• La mariée était en larmes

       Mon mariage aurait plu à Brassens, j’en suis sûre !

             Reportons-nous en 1965, à Beyrouth, Liban. Une jeune fille de dix-neuf ans, nantie d’un lardon illégitime, débarque de sa Belgique natale pour tenter de se refaire une vie, loin des ragots et des malveillances. Elle rencontre un jeune homme du même âge qu’elle, et ils tombent amoureux. Un an plus tard, le visa de  la demoiselle ayant expiré, ils décident de se marier afin d’éviter l’expulsion — et parce qu’ils s’aiment, tout simplement. Mais les parents du « fiancé » ne l’entendent pas de cette oreille. Une fille mère dans la famille ? Ce n’est même pas la peine d’y penser. Il ne reste donc aux tourteraux qu’une solution : le khatifé.

             Le khatifé (littéralement « l’enlèvement ») est une pratique relativement courante, chez les maronites. Le prêtre bénit, à l’insu de tous, l’union d’un couple non majeur, et transcrit lui-même l’acte sur les registres d’état civil. Un mariage secret, quoi ! C’est follement romantique !

             Après avoir trouvé, non sans mal, un curé acceptant d’unir l’un de ses compatriotes à une fille mère (l’horrible engeance !), la date de la noce est fixée au 4 décembre à 16 heures. Mon futur mari raconte un bobard quelconque à ses parents, pour pouvoir s’absenter jusqu’au lendemain matin, et, à l’heure dite, le cortège nuptial se pointe à l’église. Il se compose des époux, des témoins (une copine française et le meilleur pote d’Alex), de mon petit garçon d’un an et demi, et de mon frère et ma belle-sœur nantis leurs deux fillettes. Tout ce petit monde, sur son trente-et-un, attend impatiemment le maître de cérémonie qui va officier à la va-vite dans un coin discret, à l’abri des regards.

             Or, le maître de cérémonie ne vient pas.

             Nous frappons à la porte de la sacristie. Personne n’ouvre. À celle du presbytère non plus. Alors, nous attendons. Une heure. Deux heures. A dix-huit heures trente, le bedeau, intrigué par ces gens qui campent sur ses prie-Dieu, vient aux nouvelles. Nous lui expliquons la situation.

             — M. le curé ne m’a parlé de rien, nous répond-il, embarrassé. Il est parti dîner chez sa sœur, à la montagne. Revenez demain.

             Chacun est rentré chez soi. J’ai pleuré comme une fontaine toute la soirée : on m’avait volé le plus beau jour de ma vie. Mais pas ma nuit de noces, heureusement ! De sorte que celle-ci a eu lieu avant le mariage, et pas après : Alex n’aurait pas pu découcher deux nuits de suite. Décidément, les traditions, ça n’a jamais été mon fort !

     


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  •  Argn !

      Dans mon village — comme dans tous les villages —, il y a souvent des histoires de chiens. C’est à travers eux que s’expriment les sympathies et les antipathies des habitants, leurs animosités, leurs rancœurs secrètes et leurs inclinations. Tel villageois apprend à son toutou à aller crotter sur le seuil de tel autre — auquel, par ailleurs, il adresse des sourires de bonne camaraderie. Telle mamie regarde avec jubilation son molosse bouffer le roquet de sa voisine, sans un geste pour l’en empêcher (et si on le lui reproche, elle répond, indignée : « moi, je n’interviens pas dans les affaires des chiens. Est-ce qu’ils interviennent dans les miennes, eux ? »). Bref, comme disait l’autre, observez les chiens, vous verrez leurs maîtres.

             J’ai, pour ma part, une adorable ratière nommée Zoé, qui est la douceur même et s’entend avec tout le monde, bêtes et gens.

             L’été dernier, nous étions toutes deux à la terrasse d’un café quand passe monsieur le maire. Il s’arrête pour faire un brin de causette, et m’explique qu’à la suite des plaintes réitérées de ses administrés, il va exiger qu’un certain nombre de chiens agressifs soient tenus en laisse, et éventuellement muselés. Puis, avisant Zoé, il lui frictionne vigoureusement la tête, en ajoutant avec un petit rire :

             — Je ne parle pas pour toi, bien sûr !

             Or, s’il est une chose, une seule, qui met ma chienne hors d’elle, ce sont les familiarités intempestives, surtout venant d’inconnus. Ni une ni deux, dans un grognement désapprobateur, elle mord la main qui l’outrage. Oh, pas bien fort — mais suffisamment pour que sa victime fasse un bond en arrière et s’exclame :

             — Eeeh ! Mais elle est dangereuse, cette sale bête !

             Et là, je me suis dit : « Quelle conne, cette clébarde ! A tous les coups, son nom va être en tête de liste : elle est bonne pour la muselière ! »        

             Par chance, le décret n’est jamais sorti : le conseil municipal, composé en majorité de propriétaires de chiens, s’y est opposé.



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  • Putain d’internet !

      A l’occasion de la sortie de mon livre Mordre le ciel, les éditions Flammarion avaient organisé, à la FNAC de Toulouse, un débat sur le tabou dans le  roman pour la jeunesse. Y étaient conviés deux auteures (dont moi), un enseignant, une éditrice, un pédopsychiatre et un philosophe. En tout, une demi-douzaine d’intervenants, spécialisés à divers titres dans l’élevage de nos chères têtes blondes.

             Afin de préparer dignement l’événement, le modérateur prend contact avec les invités, et les met en relation les uns avec les autres. Dans la liste, il y a, chouette alors, une de mes bonnes copines.

