• grands moments de solitude 140 (tome 2)

     

                                     Angoulême

     

            Nous nous étions connus au salon de la bande dessinée de Clichy dont il était le fondateur. Il s’appelait Esteban et ressemblait trait pour trait au Maxime Le Forestier de l’époque ; celui de La Maison bleue, voyez ?

             Or, un beau matin, le voilà qui m’appelle.

             — La ville d’Angoulême veut organiser un festival annuel dans le même esprit que le nôtre, m’annonce-t-il. On m’a proposé de m’en charger, mais j’ai besoin d’une assistante. Toi qui connais tout le monde dans le milieu de la BD, ça ne t’intéresserait pas ?

             Et comment, que ça m’intéresserait ! Un job peinard, qui mettrait du beurre dans les épinards, et surtout me donnerait le sentiment d’exister. Sortir de mon ghetto d’épouse et de mère, jouer un rôle actif dans la grande aventure du « neuvième art » alors en plein essor, je ne demande que ça…

             — J’en parle à mon mari et je te donne ma réponse.

             Hélas, Alex n’est pas d’accord, pas d’accord du tout.

             — Ce type te drague, c’est visible à l’œil nu, déclare-il, péremptoire. Tout ce qu’il cherche, c’est à te mettre dans son lit.

             J’ai beau protester que bon, il se pourrait peut-être, sait-on jamais, qu’on s’intéresse à moi pour autre chose que mon cul (mon sens de l’organisation, genre, ou des relations publiques — ou même mon carnet d’adresses, pourquoi pas ?) Mais quoi que je dise ou fasse, Alex n’en démord pas. D’autant qu’Angoulême est à six cents bornes de Paris, et…

             — Tu te vois aller là-bas pour un oui pour un non ? Qui c’est qui s’occupera des gosses en ton absence, hein ?

             — Ben, toi.

             — Et mon boulot, il se fera tout seul ?

             — Et le mien ?

             — Pfff, l’organisation d’un petit salon de rien du tout, tu appelles ça du boulot ?

             Bref, de fil en aiguille, le ton monte, l’énervement aussi, et, comme d’hab’, je finis par céder. Les bras de fer, je suis pas taillée pour.

             De guerre lasse (mais la rage au cœur), je téléphone à Esteban pour lui faire part de notre (!) décision, mais, quand je demande à lui parler, la standardiste m’annonce :

             —Il est décédé hier d’un accident de voiture.

             Voilà qui met un terme à notre différend.

     

             Quarante-cinq ans plus tard, le Festival d’Angoulême reste la référence internationale en matière de BD.

            

     

                                                            * neuvième art = Bande dessinée

     

     

     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 19 Octobre 2015 à 16:27

    Un petit salon de rien du tout, quoi...

    2
    Mardi 20 Octobre 2015 à 13:40

    Ça c'est une belle foirade.

    Moi j'aurais bien vu Gudule au salon de la BD :

    Comme le temps paxe

    3
    Pata
    Mercredi 28 Octobre 2015 à 23:55

    Dommage... Esteban des cités dort à jamais maintenant.

    Et le festival continue, ainsi que la vie autour ^^

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