• La folle maîtresse   

    Ma mère était d’une nature soupçonneuse. Son puritanisme exacerbé lui faisait voir le mal partout. Elle le traquait donc avec pugnacité, surtout dans sa propre maison.

             À l’époque, je devais avoir neuf ans et mon frère Claude dix-huit. Éliane, une de ses copines qui préparait l’école normale, venait souvent étudier avec lui. Son assiduité tarabustait ma mère.

             — Il y a anguille sous roche, disait-elle à mon père. Cette fille est toujours fourrée dans la chambre de Claude. Un jour, tu verras, on s’en mordra les doigts !

             Papa, plus modéré, calmait le jeu, mais pas ses inquiétudes. Un jour que nous faisions la vaisselle ensemble, elle me demanda tout à trac :

             — Tu crois qu’Éliane est la maîtresse de ton frère ?

             La question était d’autant plus incongrue que, primo, ça ne lui ressemblait guère de mêler une gamine à des histoires de cul, et deuzio, j’ignorais la signification du mot « maîtresse » — dans le contexte, je veux dire. En revanche, je savais qu’Eliane voulait devenir intitutrice. Pourquoi ne se serait-elle pas exercée sur son copain ?

             — Oui, oui, j’en suis sûre, répondis-je avec aplomb. 

             — Comment le sais-tu ?

             — C’est elle qui me l’a dit !

             Maman ne fit qu’un bond jusqu’à la chambre de mon frère, pour virer in petto « la garce qui, non seulement dévergondait son fils, mais s’en vantait devant les enfants ».

             Claude a mis fort longtemps à me pardonner mon rôle, dans cette affaire. Il était convaincu que j’avais sciemment menti. Je n’ai compris pourquoi que bien des années plus tard !


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