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                                                  LES CLOUNES

     

    Le plus dur, c'est au coucher. Tout lui remonte : ses difficultés financières, l'état d'abandon dans lequel elle se trouve, et surtout, surtout, un criant sentiment d'injustice.

    « Ce veinard, d'Amir, rumine-t-elle — omettant à dessein d'évoquer le mal qui le ronge. Quand je pense qu'en ce moment même, il est à Zouk, près de Rachad, d'Omane, de Julie, pendant que moi, je reste dans ce pays où je ne voulais pas venir, avec tous les problèmes à gérer… C'est un comble ! »

    Faible lueur d'espoir dans son lisier mental :

    « Enfin, ça va peut-être lui donner l'envie de s'y réinstaller, qui sait ? »

    Elle se berce trente secondes d'illusions ; trente seconde, seulement. Puis sa rancœur reprend le dessus.

    « Pfff, faut pas rêver, têtu comme il est ! »

    À force, le sommeil la fuit, évidemment. Aussi, le troisième jour:

    — Vous savez quoi, les mômes ? La nuit prochaine, vous dormirez avec maman.

    Voilà qui est nettement mieux.  Bercée par les souffles enfantins, Rose retrouve la paix. Même si Olivier ronfle et si Grégoire prend toute la place.

     

     

     

                                                                 *

             Et vient le soir tant attendu.

             Il y a bien des années que Rose n'a pas mis les pieds dans un théâtre. Celui-ci, contrairement à ce qu'elle imaginait, n'est pas une salle à l'italienne pleine de dorures et de balconnets sculptés. C'est un espace moderne, rationnel, sans fioritures inutiles — qui, à ses yeux, ne mérite certainement pas de porter un nom de poète (et encore moins de nounours).

             Lili leur a retenu deux places au premier rang (Olivier se contentera des genoux maternels).

     Il y a beaucoup de monde, remarque Rose en s'asseyant.

    Ah, ça ! Tous mes élèves ont emmené leurs parents.

    C'est la vérité vraie.

    — Vincent ! crie Grégoire, en gigotant comme un beau diable sur son siège. Zean-Pierre ! Sandrine ! Ze peux aller à côté d'eux, maman ?

    — Oui, mais tu reviens tout de suite après. Sinon, ta maîtresse ne sera pas contente.

    Faux : la maîtresse a d'autres chats à fouetter. Dans la demi-heure qui suit, l'attirance instinctive qu'elle éprouvait pour Rose se confirme au-delà de ses espérances, de sorte que le lever de rideau les surprend en pleines confidences.

    Flûte, où est Grégoire ?  s'affole Rose.

    — Juste derrière nous, ne vous inquiétez pas. Avec son copain Frédéric.

    Rose se retourne : les deux gamins, assis sur le même siège et le visage identiquement levé vers la scène, arborent une même mimique d'extase.

    Soyez sages, hein ! souffle-t-elle, attendrie.

     

    Durant les soixante-dix minutes que dure le numéro, elle est scotchée. Les trois personnages qui s'agitent sur les planches la fascinent littéralement. Devant leurs dégaines hilarantes, elle a dix ans.

    Outre l'auguste aux pieds démesurés et le clown blanc classique, un curieux zozo pirouette dans le décor. Une sorte d'échalas chevelu, moustachu, portant un gilet noir sur une chemise "grand-père" et affublé — là réside son originalité — d'une sorte de siamois dont le buste en chiffon semble lui sortir du ventre. L'effet est spectaculaire, à la fois inquiétant et irrésistible.

    — C'est Lucas, mon mari, a chuchoté Lili dès son apparition.

    Chose surprenante : Pfouf —ainsi se nomme le "siamois" que Lucas, également ventriloque, anime et fait parler — acquiert, au fil des sketches, une telle réalité qu'il en éclipserait presque ses autres partenaires. De sorte qu'à l'entracte :

    Ils sont géniaux, tous les quatre, dit Rose, sincère.

    Sensible au compliment — pourtant involontaire —, Lili éclate de rire :

    —Dites tout de suite que je suis bigame !

    Oups, pardon,  pouffe Rose.

    Pour votre punition, tu me tutoieras.

     

    Après le spectacle :

    Tu viens passer un bout de soirée chez nous, demain ? propose Lili.

    Mais… c'est Noël, dit Rose.

                — Justement ! Tu es seule avec tes gosses, à ce que j'ai cru comprendre ?

