• Le rat débile et le rat méchant

      1996. Avec la succès de la série « Chair de poule », la peur est à la mode, dans l’édition jeunesse. Or, je me suis, depuis de nombreuses années, spécialisée dans ce genre un peu particulier. Si bien qu’à l’occasion du salon de Montreuil, le journal télévisé me demande une interview.

             — Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, nous viendrons vous filmer chez vous, dans le décor de votre travail, précise la journaliste, au téléphone.

             Nous prenons rendez-vous pour la semaine suivante, je fais le grand ménage, enfile ma plus belle salopette, et à l’heure dite, guette avec impatience « les gens de la télé ». C’est que je n’ai pas l’habitude d’être à l’honneur, moi ! Outre que, pour les médias, la littérature destinée aux enfants n’offre aucun intérêt, je suis allergique aux mondanités. Pour me sortir de mon trou, faut y aller aux forceps. J’apprécie d’autant plus la démarche de TF1.

             L’équipe arrive, s’installe dans mon bureau ; projecteurs, cameras...

             — Oh ! Qu’est-ce que c’est que ça ? s’écrie un technicien, en désignant mon Mac du doigt.

             « Ça », c’est Zébulon, le rat de Mélanie, qui a pour habitude de crapahuter sur le clavier de l’ordinateur. Un rat gris, je précise. Style rat d’égoût.

             De l’avis général, avoir un rat comme animal familier, pour un écrivain d’horreur, c’est la classe. Du coup, le cameraman s’en donne à cœur joie. Zébulon est filmé sous toutes les coutures. On le pose dans la bibiliothèque, sur l’un de mes livres ouvert, au milieu de mes manuscrits, que sais-je encore ? Comme il n’est pas farouche, il se laisse faire sans protester pendant que je réponds aux questions de la journaliste.

             Le surlendemain, la séquence passe aux infos de vingt heures. Elle dure trois-quatre minutes, et montre Zébulon. Uniquement Zébulon. Se baguenaudant ici et là sur ma voix off.

             Ce fut son heure de gloire.

              Pas la mienne, hélas.

      Mais ce n’est pas tout. Le concierge regardait l’émission. La présence d’un rat dans l’immeuble dont il avait la charge le scandalisa. Il s’en ouvrit aux voisins qui firent chorus, et désormais, interdit à sa femme d’entretenir notre palier « de peur de se faire mordre ». J’eus beau lui expliquer que Zébulon était apprivoisé, très propre, et ne transportait aucune maladie, ce triste sire ne voulut rien entendre. Il nous menaça même, en cas de récidive (?), d’appeler une entreprise de dératisation.

             Je me suis souvent demandé qui était le plus rat des deux.



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  • Tante Arlette

      Ma mère me trouvait trop câline. Dans son esprit formaté par d’austères préceptes moraux, c’était le signe d’un tempérament sensuel, voire vicieux, qu’il fallait contrer à tout prix. Elle m’interdit donc d’embrasser quiconque, fût-ce un parent proche, arguant que « ça ne se faisait pas ». (Quel âge avais-je, à cette époque ?  Oh, huit ans maximum !)

             Lors d’une visite à mes grands-parents, je fais la connaissance d’une tante infirmière qui vit au Congo — nommons-la Arlette, je veux pas d’histoires avec la famille. Or, cette tante se targue d’être « adorée des enfants ». C’est sa fierté, à elle, vieille fille assez repoussante. Son label affectif. A défaut de plaire aux hommes, elle séduit les gamins.

             — En Afrique, dès que j’arrive dans un village, tous les petits négrillons se ruent sur moi, affirme-t-elle. C’est comme ça, je les attire. Ils sentent que je les aime et me le rendent bien. 

             Ce discours, je ne l’entends pas (mais il me sera répété par la suite). Roulée en boule sur le canapé, je lis les « Bécassine » de ma grand-mère sans prêter attention à la conversation. Maman en conclut, à juste titre, que j’ai sommeil. Nous nous sommes levés si tôt, ce matin !

