-
grands moments de solitude 141 (tome 2)
Odeurs de sainteté
Quand j’étais enfant, l’on trouvait, dans les boutiques d’objets pieux, des images parfumées, généralement au lys lorsqu'elles représentaient la Vierge ou Saint Joseph, à la rose — pour les Jésus blonds et les angelots joufflus ou, plus banalement, au muguet-jasmin, pour le tout-venant des bienheureux. Je les collectionnais avec ferveur. Mes parents, fort croyants, m'ayant fabriqué un paradis de pacotille, peuplé d'une faune ma foi bien attirante, j'y barbotais sans une once d'esprit critique, pour mon, je l'avoue, plus grand bonheur. Les saints, les saintes, les anges, si beaux dans leurs atours flottants et couronnés d'auréoles lumineuses, c'étaient mes stars à moi. Mes idoles. Je leur dois mes premiers émois sensuels. Je me revois à cinq, six, sept ans, fermant les yeux et respirant à pleins poumons ces édifiantes bouffées qui me pénétraient jusqu'à l'âme. Sous l'effet de la magie olfactive, les naïfs chromos s'animaient ; je voyais des Vierges bleues et blanches me tendre les bras, je sentais la douceur de leur main dans la mienne, la légèreté de leurs lèvres sur mon front. J'entendais les chœurs célestes, le délicat frôlement des ailes des chérubins, et j'avais sur la langue un goût d'éternité sucrée. Bref, tous mes sens, éveillés par la puissance évocatrice de l'odorat, s'unissaient pour hisser mon imagination vers le ciel — celui, je l'avoue, non point des chastes prières, mais le septième, celui des émois charnels et des païennes allégresses. Ainsi, à leur insu, les dévots concepteurs de ces bondieuseries, par la puissance évocatrice de leurs « odeurs de sainteté », m'initièrent-ils au plaisir solitaire.
-
Commentaires
Ah ben, de toute façon, à une lettre près, les vierges deviennent tout autres !