• La baignoire de l'horreur

     Cette mésaventure ne m'est pas arrivée à moi, mais à la chair de ma chair — ce qui, somme toute, revient au même, surtout vu l'âge qu'avait à l'époque la dite chair ; un âge où le cordon ombilical n'est point encore coupé.

    A cette époque, Olivier avait une dizaine d'années et sa sœur Mélanie, quelques mois. J'avais laissé cette dernière barboter dans la grande baignoire aux trois-quarts vide, sous la surveillance de son frère. Un quart d'heure plus tard, je remonte pour la sécher. Pas d'Olivier. En ronchonnant, je la sors, l'habille, et la descend dans la cuisine pour lui donner son repas, non sans avoir mis à tremper, dans l'eau du bain, une serviette de toilette souillée.

    Quelques minutes passent, puis j'entends un cri… Mais un cri ! Il y avait toute l'horreur du monde, dans ce cri-là. Une indicible épouvante.

    Je me précipite. Mon Olivier, debout à la porte de la salle de bain, regardait, tétanisé, le linge flotter à la surface de l'eau, convaincu qu'il s'agissait du cadavre de sa sœur, noyée par sa faute…

    Il lui a fallu plusieurs heures pour se remettre. Et encore aujourd'hui, ce souvenir le hante, dans ses cauchemars. Ainsi se chope-t-on des traumatismes. 


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  • L'odeur du pénis

     Nous étions toute une tablée, ce jour-là, dans le restaurant chinois : mon ami Sylvain, Alex mon ex, nos deux petites-filles, Nina et Barbara, respectivement âgée de six et dix ans, mon frère Claude, vénérable vieillard à barbe blanche, et moi. Le serveur nous apporte nos commandes et, devant sa soupe aux raviolis de crevettes, voilà Nina qui s'écrie, de sa petite voix pointue :

    — Oh, cette odeur me rappelle quelque chose !

    — Ah ? nous étonnons-nous benoîtement. Quoi donc ?

    — Je ne me souviens plus...

    Elle fait un tel effort de mémoire qu'elle en grimace puis, soudain, son visage s'éclaire.

    — Ah, je sais, s'écrie-t-elle haut et fort. Ça sent le pénis !

    Instantanément, le silence se fait autour de nous et tous les yeux convergent vers les trois mâles accompagnant la malheureuse enfant : mâles qui, est-il besoin de le préciser, se raratinent sur leur siège.

    — Mais Nina, qu'est-ce que tu raconte ? m'écriai-je, suffoquée.

    — Oui, oui, ça sent le pénis, s'obstine la petite fille. Je t'assure, je connais très bien cette odeur !

    — Tu ne voudrais pas dire "l'anis", par hasard ? interroge sa sœur aînée.

    Nina a un éclatant sourire.

    — Ah oui, c'est ça, l'anis... C'est presque la même chose !

    Le feu nourri de regards accusateurs a glissé sur Sylvain, Alex et Claude que j'ai nettement vu reprendre leur respiration, et les conversations se sont poursuivies comme si de rien n'était. N'empêche, nous l'avions échappé belle : c'était au début des années 90, en pleine période de chasse aux sorcières !


     


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  •  

    Voir Pif et mourir

     Mes fils étaient, dans leur enfance, des lecteurs fanatiques de Pif gadjet — et cela d'autant plus que leurs parents y travaillaient. Nous pondions, Alex et moi, des jeux au kilomètre pour tous les "petits formats" des éditions Vaillant : Pif pocheLéo poche, Pifou poche et autre Totoche poche.

    Frédéric et Olivier, alors âgés de neuf et six ans, subissaient donc à haute dose l'influence pernicieuse de ces magazines dit "pour la jeunesse", ce qui faillit bien me coûter la vie, voici dans quelles circonstances.

    Nous avions fait la fête, la veille, avec des copains, et nous nous étions couchés fort tard, après avoir bien picolé. Soudain, à une heure que je suis incapabler d'évaluer, mais qui devait se situer aux environs de huit heures, des cris m'éveillent en sursaut :

      Maman ! Viens viiiite !

    En bonne mère, je réagis au quart de tour. La voix de mes loupiots est empreinte de ce que je prends, de prime abord, pour de la peur — et n'est, en réalité, que de la malice, mais bon, dans un demi-sommeil, on peut confondre. Je jaillis du lit et me rue dans leur chambre, dont la porte est entrouverte, en criant, affolée:

    — Qu'est-ce qui se passe ?

    Un choc sourd m'interrompt, accompagné d'une douche glacée qui m'éclabousse de la tête aux pieds. Les gamins, morts de rire !

    Il me faut quelques secondes pour réaliser ce qui vient d'arriver. Prenant modèle sur la dernière aventure de Placid et Muzo, mes deux garnements ont hissé sur le haut de la porte une gros seau métallique qu'il ont patiemment rempli d'eau à ras bord. Pour ce gag vieux comme le monde, j'étais la victime toute trouvée, mais manque de bol, le seau a manqué sa cible : au lieu de me coiffer comme dans la BD — wouah, la criiise ! —, il est tombé à côté de moi. N'empêche, c'était marrant quand même, surtout vu ma tête !

    Sitôt remise de mes émotions, je hurle :

      Nettoyez-moi tout ça immédiatement et recouchez-vous ! Je ne veux pas vous entendre avant midi !

    Puis je regagne mon lit les jambes flageolantes, après avoir mis sécher mon peignoir trempé.

    Mais impossible de me rendormir, je gamberge trop. Si le seau — qui, plein, pesait au moins trente kilos — m'était tombé sur la tête, j'étais cuite. Et comme mort conne, on pouvait difficilement trouver mieux, non ? 



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  • Embrasse-moi, idiot !

