• Muriel

      Devenir héros de roman n’est pas du goût de tout le monde. Lorsque parut mon premier livre, « Et Rose elle a vécu », je m’empressai de l’envoyer aux copines de classe dont j’avais conservé l’adresse, puisque j’y évoquais notre passé commun. Partant du principe qu’il y a plus d’un âne au moulin qui s’appelle Martin, j’avais naïvement mis leurs vrais prénoms. La plupart d’entre elles, devenues entre-temps des femmes mûres, me remercièrent vivement. Cette lecture, m’assurèrent-elles, avait, durant quelques heures, ranimé leur adolescence, et un p’tit coup de jeunesse est toujours bon à prendre. Seule note discordante dans cet aimable concert : Muriel. C’était d’autant plus surprenant que je lui avais donné un rôle flatteur, vu qu’entre treize et seize ans, elle était mon idole. Je la trouvais belle, intelligente, bien sapée, gentille — bref, je la parais de toutes les qualités, et les pages la concernant reflétaient fidèlement cette admiration.

             «  Je trouve odieux, m’écrivit-elle, que mon image soit galvaudée par une écrivaillonne en mal d’inspiration. Tu me prêtes des paroles que je n’ai jamais dites et des sentiments que je n’ai jamais éprouvés. Si tu as besoin de personnages, invente-les mais ne pollue pas la mémoire des autres par tes soi-disant souvenirs bidons ! »

             Depuis, je prends toujours soin de changer les noms. Sauf ceux des amis sûrs, évidemment ! Et des morts — et encore...



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  • Un très joli article sur mon recueil de nouvelles paru chez Rivière Blanche : http://www.psychovision.net/livres/critiques/fiche/1063-memoire-dune-aveugle>  

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  • Le piège des apparences

      Elle était vraiment réussie, cette photo. Sur les conseils de tante Bernadette, j’avais coupé mes cheveux « à la garçonne », Sylvain m’avait offert un petit Perfecto mignon comme tout et je portais les Doc’s de Mélanie, devenues trop petites. De plus, j’avais retiré mes lunettes pour cause de reflets. Le résultat était surprenant : je ne me ressemblais pas du tout. Mais cette motarde androgyne me ravissait, si bien que j’en fis plusieurs tirages et m’en servis, désormais, comme portrait de presse et de salons. 

             Mal m’en prit. Quelques mois plus tard, invitée pour des rencontres scolaires dans le sud de la France, je descends du train et cherche des yeux la personne venue me « réceptionner ». En général, on se repère mutuellement du premier coup d’œil, mais cette fois, ce n’est pas le cas. Il y a bien, sur le quai, un monsieur entre deux âges qui scrute les voyageurs, mais son regard me survole avec indifférence. J’en conclus que mon chauffeur (ou ma chauffeuse) a dû être retardé(e), et m’assieds sur un  banc pour l’attendre.

             Un bon moment passe. Le quai se vide, nous laissant seuls, le monsieur et moi. Alors, il s’approche et, timidement, me demande :

             — Vous ne seriez pas Gudule, par hasard ?

             J’acquiesce. Et lui, très embarrassé :

             — Excusez-moi, je ne vous avais pas reconnue. Sur la photo que vous nous avez envoyée, vous avez l’air beaucoup plus...

             Il ne dit pas « jeune » mais le pense si fort que ça s’inscrit, comme une bulle, au-dessus de sa tête.

             — ... euh...je... j’attendaiis une dame d’une trentaine d’année, vous comprenez ?

             Puis, conscient d’avoir gaffé, il s’inquiète :

             — Je ne vous ai pas vexée, au moins ?           

              Je le rassure d’un sourire et m’empresse de changer de sujet. S’il y a bien une chose que je déteste, c’est mettre les gens mal à l’aise.

              À dater de ce jour, je n’ai plus fait usage de la fameuse photo.

