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                                    Le coup du parapluie (suite et fin)

     

             Frédéric avait une vingtaine d’années quand il commença à travailler dans le cinéma — comme accessoiriste, d’abord, puis ensemblier, et, plus tard, chef déco. Un jour, croisant Richard Bohringer sur un plateau, il ne résista pas au plaisir de lui lancer :

             — Bonjour papa !

             Et comme l’acteur restait bouche bée.

             — Je suis le fils de Gudule, précisa Fred avec un grand sourire. Paraît que tu vas jouer le rôle de mon père ?

             Allez savoir pourquoi, ces deux-là ont illico sympathisé…

     


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                              Le coup du parapluie (suite)

     

             Contrairement à ce que j’espérais, une fois le bouquin sorti (sous le titre softisé d’Et Rose elle a vécu), plus personne n’envisage de le porter à l’écran. En revanche, la télévision belge s’y intéresse, ce qui lui vaut un joli reportage avec interview et lecture de passages en voix off, illustrant une promenade bruxelloise, dans les lieux où se déroule l’histoire.

             Bohringer, cependant, l’encense toujours. A chacune de nos rencontres, il m’en reparle, mais, curieusement, les mots qu’il emploie ressemblent à s’y méprendre à ceux de Bernard W. (la verve impertinente, le sens de l’autodérision, les pirouettes syntaxiques, vous vous souvenez ?), et le seul passage dont il paraît se souvenir est celui du parapluie. Une question me taraude : Est-ce que, par hasard, il n’aurait pas lu le reste ? Imaginons une seconde que Bernard se soit chargé seul de tout le travail éditorial, résumant l’intrigue à son directeur de collection, lui montrant les meilleurs chapitres, faisant à sa place l’analyse de texte, comme un bon élève se tape les devoirs d’un cancre pour lui épargner la corvée… Imaginons, dis-je, que l’acteur célèbre dont je suis si fière d’être la « pouliche », n’ait occupé ce poste que pour des raisons promotionnelles ? Qu’il ait servi de potiche, en quelque sorte ? De faire-valoir ? De label ? Quelle déception !

     


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                                   Le coup du parapluie

     

             Après avoir longtemps cherché un éditeur pour mon premier roman, Autopsy d’une conne (voir chapitre 94 du présent recueil), j’eus enfin la joie d’être acceptée par Denoël dont le directeur commercial, Bernard W. cherchait des auteurs décalés pour sa nouvelle collection : « Périphériques ». À la base de ce projet, le succès phénoménal de C’est beau, une ville la nuit.

             — Cette collection sera dirigée par Richard Bohringer en personne, m’expliqua Bernard lors de notre première entrevue. D’ailleurs, je viens de lui donner votre manuscrit dont j’ai apprécié à leur juste valeur la spontanéité, la verve impertinente, le sens de l’autodérision et les pirouettes syntaxiques.

             Je reçus ces mots divins comme le saint-Sacrement. C’était la première fois que ma prose me valait de tels compliments, surtout de la part d’un grand éditeur. En général, elle suscitait plutôt des froncements de nez, une bouche pincée ou un haussement d’épaules suivi d’un « ouais, bof » mitigé.

             Je flottais toujours sur mon petit nuage quand, dans l’après-midi, le téléphone sonne à mon bureau.

             — Guduuule !, hurle la standardiste, excitée comme une puce, y a Richard Bohringer pour toi, à l’appareil !

             Le cœur battant à tout rompre, je décroche, et me parvient une voix dont tout le monde connaît les accents éraillés.

             Or, cette voix, non contente de titiller ma fibre cinéphile, me déverse dans l’oreille une bordée de louanges qui en feraient rougir de plus coriaces que moi. R.B. vient de finir mon livre et, en substance, l’a adoré. Surtout la scène du parapluie qu’il décortique longuement.

             — J’adore le personnage de Louis de Backer, conclut-il. Ce rôle est taillé sur mesure pour moi. Je vais en causer à Jean-Jacques Beineix.

             Cette fois, c’est carrément les trompettes de Jéricho.

     

     


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                                            Esprit de famille

     

             Pierre, le mari de ma Marraine, était un fou de vieilles voitures. Et, comme tous ses semblables, il aimait partager sa passion. Quand, après notre mariage, Alex et moi allâmes leur rendre visite, au cœur des Ardennes belges, il n’eut rien de plus pressé que d’embarquer son « nouveau cousin » dans sa dernière acquisition : une Lotus, si je me souviens bien. La légendaire voiture de Patrick Mc Goohan dans la série anglaise Le Prisonnier.