             — Va faire une petite sieste dans la chambre d’amis, me conseille-t-elle.

             — Bonne idée, s’écrie tante Arlette. Je vais l’accompagner, je suis un peu fatiguée, moi aussi.

             On monte, elle se couche dans le grand lit, moi dans le petit, et je m’endors aussitôt. À mon réveil, elle n’est plus là.

      Quand je suis redescendue, la famile prenait le thé. J’ai tout de suite remarqué le regard noir de ma mère, mais comme je n’avais rien à me reprocher, je n’ai pas réalisé qu’il m’était destiné. Ce n’est qu’au retour que j’ai eu droit à l’engueulade.

             La tante s’était vantée de m’avoir « apprivoisée ».

             — Cette petite si distante, si réservée, s’est lâchée, une fois seule avec moi, a-t-elle prétendu. Elle m’a cajolée, embrassée... Vous voyez bien qu’aucun enfant ne me résiste ! 

      C’était un mensonge, je le clame haut et fort. Je ne lui avais même pas adressé la parole. Pourtant, c’est moi qu’on a traitée de menteuse.

             Bien des années plus tard, j’ai demandé des comptes à tante Arlette. Elle ne se souvenait plus du tout de l’incident.

             — Mais si je l’ai dit, c’est que c’était vrai, a-t-elle conclu, péremptoire. Il n’y a aucun doute là-dessus !

             Révisionniste, va ! 


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  • Oncle Édouard

       Lorsque j'étais enfant, il y avait, chez nous, un réduit secret qui m'intriguait beaucoup. Je le découvris tout à fait par hasard, en nettoyant le grenier avec ma mère. Armées de plumeaux, nous faisions la chasse aux toiles d'araignées lorsqu’elle s’exclama, en  déplaçant une malle :

             — Il faudrait que je me décide à nettoyer là-dedans !

             Derrière la malle, il y avait une petite porte dont, jusque là, j’ignorais l’existence.

             — Qu'est-ce que c'est ?

             — Un abri sous les combles. Les précédents propriétaires y cachaient des Juifs, pendant la guerre. Va donc chercher la clé dans le tiroir de ma table de nuit.

             Je ne me le fis pas répéter, pensez ! 

             L’ouverture de la porte révéla une niche d’un mètre sur deux, d'une saleté repoussante. À mon grand désappointement, elle ne contenait qu'un paquet plat, emballé dans du papier Kraft, auquel je ne prêtai guère attention. Qu'espérais-je trouver ? Des cadavres ? Des squelettes ? Des traces de sang ou de griffures, attestant du calvaire des anciens occupants ?

             Tandis  que maman passait l'aspirateur, je m'y glissai, évoquant, les yeux fermés, l'épouvante des fugitifs terrés dans le noir. Elle s'empressa de m'en déloger : je n'avais rien à faire dans cet endroit malsain.

             — Et ne t'avise jamais d'y remettre les pieds, me recommanda-t-elle. Papa serait furieux. Déjà, s'il savait que je te l'ai montré, j'en entendrais des vertes et des pas mûres ! 

             Je promis de ne rien dire (et je tins parole), mais le réduit devint le décor récurrent de mes cauchemars. Puis je repensai au paquet. Que contenait-il ? Pourquoi était-il rangé là ? Avait-il un rapport avec les Juifs persécutés ? Ces questions, peu à peu, se mirent à m’obséder. Il fallait que je sache. Il le fallait absolument. Notre maison recélait un mystère que je devais à tout prix percer.

             Un soir, pendant que mes parents regardaient la télé, je piquai la clé, montai au grenier sur la pointe des pieds et, d'une main tremblante, ouvris la petite porte. Le paquet était toujours là.