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  • Arthur

       Encore un loupage de coche ? Allez, un beau. Un très très beau.

             En 2001, je reçois un coup de fil de Michel D., directeur des Belles Lettres.

             — J’ai un célèbre cinéaste dans mon bureau, m’annonce-t-il de but en blanc. Extrêmement célèbre. Bien plus que Jean Rollin...

             Troublée par son insistance, je réponds : « Ah bon ? » en me demandant où il veut en venir.

             — Ce cinéaste a une idée de livre jeunesse. De la fantasy. Mais comme il n’a pas le temps de l’écrire, nous avons pensé à toi...

             Je décline aussitôt. Primo, la fantasy, c’est pas mon truc. Deuzio, j’en ai ras-le-bol de barboter dans les idées des autres : je viens de me taper vingt-huit épisodes de « L’Instit », ça suffit comme ça. Et surtout, je suis dans une année faste ; mes livres paraissent un peu partout,  c’est à peine si j’assure ma propre production. Je n’ai donc ni l’envie, ni la disponibilité de servir de « nègre » à un cinéaste, si célèbre soit-il.

             — En revanche, ajoutai-je, j’ai parmi mes amis d’excellents écrivains qui ont besoin d’argent...

             Je lui donne deux ou trois numéros de téléphone, et je raccroche, l’âme en paix.

             L’année suivante, sort « Arthur et les Minimoys », signé Luc Besson et Céline Garcia (que je ne connais pas). Ce livre remportera le succès que l’on sait, fera l’objet d’une série adaptée à l’écran et inondera le marché de produits dérivés.

              Le jour où, convoquée à la BNP pour mon découvert, je tomberai sur des affiches d’Arthur devenu entre-temps l’emblème de cette banque, je rirai jaune. 



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  • Spermu

      Vous vous souvenez de Freddy, le chien défiguré ? Il avait une autre caractéristique, liée, selon moi, à son traumatisme : il était atteint de priapisme aigu. La moindre émotion, la plus petite contrariété lui provoquaient d’incroyables érections. Afin de le soulager, Mélanie, bonne fille, lui préta son nounours favori, dont il s’empressa d’user et d’abuser. Informe, malodorante mais follement aimée, la malheureuse peluche — que nous avions surnommée Spermu — lui devint très vite indispensable. Il la traînait partout avec lui, et à tout bout de champ, lui rendait de vigoureux hommages, de préférence en public.

             Nous prévenions nos invités qui, ma foi, trouvaient la chose plutôt divertissante. Ceux qu’elle gênait  détournaient pudiquement les yeux et haussaient le ton pour couvrir ses halètements, mais ils étaient rares. Nous fréquentions assez peu de puritains, dans l’ensemble.

             Jean Rollin, qui pourtant préférait les chats, trouvait ce spectacle irrésistible. Avec sa gueule cramée, ses grandes oreilles de chauve-souris et sa frénésie sexuelle, Freddy ne pouvait que le séduire ! Aussi, un jour, décida-t-il de le filmer en pleine action, afin d’agrémenter le générique de son prochain film. Il fit venir son équipe — cameraman, éclairagiste, preneur de son — et l’on mit l’animal sous le feu des projecteurs.

             Eh bien, vous me croirez si vous voulez, il ne voulut jamais s’exécuter. Impressionné par tout ce monde, il se cacha en tremblant sous le pull de Mélanie et ne regarda même pas Spermu, qu’elle lui tendait. Après plusieurs tentatives infructueuses, l’équipe dut remballer son matériel et repartir bredouille, au grand dam de Jean, pas content du tout. 

             Le calme à peine revenu, Freddy sauta sur son nounours et  rlan, rlan, s’en donna à cœur joie. C’est qu’il avait une grosse angoisse à évacuer,  pauvre bête !

             — Tu ne deviendra jamais vedette de cinéma X, lui dit gentiment Mélanie.

             Eh ! L’exhibitionnisme a ses limites !



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