     Peu de temps après le pénible épisode qui précède, je me rends au musée de Gaillac, voir une exposition des œuvres de Camille Claudel. Ma copine Julia m’accompagne. On descend dans la crypte du musée, aménagée pour l'occasion, on regarde, on admire, on commente, lorsqu'un monsieur d'une cinquantaine d'années s'adresse à nous :

    — Il y a une projection de diapos dans la salle voisine. Je vous conseille d'y assister.

    Et là, je tombe en arrêt. Car ce monsieur n'est autre — du moins en suis-je persuadée — que Michel Gérault, un auteur d'albums destinés aux tout-petits que j'ai eu deux ou trois fois l'occasion de rencontrer dans des salons. Or, une certaine familiarité est de mise, chez les écrivains pour la jeunesse. La tradition veut qu'on se tutoie et qu'on s'embrasse, même si on se connaît à peine. M'adressant à lui, je m'écrie donc : 

    — Ben... qu'est-ce que tu fous là ?

    — Tu le vois, me répond-il sur le même ton badin. Je suis, moi aussi, venu admirer la grande Camille.

    — Eh bien, si je m'attendais à te rencontrer ici !

    Et, ni une ni deux, je lui saute au cou... sous le regard ébahi de Julia.

    — Ben dis donc, tu vas vite en besogne ! me glisse-t-elle, dès que mon interlocuteur s'éloigne. Il y a à peine trois mois que tu habites la région, et tu embrasses déjà le maire de Gaillac !

    Je reçois sa réflexion comme un coup de poing dans le ventre.

    — Le... le maire de Gaillac ?! Ce n'est pas l'écrivain Michel Gérault ?

    — Non, il est avocat.

    La honte !

    Durant toute la séance de dias, je rumine mon humiliation, et dès qu'elle se termine, je me rue sur le maire pour m'excuser, arguant qu'il possède un sosie dans ma profession.

    — Ne soyez pas gênée, me répond-il en riant, je rencontre tellement de gens, moi aussi, que j'ai cru que nous nous connaissions...

    Quelques mois plus tard a lieu le salon du livre de Gaillac où, coïncidence troublante, Michel Gérault est invité. Je lui raconte l'histoire, puis j'avise le maire et je le lui présente :

    — Voici la personne avec laquelle je vous ai confondu.

    Tous deux me lancent un drôle de regard. Confrontation faite, ils ne se ressemblent pas du tout... 


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  • Pédophile, poil aux cils

    Nouvellement installée dans un petit village d'une centaine d'habitants, j'éprouvais le besoin de me faire des amis — normal : l'homme est un animal social, et moi en particulier, bien que je sois une femme. Or, j'avais pour voisin un charmant vieux monsieur, érudit, écrivain à ses heures, solitaire mais néanmoins fort heureux de fréquenter des "gens de son bord" (entendre par là "barbotant dans la chose écrite"). Commence donc, entre nous, une relation exquise : thé au coin du feu, petit biscuits, longues dissertations sur Pierre Loti, Paul Valery ou Sainte-Beuve. Georges de Roche-Amand — eh oui, c'est le nom du vieux monsieur, son vrai, pas un pseudo !  — m'offre ses œuvres : deux opus de légendes locales dont j'apprécie le style désuet et précieux. Il me fait également cadeau d'une ravissante curiosité : un petit "Roméo et Juliette" de dix centimètres sur huit, relié tout cuir. Je ne peux moins faire que de lui rendre la pareille. Mais lequel de mes livres lui offrir, qui présente pour lui un quelconque intérêt  ? Nous ne sommes pas du tout sur la même longueur d'ondes...

    Le hasard vient à mon secours, en la personne de Mickaël Jackson dont le procès pour pédophilie défraye justement la chronique. Georges, très au fait de l'actualité, en arrive forcément à le commenter. La conversation glisse sur la maltraitance enfantine, et là, éclair de génie : je vais lui offrir La mort aux yeux de porcelaine, paru chez Flammarion l’année précédente, dont le thème est, justement, comme ça se trouve, la pédophilie. Et, coïncidence encore plus frappante, dont le héros principal est inspiré de Mickaël Jackson.

    — J'espère que vous ne serez pas choqué par mon écriture, dis-je en lui tendant l'ouvrage. Ma plume n'est pas aussi délicate que la vôtre, hu, hu, hu...

    Il m'assure qu'un langage un peu vert n'est pas pour lui déplaire, remercie, et s'en va tout content, son cadeau sous le bras.

    Je ne le revois plus.

    Mais plus du tout, hein !

    Si, une fois, je l'aperçois de dos, sur les remparts, mais à l'appel de son nom, il ne se retourne même pas, et lorsque je me dirige vers lui, il s'esquive prestement.

    Ahurie par ce mystère, j'en parle autour de moi. Je ne récolte que gloussements et rires sous cape, jusqu'à ce qu’une voisine vende enfin la mèche. Georges de Roche-Amand, homosexuel notoire (ah bon ?) a été jadis, affirme la rumeur publique, mêlé à une affaire de "ballets bleus" qui défraya le chronique. Et comme ce genre de rumeur — vraie ou fausse, et plus souvent fausse que vraie —  vous colle aux baskets pour longtemps, d’aucuns le soupçonnent encore de s'intéresser d'un peu trop près aux petits garçons...

    Pure malveillance, bien sûr, mais qui fait de lui une sorte de paria.

    Je me battrais bien, tiens ! Entre les quelque deux cents titres dont je suis l'auteure, il a fallu que je lui offre justement ce livre-là, me mettant involontairement dans le camp de ses détracteurs. C'est tout moi, ça !

    Encore une maladresse que je ne me pardonnerai jamais (ni lui non plus).

     


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