•                                    Manneken pis

     

    Dans sa petite enfance, Olivier avait un sommeil agité. Il parlait en dormant, grinçait des dents, bougeait beaucoup et faisait de fréquents cauchemars. Un soir où nous dînions avec quelques copains, il battit tous ses records. Aux alentours de minuit, il sortit de sa chambre pour entrer à pas de loup dans la salle à manger où nous terminions le dessert, puis, se plantant face à nos invités, il sortit sa quéquette et leur pissa dessus.

             Je m’apprêtais à le rembarrer sans ménagement quand je réalisai : «  Mais… il est somnambule ! »

             Bien que des gloussements fusassent d’un peu partout, j’exhortai ma tablée au silence. Nul n’interrompit  donc le chérubin pisseur, de sorte qu’il put vider sa vessie jusqu’au bout, sans être réveillé malencontreusement.

     

     


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  •                                         Gothic

     

    L’histoire se passe à Bruxelles ; à Ixelles, plus exactement. C’est une vraie histoire belge. En 1986, le mythique cinéma « Le Roy » de la Porte de Namur, existe toujours (Il sera démoli quelques années plus tard). Et qu’y joue-t-on ?

             — Wahou ! Gothic, de Ken Russel. Justement, je meurs d’envie de le voir !

    Envie partagée par Sylvain, d’autant que nous n’avons rien de prévu pour la soirée, et que la dernière séance commence dans dix minutes.

    Le Roy se compose de plusieurs salles. Celle de Gothic est vide, à cette heure avancée. Nous nous  installons aux meilleures places et  le film commence. Il est époustouflant et morbide à souhait. Soudain, en pleine action, l’écran devient tout noir. Vu le thème abordé (la nuit de cauchemars hallucinés qui réunit Lord Byron, John Milton et Mary Shelley, et dont naquirent  d’impérissables chefs d’œuvres, Frankenstein en particulier), la chose ne nous étonne guère — enfin, dans un premier temps. Mais au bout de dix minutes, on commence à se poser des questions. Ce stand by obscur fait-il partie du scénario ?

             — Non, estime Sylvain. Le film doit être cassé. Bouge pas, je vais prévenir le projectionniste.

    Il se dirige à grands pas vers la cabine et, un peu plus tard, le film redémarre. Mais pas à l’endroit de la coupure, non ; au début. Nous voilà bons pour une seconde tournée.

             Il est minuit passé quand les lumières se rallument automatiquement. La tête encore pleine de l’effarant délire des écrivains sous  mescaline, nous gagnons la sortie. Surprise ! les portes sont fermées et  le rideau de fer baissé

             Ni une ni deux, Sylvain fait demi-tour et retourne à la cabine de projection. Personne. Dans la seconde cabine non plus. Nous voilà errant de couloirs vides en  salles désertes, à la recherche d’un responsable.

             Peine perdue : il n’y a plus âme qui vive dans le cinéma.

             — Le projectionniste a dû nous oublier, suppose Sylvain. Quand les autres films se sont terminés, il sera rentré chez lui. Mais comme le nôtre a duré plus longtemps que prévu…

             — On ne va quand même pas passer la nuit ici  ?

    Il semblerait que si. Nous avons beau appeler et frapper à la vitre blindée pour tenter d’alerter les rares noctambules, rien n’y fait. Nous sommes bel bien prisonniers. Il ne nous reste plus qu’à trouver un coin où dormir.

    C’est la femme de ménage qui nous délivrera, à six heures du matin. Pas contente du tout.

             -— Qu’est-ce que vous foutez là ? vitupère-t-elle dans un sabir mi-brusselèère*, mi-zaïrois. Vous ne vouliez pas payer votre place, hein ? C’est pas beau de resquiller !

             On n’a pas eu le courage de la détromper. Trop fatigués pour ça.

