•                                Quand je pense à Fernande…

    Une de mes amies, infirmière de son état, m’a raconté cette anecdote que, pour ma part, je trouve hilarante. Au début de sa carrière, elle se trouve un jour dans l’obligation de raser le pubis d’un patient bien monté. Cette formalité  la gêne d’autant plus qu’il est visiblement  émoustillé. Très embarrassée, elle appelle sa chef  à la rescousse. Cette dernière, une sexagénaire qui, à l’évidence, connaît la musique, s’empresse de la suivre au chevet du loustic qu’elle apostrophe gaillardement :

    — Et maintenant, mon p’tit bonhomme, qu’est-ce qu’on fait ?

    La question s’agrémente d’un claquement de dentier qui, instantanément, coupe court au malaise.

     

     


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  •                                  Règlement de contes

     

    Parlez-moi donc de la clairvoyance des mères !

    La mienne, réfractaire à toute forme de sensualité, tant par principe que par tempérament, supportait mal mon romantisme exacerbé. Afin de me garder dans le droit chemin, elle éloignait de moi ce qu’elle nommait « les tentations », m’interdisant — entre autres — d’écouter les chansons de la radio (que j’adorais).

    — Ces sottises te font tourner la tête, prétextait-elle.

    Elle surveillait également mes lectures, ne m’autorisant que des livres édifiants, dépourvus de la moindre allusion charnelle. Quant aux films, je n’avais droit qu’à ceux autorisés par  l’office chrétien du cinéma, et encore ! sous son chaperonnage intensif.  (je crois avoir raconté dans une autre Solitude comment, à chaque baiser échangé sur l’écran, un coup de coude maternel me rappelait à l’ordre, afin que je détourne pudiquement la tête.)

    Par chance,  il y avait Marraine. 

    Marraine était ma grande cousine. Elle avait quinze ans de plus que moi, et c’était une conteuse hors-pair. Je pouvais l’écouter durant des heures improviser des sagas médiévales remplies de duels, de tournois, d’enchanteurs, de dragons, et  de princesses captives, délivrées par d’ardents chevaliers. Ces récits nourrissaient mes rêves et comblaient mes pulsions romanesques.

     Jusqu’au jour où, rattrapée par ma nature profonde, je voulus découvrir «  en vrai »  ce qui n’était encore qu’une vue de l’esprit. S’ensuivit, comme de juste, un petit ventre rond qui valut à Marraine l’engueulade de sa vie.

     — Tout est ta faute, vitupérait ma mère. Tu as saboté mon éducation en confortant ma fille dans ses lubies, au lieu de les lui extirper du crâne. C’est à cause de tes stupides histoires qu’elle a cédé à ses penchants malsains. Et voilà le résultat !

     Ma pauvre Marraine eut du mal à se remettre de ces accusations. Et pourtant… Ce sont ses histoires qui, en formatant mon imagination, m’ont  permis d’entrer en littérature, et d’y faire carrière durant plus de quarante ans ; ce sont ses histoires qui, en ouvrant mon cœur aux délices de l’amour, ont transformé ma vie en une succession d’instants magiques, et ce, jusqu’à la fin, puisqu’une romance de conte de fées  ensoleille à présent mes dernières années.

    N‘en déplaise à maman, si j’avais suivi ses préceptes plutôt que de savourer les belles histoires de Marraine, je serais  sans doute aussi aigrie qu’elle, et j’aurais perdu ma faculté de rire de tout — même de la mort.

    Merci, Marraine !

     


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  •                                  «Un cœur avec du poil autour»

     

    C’est à Brigitte Bardot que nous devons cette définition du chien, ô combien godiche mais tellement touchante. Et tellement drôle, surtout,  quand on se reporte au passé de la dame et à l’empreinte qu’elle a laissée dans son sillage. Ma mère, si elle s’était permis des écarts de langage, eût employé ces mots pour qualifier l’actrice qui, à ses yeux, incarnait le vice à l’état brut.  Au moyen-Âge, elle l’eût sans état d’âme envoyée au bûcher, mais la très sainte Inquisition ayant vécu, l’époque était plutôt à la miséricorde.

      — Si tu ne sais pas quoi faire, dis une petite prière, me suggérait maman lorsque je m’ennuyais.

    — Une prière pour quoi ?

    — Ce que tu veux ; la conversion de B.B., par exemple. Imagine que, grâce à toi, cette pécheresse se repente et entre au couvent. Ce serait magnifique, non ? Et tu aurais ainsi gagné ton paradis !

             Dans un premier temps, le défi me plut. Je mis donc les bouchées doubles et devins d’une ferveur sans faille. Toujours fourrée à l’église, toujours en train de marmonner des patenôtres, je tournais carrément mystique. Par bonheur, Sacha Distel passa par là, puis Jacques Charrier, Gilbert Bécaud, Roger Vadim, Jean-Louis Trintignant… et tant d’autres jolis garçons dont les portraits ornaient les pages de Ciné-revue ! Il n’en fallait pas plus pour ébranler mes certitudes et faire vaciller ma détermination.

             « Finalement, me dis-je, c’est une chance que Dieu ne t’ait pas exaucée. Si cette pauvre fille était devenue bonne sœur comme tu le souhaitais, tu vois ce qu’elle aurait raté ?  »

    Dès lors, privilégiant les agréments terrestres, je fichai la paix au Ciel et remisai mon chapelet sous une pile de journaux peoples (comme on dit aujourd’hui)

     

    Brigitte Bardot me doit une fière chandelle !

