• Beata solitudo, sola beatitudo 

       Après la parution, en 1989, de « Et Rose elle a vécu » (version retitrée d’ « Autopsy d’une conne ») aux éditions Denoël, deux romans et une nouvelle sont programmés l’année suivante. Ça y est (crois-je, ô naïve enfant !), j’ai enfin trouvé MON éditeur. Celui que j’attends depuis toujours. Celui qui va me prendre en charge, me servir à la fois de père, de mère, de mentor, et me hisser au firmament de la littérature. Gloria, alleluia !

             Jacques Chambon, avec sa collection « Présence du fantastique », est en grande partie l’artisan de ce prodige. L’Editeur avec une majuscule a donc, pour un temps, son visage. Aussi, quand il me dit : « Ce soir, nous organisons une petite fête à l’occasion de (je ne sais plus quoi), j’espère que tu seras des nôtres », je ne me sens pas le droit de refuser. D’ailleurs, en ai-je envie ? Mon plus cher désir n’est-il pas de m’inclure dans cet univers mythique, de m’y fondre enfin corps et âme ?

             Oui-da, mais encore faut-il en être capable.

             A l’heure dite, je me pointe rue du Bac. La grande salle du premier étage est pleine à craquer. Des gens très à l’aise papotent, le verre à la main, se sourient et se congratulent. Il y a là le gratin des auteurs de SF qui deviendront, par la suite, mes copains. Mais pour l’heure, ce sont des inconnus. Jacques va d’un groupe à l’autre, affable, volubile. Il ne s’aperçoit même pas de ma présence, et pour cause ! je reste sur le pas de la porte, paralysée de trouille.

             J’essaie de prendre sur moi, de me conditionner. « Allons allons, me dis-je, ils ne vont pas te manger. Pour une fois, cesse de jouer les pucelles effarouchées. Affronte la foule, conduis-toi en adulte ! » Que dalle, je flippe trop. Et en plus, à force de piétiner sur le seuil comme une andouille, je vais finir par me faire remarquer.

             Le bureau de Jacques Chambon se trouve sur le même palier. Je m’y planque en catimini. C’est là que, venu chercher un quelconque bouquin, il me trouve une heure plus tard, plongée avec délice dans « Le nid », de Lisa Tuttle.

             — Qu’est-ce que tu fiches ici ? s’étonne-t-il.

             — Ben... euh... je lis. 

             — C’est à côté que ça se passe, t’es au courant ?

             — Oui, mais je connais personne...

             Avec un soupir de consternation, Jacques Chambon m’embarque. Tant pis pour lui, je lui collerai aux basques toute la soirée !

      


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  • Feuilleton éditorial 

    On va encore dire que je règle des comptes, et on aura raison. Mais comme les on-dit m’ont toujours glissé dessus, je ne vais pas me gêner.

             Après la publication, en 2008 et 2009, de mes recueils de contes « Princesse Zoumouroud » et « La fiancée du singe », je propose à Hachette un troisième opus : « La petite reine qui sauva les arbres ». Ce recueil, comme les précédents, a un fil conducteur, en l’occurence le respect de la nature. Dix contes de tous pays, précédés d’un avant-propos destiné aux lecteurs de 9 à 13 ans — et, éventuellement, à leurs enseignants —, développent cette thématique hautement actuelle.

             La directrice de collection, Nadine B., à qui je soumets mon idée, l’accepte avec enthousiasme, avant de me rappeler un mois plus tard pour m’annoncer, fort embarrassée, que le projet a été rejeté par sa direction. Entre-temps, bien sûr, j’ai écrit les contes en question... Qu’à cela ne tienne, je les replace dans divers recueils qui paraissent chez d’autres éditeurs — hormis, par pur hasard, celui qui porte le titre-phare.

             Une année s’écoule avant qu’Hachette me re-sollicite. Mon projet est revenu sur le tapis, m’annonce joyeusement Nadine, et cette fois, les grands pontes l’approuvent. À une condition, cependant : que le nombre de contes soit porté à vingt.

             — Vingt histoires sur le même sujet ? protestai-je. Ça fait beaucoup ; il y a des risques de redite.

             Afin de me convaincre, Nadine s’engage à doubler également l’à-valoir ; donnant-donnant. Dans ce cas...

             Je me remets au travail, et écris laborieusement dix-neuf nouveaux contes. Nadine les lit, exige quelques modifications mineures (dont un changement de titre : le recueil s’intitulera désormais « Le croqueur de lune ») et m’envoie un contrat que je m’empresse de retourner, signé.

             Un mois plus tard, comme je n’ai toujours pas reçu mon exemplaire contresigné, je lui téléphone pour le lui signaler.

             — C’est normal, déplore-t-elle. Ma hiérarchie conteste le montant de l’à-valoir. Ce recueil vous sera payé le même prix que les deux autres.

             — Il m’a demandé deux fois plus de travail, protestai-je.

             — Ce n’est pas moi qui décide, malheureusement. Je vous établis un nouveau contrat ?

             Que faire, sinon accepter ? Un à-valoir sous-estimé, c’est mieux que rien... Rebelote, donc. Mais l’exemplaire contresigné ne me parvient pas plus que le précédent, et pour cause :

             — Les commerciaux s’opposent à la publication de ce livre, m’avoue Nadine, complètement mortifiée. Le conte n’est plus un genre assez vendeur, selon eux.

      Voilà comment « Le croqueur de lune » a atterri aux éditions Mijade où il fait, depuis, un bien joli score !        


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  • Déni de soie

      J’ai toujours souffert de ne pas être conforme au portrait que se faisait ma mère de « la fille idéale ». Elle m’eût voulue sérieuse, élégante, l’allure conventionnelle, le parler discret, les idées étroites. Or, j’étais tout l’inverse : échevelée, toujours en salopettes ou en vieux jean’s troués, disant des gros mots, écrivant des cochoncetés et tournant tout en dérision — surtout le sacré. Pauvre maman, qu’avait-elle donc fait pour mériter ça ? 

             Une année, taraudée par le remords, je décidai de remédier à la chose. De lui offrir, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie, une fille conforme à ses désirs (du moins en apparence). Je vivais à Paris, à cette époque. Bien que peu argentée, j’avais quelques économies que je claquai allègrement dans une boutique de fringues, chez un coiffeur et au rayon cosmétique de Monoprix. Ce fut donc vêtue d’un tailleur bleu marine, perchée sur des talons hauts, maquillée et permanentée que je pris le train pour la Belgique. J’avoue m’être, durant tout le trajet, regardée dans le reflet de la vitre, en me demandant avec consternation qui était cette pétasse qui me ressemblait si peu. Mais bon, l’amour filial justifie, quelquefois, ce genre d’auto-trahison...

             En débarquant à Spa, je m’attendais à des exclamations de surprise, des compliments ravis ou, au minimum, une approbation émue. Eh bien pas du tout. Ma mère m’examina de la tête aux pieds d’un œil critique, avant de remarquer, mi-figue mi-raisin :

             — Qu’est-ce que c’est que ce déguisement ? Tu es ridicule, ainsi.

             Une telle clairvoyance me laissa sur le cul. Dix minutes plus tard, je réenfilais avec soulagement ma salopette (que j’avais pris la précaution d’emporter dans mes bagages), puis me passai la tête et le visage sous l’eau.

             — Ah ! s’exclama ma mère, en me voyant sortir de la salle de bains, la tignasse encore toute dégoulinante. Je te retrouve enfin, ma chérie !

             On ne m’a jamais fait de plus beau compliment.

     


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