à trac : « pour un menteur et tu ne l’as pas volé », mais le voir dépossédé par la vox populi de ceux qu’il aimait le plus au monde me fendit le cœur, aussi laissai-je passer l’orage, jusqu’au jour où il m’annonça :

             —Dorénavant, à la demande de Mondeva, les gosses m’appelleront « parrain ».

             — Allons bon ? Pourquoi ?

             — Elle vient d’épouser Baffrelard et n’a aucune envie de leur embrouiller la tête.  

     

             Ce jour-là, j’ai béni l’administration


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