             Tout en guettant les bruits de pas dans l'escaliers, j'entrepris de le déballer. Ce ne fut pas une mince affaire : caparaçonné dans une double épaisseur de carton, bardé de scotch et de ficelle, l'énigmatique objet me narguait. Mais comme j'étais plus têtue que lui, je parvins quand même à mes fins.

             Ce n’était qu’une peinture représentant  feu l’oncle Édouard, frère aîné de mon grand-père, dont je connaissais le visage par de vieilles photos. Les yeux maquillés, paré de bijoux, de fourrures et de châles, il était allongé, languissant, sur un sofa à fleurs, la main dans la braguette.

             En dépit de ce détail incongru — qui me fit pouffer rire —, je fus très déçue. C’était ça, le fameux mystère qui m’avait tenue éveillée des nuits durant ? Une croûte représentant un bonhomme déguisé ? En me moquant de moi-même, je le remballai de mon mieux, le refourrai dans sa cachette et l’oubliai.

      Quelque quarante ans plus tard, mon père, veuf de longue date, me légua, sur son lit de mort, le « tableau de la honte ».

             — Ne le montre jamais à personne, exigea-t-il. Je ne veux pas que la mémoire de mon oncle soit souillée par la révélation de ses mœurs dissolues. Ce serait humiliant pour toute notre famille !

             — Pourquoi  as-tu gardé ce portrait, alors ? m’étonnais-je. Tu n’avais qu’à le détruire.

             — Détruire une œuvre de T. ? Tu n'y penses pas, voyons ! Ça vaut une fortune ! 

             Je bondis :

             — C'est un T. ? Un authentique ? Tu es certain ?

             — Bien sûr : ils étaient amants.

      Aujourd'hui, passant outre les dernières volontés de mon père, j'expose oncle Édouard dans mon salon, et cette toile fait ma fierté. Ce qui ne m'empêche pas de me traiter, en mon for intérieur, de renégate…



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  • Journal intime

      Vous l’aurez compris : je suis menteuse. Je l’ai toujours été. Comme disait la grande Colette : « Si je ne mentais pas, je n’aurais jamais écrit ». Ces mensonge étaient, au cours de mon adolescence, d’autant plus nécessaires que mes parents me surveillaient de près. Leurs préjugés – essentiellement d’ordre sexuel — auraient fait de moi une sorte de nonne recluse si je n’avais pas trouvé d’astuces pour les déjouer. Encore une citation ? Allez, encore une, au diable l'avarice : « Si vous voulez donner de l’esprit à la plus sage, enfermez-là ! » (Molière, Les femmes savantes, je crois). 

             Or donc, en dépit de leur vigilance, je « fréquentais » un garçon. Il avait quinze ans et demi, moi seize, et nous nous rencontrions le matin, avant les cours (nous étions tout deux dans des collèges non mixtes, mais voisins). Question timing, c’était parfait. Mes parents, qui allaient tous les jours à la messe de 7h30, partaient quand mon réveil sonnait et rentraient juste après mon départ. Cela me laissait, en gros, une heure de battement pour conter fleurette. Quand j’entendais le claquement de la porte d’entrée, je déboulais de ma chambre, prête de pied en cap, embarquais mon p’tit déj’ dans un sac en plastique et filais retrouver Philippe dans le parc à côté, désert à cette heure matinale.

             Nous nous embrassions, en regardant les canards s’ébattre dans l’étang. C’était follement bucolique et d’une sagesse extrême.

             Or, un jour, pour une raison que j’ignore, maman quitta l’office plus tôt que prévu. Ne me trouvant pas à la maison, elle s’étonna d’abord, puis, comme elle était soupçonneuse par nature, se mit à gamberger. De sorte que, quand je revins à  quatre heures et demie, j’eus droit à un interrogatoire serré. J’expliquai tant bien que mal que j’étais partie en avance pour réviser mes maths avec ma copine Claire, mais elle ne me crut pas. Et, en dernier recours, exigea :

             — Montre-moi ton journal intime : lui, au moins, me dira la vérité.