    Euh… oui.

    Alors, on réveillonne tous ensemble, d’accord ?

    Une amitié vient de naître, à laquelle Rose, désormais, va se raccrocher de toutes ses forces.

     

     

     


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    UN NOUNOURS NOMMÉ JEAN TARDIEU

     

                                      

                                      

    Quand ze serai grand, ze veux être clown, annonce Grégoire.

    En voilà une idée !

    Comme le mari de ma maîtresse.

    Rose lève les yeux au ciel.

    Qu'est-ce que c'est encore que cette invention ?

    En fait, ce n'en est pas une. Le mari de Lili est réellement clown, confirmation lui en est donnée par l'intéressée elle-même. Celle-ci précise qu'il est membre d'une troupe, Les Clounes — « ah ! ah ! » s'esclaffe Rose —, qui est en train de s'imposer dans le milieu du spectacle.

    — Ils ne se contentent pas de faire les andouilles sur scène, explique la jeune femme aux dents de castor, mais ont un vrai discours, des sketchs structurés. À travers leurs grimaces et leurs cabrioles, ce sont les aberrations de la société qu'ils dénoncent. Vous devriez venir les voir : ils passent le 23 au théâtre Jean Tardieu, à côté de la bibliothèque.

    Ça me plairait bien, dit Rose, mais…

    Mais ?

    Comment avouer que trois places (même deux, Olivier ne paie peut-être pas encore ; même une et demie, à la limite) grèverait lourdement son modeste budget ?

    L'institutrice n'est pas idiote ; elle a compris.

    — J'ai droit à quelques billets gratuits, si vous voulez en profiter…

    Dans ce cas, ce sera avec plaisir.

     

    Cette conversation n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Si bien que, le soir même :

    — Dis bonzour à Zantadieu, serine Grégoire à son frère. 

    Bredouillis incompréhensible d'Olivier.

    — Zan-ta-dieu, articule Grégoire. Allez, répète après moi : Zan-ta-dieu !

    Intriguée, Rose s'approche.

    Qu'est-ce que tu racontes ?

             — Ze veux qu'Olivier dit bonzour à mon nounours, explique Grégoire.

    — Ton nounours s'appelle Jean Tardieu ?

    — Oui, comme le mari de ma maîtresse.

    Rose, morte de rire :

    — Le mari de ta maîtresse ne s'appelle pas Jean Tardieu, c'est le nom du théâtre où on va aller le voir. Et c'est aussi celui d'un grand poète — qui a écrit un truc très drôle, intitulé Conversation. Attends que je m’en souvienne… Comment ça va sur terre ? Ça va, ça va bien. Les petits chiens sont-ils prospères ? Mon Dieu, oui, merci bien. Et les nuages ? Ça flotte. Et les volcans ? Ça mijote. Et votre âme ? Elle est malade, le printemps était trop vert, elle a mangé trop de salade… J'ai oublié le reste.

    De l'index, elle chatouille le nez de son fils aîné.

    — N'empêche, je crois que tu es le seul petit garçon au monde qui ait donné un nom de poète à son nounours.

    Ma parole, ça la rend toute fière !

     

     


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                                                          MALADE !

     

    Bleum ! ça leur tombe dessus sans crier gare, à la mi-décembre. Un matin, Amir ne parvient pas à se lever. Il est livide, claque des dents, transpire abondamment et se plaint de vertiges.

    — Toi, tu a attrapé une bonne grippe,  en déduit Rose. Je vais te préparer une tisane et appeler le toubib.

    Par chance, il y en a un à l'étage au-dessus. 

    Après avoir longuement examiné le patient, lui avoir posé de nombreuses questions, prescrit des fortifiants et ordonné un repos complet, le médecin prend Rose à part.

    — Je crains que votre mari ne commence une dépression nerveuse, lui annonce-t-il. Ce genre de maladie dépasse mes compétences. Voici l'adresse d'un de mes confrères, spécialiste en neurologie.

    Mais… on n'a pas d'argent, se récrie Rose, consternée.

    Il est conventionné, la rassure le médecin.

    On n'a pas la sécu non plus : on est étrangers.

    Dans ce cas, soupire le médecin.

    Il rajoute un médicament sur l'ordonnance, en précisant :

    Donnez-lui ces cachets, ce sont des anxiolytiques.

     Quand pourra-t-il recommencer à travailler ? s'informe Rose.

