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ROSE 25
COMME UN BATTEMENT DE CŒUR
— Ça a été, avec les enfants ? s'enquiert Rose en descendant de voiture.
Ses seins gonflés de lait sont plus durs que la pierre. Olivier doit être affamé.
— Très bien, répond Amir. On a joué aux autos, hein, Grégoire. Et le bébé a dormi tout le temps. Comment as-tu trouvé Omane ?
— Moins mal que je ne le craignais. Elle prend les choses avec un calme surprenant. Une leçon de dignité.
—Ça ne durera pas.
—Pourquoi tu dis ça ?
— Elle est encore anesthésiée par le choc, mais quand elle réalisera… On en a longuement discuté avec ce matin, avec Rachad. Il craint le pire.
—Quoi, comme pire ?
— Je ne sais pas, moi. Qu'elle fasse une dépression, qu'elle rejette son enfant…
Un vagissement rappelle Rose à l'ordre.
— Tiens, voilà Olivier qui se réveille. C'est pile poil l'heure de la tétée. Il a une horloge dans le ventre, ce môme.
Tout en grimpant quatre à quatre vers la chambre, elle commente:
— Rejeter son enfant ? T'es complètement à côté de la plaque, mon pauvre vieux. Tu ne connais pas Omane. Tu ne connais pas les mères.
Dans la seconde qui suit, Olivier est "branché".
— D'ailleurs, la petite Nadège est vraiment très mignonne, continue Rose en redescendant, le nouveau-né soudé aux mamelles. Elle n'a pas du tout un physique d'anormale.
— Ça ne se voit pas encore. Malheureusement, quand elle va grandir…
— Qu'est-ce que tu en sais ? Si ça se trouve, ce ne sera pas aussi grave qu'on le croit.
— Rachad s'est renseigné : elle aura de toute façon des problèmes moteurs.
—C'est sûr à cent pour cent ?
— Oui. Comme elle est trop petite pour subir des tests, on ne peut pas encore mesurer avec exactitude l'ampleur des dégâts, mais les médecins sont pessimistes...
Rose frissonne. Dans le temps, à Bruxelles, parmi les retraités de la paroisse auxquels elle servait à goûter, le jeudi après-midi, il y avait une handicapée de cette sorte. Une femme d'une cinquantaine d'année, en fauteuil roulant, aussi intelligente que vous et moi mais incapable de coordonner ses mouvements, y compris ceux de sa bouche quand elle parlait. En résultait une élocution laborieuse et de permanentes contorsions.
Un jour, cette femme avait dit à Rose : « Tu es gentille, toi, je t'aime bien. Tu aurais pu être ma fille. » Et cette petite phrase, contenant toute l'amertume du monde, était restée gravée dans sa mémoire.
—C'est injuste, souffle-t-elle.
Elle serre Olivier contre elle, en pensant (oh, involontairement et de manière si diffuse que cette pensée-là n'en est pas vraiment une ; c'est juste une pulsion, comme un battement de cœur) :
« Heureusement que ce n'est pas tombé sur toi, mon petit chéri. » Puis elle a honte d'elle-même.
Et relâche son étreinte.
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Commentaires
1TororoSamedi 25 Janvier 2014 à 10:59Répondre
As-tu lu "Où on va, papa ?" De Jean-Louis Fournier ? Il raconte la vie avec ses deux enfants handicapés physiques et mentaux.
Une merveille d'humour et de tendresse. Prix Fémina 2008.
Bonjour Gudule.
Ça n'empêche pas la compréhension vis-à-vis des enfants des autres qui n'ont pas eu cette chance…12Pata lVendredi 29 Août 2014 à 13:28
Ça prouve qu'on est humains; et pas des pires car ceux là ne sont pas doués d'empathie et ne se projettent absolument pas dans le malheur !13Pata lVendredi 29 Août 2014 à 13:28
C'est souvent les gens qu'ont connus le très noir qui savent le mieux saisir les nuances de la lumière... Ou les artistes, et ici, on en croise beaucoup !
Et c'est tant mieux !
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