             Je refusai catégoriquement. Mon journal intime, comme son nom l’indiquait, était vraiment intime. J’y racontais non seulement mes turpitudes (réelles ou rêvées), mais j’y vitupérais contre mes parents, les profs, la société et tout le toutime. Ce n’était pas une lecture à mettre entre toutes les mains, surtout pas celles de l’Autorité suprême.

             — Tu vois bien que tu as des choses à cacher ! triompha ma mère.

             Le soir, seule dans ma chambre, je réfléchis. Et me vint une idée : si je fabriquais un faux journal intime, histoire de la calmer ? 

             J’y passai la nuit. Dans un joli cahier tout neuf, je rédigeai un vrai journal d’enfant de Marie, à la fois si clean et si spontané que n’importe qui s’y serait laissé prendre. 

             Le lendemain matin, après une heure ou deux de sommeil, je n’étais pas fraîche-fraîche.

              — Tiens, crachai-je à ma mère en lui tendant la chose. Mais je te préviens, je ne te le pardonnerai jamais. Je trouve ça dégueulase de ta part, de vouloir connaître tous mes secrets. C’est comme une sorte de viol !

             Très digne, elle repoussa le cahier :

             —Remporte-le, je sais ce que je voulais savoir. Puisque tu es d’accord pour que je le lise, c’est que tu n’as rien à cacher.

             Oh, bordel ! Tout ce travail pour rien...



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  • La belle histoire d’une merde

      En septembre 2001 paraît, chez Flammarion, un livre pour ados intitulé « Regardez-moi ». Il est inspiré de l’émission « Loft strory », qui sévit alors à la télévision. En gros, une collégienne de 14 ans expérimente la joie, puis l’horreur, d’être filmée vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

             Or, bien que mon manuscrit ait été accepté par l’éditrice, celle-ci — ou une de ses collègues ; elles sévissent toujours à plusieurs, dans la littérature pour la jeunesse — s’autorise à changer l’âge de mon héroïne. Elle aura 16 ans et sera au lycée. Cette décision, je le précise, est prise à mon insu car je suis en vacances. A mon retour, le livre est paru, sans relecture de ma part (ce qui, déjà, est une ineptie — et, en tout état de cause, une faute professionnnelle).

             Le résultat dépasse l’entendement:. On annonce à la première page que l’héroïne est en seconde, mais à la page 16, elle se retrouve en quatrième (distraction du correcteur ?). Tous les critères scolaires : cantine, relations avec les profs, nature des cours, préoccupations des élèves, sont, à l’évidence, ceux du collège. Bref, mon livre a perdu toute crédibilité.

             Je saute sur mon téléphone et braille comme une truie qu’on égorge. C’est ma réputation qui est en jeu ! Il faut pilonner le premier tirage !

              — Que nenni, me répond aimablement la directrice de collection. Il y a eu des erreurs, certes, et nous en sommes navrées. Une stagiaire, engagée pour l’été, a outrepassé ses droits... Mais ne vous tracassez pas, avec un erratum joint à chaque exemplaire, tout rentrera dans l’ordre.

             Ainsi fut fait.

             À mon grand dam.

             L’erratum prenait une demi-page...

             Et savez-vous quelle fut la réaction des jeunes lecteurs ?

             — Pfff, elle est en seconde, cette gourdasse ? C'est une attardée mentale ou quoi ?

              Eh oui ! Avec un bon sens qui les honore, les fautes, ils s’en foutaient, mais les incohérences psychologiques de cette préado arbitrairement promue lycéenne les choquait. Ils en ont donc conlu que ce livre était une merde, et ils ont eu raison. 

            Par la suite, Flammarion a ressorti « Regardez-moi » tel que je l’avais conçu, sans modification aucune. Il a très bien marché et en est aujourd’hui à sa cinquième réédition. 



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