             ­ — On va la tester sur le circuit de Francorchamps ? proposa-t-il. C’est juste à côté, et tout est prévu pour faire de la vitesse.

             Une demi-heure plus tard, ils revenaient à pied.

             — Pierre m’a passé le volant et j’ai perdu le contrôle, nous expliqua Alex d’un air penaud. Pas l’habitude de conduire des bolides pareils, moi ! Je suis désolé…

             Alors Pierre, sans une once de rancœur ;

             — Pas de problème ; maintenant, tu fais vraiment partie de la famille.

             Ah, c’était un sacré bonhomme, mon cousin Pierre !

     


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                                            Les ballerines

     

             Mélanie nous avait fait tout un cirque : c’était cette paire-là qu’elle voulait, et pas une autre. Or, « cette paire-là » coûtait bonbon et je n’avais pas une thune.

             — Demande à ton père, lui conseillé-je.

             Sans hésiter, elle courut chez Alex et l’entraîna vers le magasin de chaussures. Ils en sortirent une demi-heure plus tard, aussi fiers l’un que l’autre ; lui de s’être acquitté brillamment de sa tâche, elle d’avoir des pieds de danseuse.

             Après m’être extasiée sur leur acquisition, je recommandai à ma fille :

             — Tu y feras bien attention, n’est-ce pas ! Parce qu’à ce prix-là, on ne t’en rachètera pas d’autres !

             Recommandation inutile ! Mélanie n’avait d’yeux que pour ses jolies ballerines, sur lesquelles elle veillait jalousement, et qu’elle bichonnait avec amour.

             Le surlendemain, vers midi, j’attends son retour de l’école quand on frappe à la porte.

             — Etes-vous la maman de la petite Mélanie ? demande un voisin que j’ai aperçu quelquefois dans le quartier.

             Je sens un éclair glacé me vriller l’échine.

             — Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

             — Elle vient de se faire renverser par une voiture…

    Dans la seconde qui suit, je dévale l’escalier et fonce vers l’attroupement qui piétine devant l’immeuble.

             — Où est la petite fille qui a eu un accident ?

             — Les flics l’ont emmenée à Lariboisière, même qu’elle ne voulait pas y aller. Elle trépignait en réclamant sa mère.

             Ces mots me crucifient.

             — Pourquoi ne m’a-t-on pas prévenue ? Je suis la première concernée, quand même ! Et j’habite juste là.

             Mimique incertaine de la foule.

             — Tout s’est passé si vite ; on ne nous a pas demandé notre avis…

             — Ils sont partis depuis combien de temps ?

             — Cinq minutes à peine.

    En tremblant comme une feuille, je remonte chez moi, téléphoner à Alex et appeler un taxi.

             Comme il n’y en a pas de libre ; je cours d’une traite jusqu’au métro.

             Inutile de m’attarder sur les visions horribles qui me traversent l’esprit durant le trajet. En proie à une angoisse indescriptible, je me ronge les ongles jusqu’au sang. J’imagine déjà ma petite fille mutilée, handicapée à vie…

            

             À peine arrivée, je fonce aux urgences où je la trouve en larmes, assise dans un fauteuil roulant. Son père est déjà là, qui la serre dans ses bras, aussi bouleversé qu’elle.

             — Tu as mal, ma chérie ?

    Et elle, dans un sanglot :

             — Non, pas du tout. J’ai jamais eu mal, d’ailleurs, mais quand je leur ai dit, « ils »n’ont pas voulu me croire.

             — Pourquoi tu pleures, alors ?

             — La méchante infirmière a abîmé mes ballerines !

             L’accusée, qui a surpris ces derniers mots, s’empresse de se justifier :

             — On a dû découper sa chaussure pour la lui retirer : comme la roue de la voiture a heurté sa cheville, le docteur craignait une fracture et a demandé une radio. Je vous rassure tout de suite, elle n’a rien.

             Découper sa chaussure ! Ce sacrilège méritait une compensation.

             En rentrant, nous fîmes un détour par le magasin de chaussures, où il restait, par chance, une paire de ballerines blanches à la bonne pointure.

             Réaction de Mélanie :

             — Oh, je suis bien contente : elles me plaisent encore mieux que les roses ! La prochaine fois, je pourrai avoir les dorées ?

     

            

     


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