                                                                 * Bruxellois (en bruxellois)


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  •                                          Des souris et des femmes (ter)


               La mère d’Alex habitait un charmant studio , rue de la Roquette. Durant un bref séjour à l’hôpital, elle l’avait prêté à Mélanie (17 ans), qui raffolait de ces vingt-cinq mètres carrés (avec balcon), donnant sur le Père-Lachaise, d’une part, et sur une cour parisienne plantée d’arbres, de l’autre. Or, ce studio était « hanté ». La nuit, on y entendait, des bruits bizarres : frôlements, soupirs, couinements, course furtive.  De temps en temps, la chute d’un objet nous réveillait en sursaut. Et, le matin, de minuscules traces de sang souillaient parfois le bout de nos doigts ou de nos orteils.

               — Le fantôme est encore passé, disait en riant Mélanie. Regarde, il m’a mordu l’index !

               Mis à part ces petits incidents nocturnes, leur cohabitation se déroulait sans heurts. Il eût fallu bien davantage qu’un simple fantôme pour perturber ma fille !

               Ce fantôme, cependant, n’en était pas un, mais une souris blanche, échappée sans doute d’un logement voisin, qui avait élu domicile dans le tiroir à biscottes de la têta*.

               Le jour où Mélanie découvrit le pot-aux roses fut le premier d’une grande histoire d’amour. En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, Biscotte devint à la fois sa mascotte, sa compagne, sa muse, sa confidente, et sa partenaire favorite en grignotage de chamallows ou de pop-corn.

               Puis, un jour, la têta revint. Connaissant son aversion pour les rongeurs, Mélanie lui cacha, autant que faire se pouvait, sa nouvelle colocataire. Elle tenta même de l’emmener chez nous ; en vain. Biscotte avait ses planques, et dès qu’on cherchait à la capturer, devenait, au sens propre du terme « une souris fantôme ». De sorte que ma fille, la mort dans l’âme, fut bien obligée de l’abandonner à son sort.

               — Je lui fais confiance, disait-elle, cependant. Elle est maligne, elle s’en tirera toujours. D’autant que Têta ne voit plus grand-chose, et je l’imagine mal coursant une souris !

     

               Elle avait tort. Si Têta ne coursa pas la souris, elle s’adressa, en revanche, à une entreprise de dératisation,

               — Comme ça, l’appartement sera clean pour te recevoir, annonça-t-elle à Mélanie, un beau matin. Je te l’avais promis, tu t’en souviens ?

               Et de préciser, toute rayonnante d’amour grand-maternel :

               — J’ai transféré le bail en ton nom pour qu’il n’y ait pas d’embrouille avec le propriétaire, et j’ai payé six mois de loyer d’avance. Désormais, te voilà « dans tes murs » .

               — Et toi ?

               — Je retourne au Liban vivre auprès de ma sœur. Tu es contente, chérie ?

               En guise de remerciements, ma fille fondit en larmes. Car ce qu’elle aimait surtout, dans ce studio, c’était Biscotte. 

     

                                                  *têta : grand-mère (en arabe)

              

     


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  •                                    Quand je pense à Fernande (ter)


             La même encore, quinze ans plus tard.

             Mariée avec un chirurgien esthétique, elle rentre de vacances dans une forme éblouissante.

             — Tu es vraiment en beauté, remarque une aide-soignante.
                         Et elle, radieuse :

               — C’est grâce à mon mari. Il est doué, tu sais.

               — Qu’est-ce qu’il t’a fait ? 

             Geste adorable de lisser ses traits, mais si discret qu’on le remarque à peine.

             — Il m’a tirée de partout !

     


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  •              Quand je pense à Fernande… (bis)


     La même infirmière, aux prises avec un pansement récalcitrant, interpelle un de ses collègues, plus doué qu’elle en la matière :

             — Dis donc, Louis, toi qui bandes si bien, tu ne veux pas me filer un coup de main ?

    Elle n’a compris que plus tard l’éclat de rire général.


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