             Tout le monde y va de sa petite présentation en quelques lignes, et arrive le tour du philosophe qui nous sort une tartine de deux pages d’une effroyable pédanterie, et totalement incompréhensible.

             «  C’est quoi, ce zozo ? » me dis-je en moi-même.

             Et j’envoie aussi sec un e-mail à ma copine, libellé comme suit :

             T’as compris quelque chose à ce charabia, toi ? En plus, il faudrait expliquer à ce monsieur qui ne manque pas de prétention

    que sa profession n'est pas « emprunte » de dogmatisme, mais « empreinte » ! Bisous. G.

              Manque de bol, par je ne sais quel mystère informatique (je suis d’une incommensurable gourderie dans ce domaine, entre autres), mon mail confidentiel arrive chez tous les invités, y compris le monsieur en question, qui me répond aussi sec — et avec beaucoup d’humour, je trouve :

             Chouette, le débat commence ! Les humbles  contre les prétentieux, les bons élèves contre les barbares, les bisouteurs contre les charabiateurs... Je sens qu’on va bien s’amuser, à Toulouse !

             J’ai failli avaler mon dentier et me suis, bien entendu, confondue en excuses ­— que le monsieur a prises d’assez haut, quoique toujours sur le ton de la plaisanterie :

             C'est  intéressant cette idée de s'excuser d'avoir été honnête, même malgré soi. Personnellement, je suis ravi de ces propos, tout à fait éclairants et bien dans le sujet. Si cela ne vous dérange pas, je m'en servirai pour illustrer mon propos à la conférence.

             « Hou là là, ça va être ma fête », me suis-je dit, atterrée.

             Je ne me trompais pas : ça l’a été, et plus encore que je ne l’imaginais. Un massacre souriant, une lapidation à coups de bons mots-qui-tuent, un  festival de sarcasmes et de perfidies. Ils sont forts, bordel, ces « amis de la sagesse ». Surtout celui-là, qui a tenu le crachoir pendant tout le débat.

              Faut dire, je ne l’avais pas volé. Ne pas savoir se servir correctement d’internet, à mon âge !

     


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  • Toute ressemblance avec une actrice célèbre n’est que pure coïncidence.

      La petite histoire qui suit est très parisienne. Il va encore falloir que je trouve des noms bidons pour la raconter sans avoir d’emmerdes.

       Il y a une bonne trentaine d’années, Alex, qui bossait à Charlie hebdo, se lie d’amitié avec un grand dessinateur (appelons-le Monet, j’en ai marre des abréviations). Ce dessinateur nous invite chez lui, le samedi suivant. Superbe villa avec piscine dans une banlieue chic, un immense jardin, un salon équipé d’un vrai bar : bière pression, flipper, baby-foot, etc ; bref, la grande classe. Et que dire de sa femme ? Une créature blonde, la quarantaine pulpeuse, qui est la copie conforme d’une actrice très connue (que nous surnommerons Smyrna Kougloff).

             Croyant lui faire plaisir, je m’exclame, en lui serrant la main :

             — Vous a-t-on déjà dit que vous ressembliez à Smyrna Kougloff ?

             Et là, bizarrement, elle se ferme comme une huître, détourne la tête et ne m’adresse plus la parole de la soirée.

             J’ai appris par la suite que Smyrna Kougloff était, depuis plusieurs années (et de notoriété publique), la maîtresse de son mari.


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  • La Strada version X

       Montparnasse, début des années 80. Je sors de chez Fluide Glacial où je suis allée livrer ma chronique mensuelle, « Psychnalyse de la braguette », quand je tombe sur un copain, appelons-le Benoît.

             « Quelle coïncidence ! » me dis-je.

             Mais en est-ce vraiment une ? Depuis quelques temps, bien que marié et heureux en ménage, Benoît me lance des regards chauds.

             — Ils redonnent La Strada rue de Rennes, m’explique-t-il. Je vais le voir. Ça te tente ?

             — Avec plaisir, j’adore Fellini.

             Nous voilà donc partis bras-dessus bras-dessous vers le cinéma. Curieusement, alors que la salle est quasiment vide, Benoît choisit  les places du fond — mais bon, comme il est myope, je suppose qu’il voit mieux de loin, et perso, je n’aime pas avoir le nez sur l’écran.

             Le film commence et, insensiblement, sa main grimpe sur ma cuisse. Ce n’est pas désagréable ; on se sourit dans le noir. Quand arrive le générique de fin, Benoît est sous mon siège et je flirte éhontément avec le septième ciel.

             Soudain, sans crier gare, il bondit sur ses pieds, en proie — je le comprendrai plus tard — à une crise de parano aiguë. Un effet secondaire de la culpabilité, je suppose

             — Je suis sûr que ma femme est dans la salle, souffle-t-il.

             Sans me laisser le temps de reprendre mes esprits, il me tire dans l’allée.

             —Dépêche-toi ! Faut qu’on file avant que les lumière se rallument !

             J’empoigne mon sac, me rajuste vaille que vaille et le suis en somnambule. Une fois dehors, il hèle un taxi ; on s’y engouffre dare-dare.

             — Démarrez ! ordonne-t-il d’une voix étranglée. Viiite ! Les spectateurs vont sortir !

             J’ai jamais vu quelqu’un d’aussi flippé...

             Ce fut l’unique fois où nous péchâmes ensemble.

             Mais le plus triste, dans tout ça, c’est que je n’ai jamais retrouvé ma culotte. Et elle valait la peau des fesses ! 


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