     


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  •                              Je suis comme une pluie qui goutte

    (Toutes mes excuses à feu Claude Duneton pour le détournement de son titre, mais je n’ai pas pu résister)

     

    Quand, vers douze ans, quelques poils frisottants firent leur apparition sur mon pubis, d’horribles soupçons m’assaillirent. Les autres filles de mon âge présentaient-elles les mêmes symptômes ? Ou étais-je la seule à être affectée de cette pilosité particulièrement mal placée ?  

    L’époque étant à la pudeur extrême, nulle information ne vint éclairer ma lanterne. Avec ma mère, on ne parlait jamais de « ces choses-là, » (comprendre : « ce qui se situait sous la ceinture »), avec les copines non plus (nous avions dépassé l’âge du touche-pipi). Le dictionnaire familial n’y faisait aucune allusion, et ni Victor Hugo, ni Jules Verne, ni James Oliver Curwood  (mes auteurs favoris) n’abordaient la question dans leurs livres.

    Puis sortit le film de Jacques Baratier, Dragées au poivre, et, comme toute ma classe l’avait adoré, je pris prétexte d’une révision chez une amie pour aller le voir en cachette. Alors là… alors là ! Paf, sans préambule, une scène de strip-tease, et un petit minou noir dans l’échancrure d’un porte-jarretelles ! On m’aurait montré le Bon dieu en personne, que je n’aurais pas été plus heureuse. Ainsi, j’étais donc normale ? Même les stars de cinéma avaient de la fourrure à cet endroit. En plus, elles l’exhibaient devant les caméras. Ce n’était donc pas honteux., mais plutôt excitant, à ce que je crus comprendre.

                 C’est depuis ce temps-là que je suis cinéphile.


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  •                                                  Gigot, t’es cuit !

     

    Olivier était l’adolescent le plus cool de la terre — enfin, à la maison. En classe, c’était une autre paire de manche. Il avait un problème avec l’autorité. Que dis-je, un problème ? Un véritable contentieux ; un rejet viscéral, une insurmontable aversion. Bref, en un mot comme en cent, mon fils était « autoritophobique ». Souffrant pour ma part, d’un syndrome similaire, je ne pouvais décemment pas le lui reprocher. Mais bon, c’était un fait  indéniable : mon délicieux fiston devenait incontrôlable sitôt franchi le seuil du collège.

             Ce double visage —  dont je mis longtemps à prendre conscience —, m’apparut dans toute sa complexité,  le jour où le directeur, M. Gigot,  nous convoqua, Alex et moi.

                — Votre fils, s’est rendu coupable  à mon encontre d’un acte de vandalisme de nature insultante, nous annonça-t-il tout de (gi)go. J’espère que vous prendrez les mesures qui s’imposent.

    Et, ni une, ni deux,  il nous entraîna devant le mur du C.D.I. que recouvrait un grand drap blanc, destiné à masquer ce qu’il y avait dessous.  

              Et, dessous, qu’y avait-il ? Je vous le donne en mille.

    Une fresque.

    Dessinée par Olivier.

    Que d’un geste solennel notre mentor dévoila, comme on dévoile une œuvre d’art dans une galerie.

    Nous en eûmes, force m’est de l’avouer, le souffle coupé, non par la beauté de l’œuvre en question, mais par l’audace de son sujet.        

             « Que représentait-elle donc, cette fameuse fresque ? » vous demandez-vous sûrement.

             Un couple, ni plus ni moins ;  un couple très tendre. M. Gigot, reconnaissable à sa grosse barbe noire, en train de sodomiser le surveillant général, petit maigrichon chauve aux dents proéminentes.

             En guise de signature, une écriture que nous connaissions bien avait soigneusement calligraphié ces mots : « Gigot, t’es cuit ! »

             Aussi incongru que cela paraisse, nous éclatâmes de rire.

             Le directeur nous foudroya du regard.

    — Ça vous amuse ? lâcha-t-il, glacial. Eh bien, je ne vous félicite pas.

             A l’évidence, il s’attendait à tout sauf à cette réaction.

    — Olivier est doué pour la caricature, enchaîna placidement Alex. On devrait peut-être l’inscrire aux Beaux-Arts. Qu’en penses-tu, chérie ?  

             J’approuvai  d’un hochement de tête. Notre interlocuteur, qui nous examinait en alternance à travers ses lunettes de myopie, finit par demander :

    — Quelle profession exercez-vous, monsieur ?

     — Dessinateur de BD, répondit Alex, avant d’ajouter (avec une évidente jubilation) :

    — …  au journal Hara-kiri.

    Une sorte de soulagement indigné passa sur les traits de M. Gigot. Ah, il comprenait mieux, là ! Au  moins notre attitude était logique. Inacceptable, certes, mais cohérente.  Et qu’on ait  procréé un voyou de cette trempe ne le surprenait guère.

    — Et vous, madame, quel est votre métier ? interrogea-t-il en se tournant vers moi, dans l’espoir illusoire de trouver une alliée

    — Euh… rédactrice dans la presse gay.

     L’espace d’un instant, je crus que le pauvre homme allait péter les plombs, ou a minima éclater en sanglots. Mais, il se ressaisit,  se leva, et, nous montrant la porte, glapit d’une voix rauque :

       — Je vous ferai parvenir d’ici une quinzaine la facture des travaux de réfection.

      Olivier, qui nous attendait dans le couloir, nous emboîta aussitôt le pas, sans commentaire mais le cœur léger.

    Aujourd’hui, il est écrivain,  comédien, chanteur, humoriste, et de nombreux établissements scolaires l’invitent à rencontrer les collégiens pour leur parler de ses débuts. Inutile de préciser que ces petites conférences ont beaucoup de succès.

     


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