     ­   — Oh, pas avant, disons… trois ou quatre mois, en étant optimiste.

    Rose avale sa salive, ce qui produit un chuintement humide dans le silence suivant le verdict.

    — Bon, souffle-t-elle.

    — Si les symptômes persistent, nous augmenterons des doses. L'idéal aurait été de l'hospitaliser, mais dans votre situation…

             Sitôt le médecin parti, Rose téléphone à Ricco pour lui faire part de la catastrophe, puis retourne auprès d'Amir.

    — Détends-toi, mon amour, et surtout ne te tracasse pas : je m'occupe de tout. Je vais te dorloter, tu vas être comme un coq en pâte.

    Une heure plus tard, Ricco est là. Rose en profite pour courir Aux bons amis.

    — Il faut absolument que je trouve du travail, dit-elle à Mme Irène. N'importe quoi, caissière, serveuse, femme de ménage. Vous ne savez pas où je pourrais m'adresser ?

    À priori, non.

    — Sans carte de séjour, pas de permis de travail, résume la troquetière. L'employeur qui vous embaucherait serait dans l'illégalité… Et vous ne pouvez quand même pas faire la manche, comme votre mari.

    Rose se mord les lèvres.

    Ben… si c'est la seule solution…

    Mais, en toute honnêteté, cette perspective la terrifie.

    — Pas question, voyons, tranche Mme Irène. Ce n'est pas la place d'une fille comme vous. Je vais me renseigner, des fois qu'ils auraient des petits boulot de secrétariat, au Parti. Vous tapez à la machine, n'est-ce pas ? Et vous avez une bonne orthographe ?

    De ce côté-là, aucun problème.

             — Je vous tiendrai au courant. En attendant, bon courage, ma petite !

    Rose repart, légèrement rassérénée. Et trouve les deux hommes assis dans la cuisine.

    Amir, tu t'es levé ?

    Oui, ça va un peu mieux.

    Il se tourne vers Ricco.

    Dis-lui, toi.

    — On a pensé à quelque chose … Mais il faut que tu sois d'accord, évidemment.

             — Quoi ? interroge Rose qui flaire le guet-apens.

             — Je rentre à Beyrouth pour les fêtes et… j'emmènerais bien ton mari.

    Rose, suffoquée :

    Et… et moi ?

    — Ricco m'offre déjà l'aller-retour, intervient Amir. Toi plus les petits, ça ferait un peu beaucoup, comme dépense, tu ne trouves pas ?

    — Je suis sûr que ce changement d'air le remettra d’aplomb, reprend Ricco, d'un ton enjoué qui cache mal sa gêne. Renouer avec sa famille, ses amis, retrouver ses racines… 

    Qu'opposer à un tel argument ? Que c'est Amir qui a voulu venir en France, pas elle ? Que, d'eux deux, c'est elle qui regrette le plus le Liban ?

             Certes, mais c'est lui le dépressif.

             — On va passer un drôle de Noël, avec les gosses, murmure-t-elle, déjà à demi-consentante.

    Si c'est pour son bien…

    Tu en es sûr ?

    — Sûr et certain. Des immigrés, je ne fréquente que ça. Tu n'imagines pas le nombre d'entre eux qui craquent. Le fait d'être loin de chez soi, confronté à une autre culture, d'autres habitudes, et en butte à l'hostilité latente des autochtones, ça vous flingue un bonhomme en moins de deux.

    Pourtant, moi, quand j'étais au Liban…

    — Tu ne vas pas comparer. Nous avons le sens de l'hospitalité, en Orient.  Les Français y sont accueillis à bras ouverts.  Mais la réciproque, n'est pas vraie, surtout vu l'activité d'Amir ces derniers temps : un Arabe, on s'en méfie déjà d'office, alors, un Arabe fauché !

    Il s'emporte, s'enflamme :

    — Ton mari en a pris plein la tronche, ces derniers mois, tu n'as pas l'air de t'en rendre compte.

    Rose, effarée :

    — C'est vrai, Amir ? Pourquoi tu ne t'es jamais plaint ? Si j'avais su que tu dérouillais à ce point, je ne t'aurais pas laissé chanter dans le métro.

    Et on aurait bouffé avec quoi, habibté ?

    — Je me serais débrouillée. Maintenant que tu es malade, on est bien avancés.

    — Justement, triomphe Ricco. Donne-lui toutes les chances de s'en sortir au lieu de ne penser qu'à toi.

    Ça, c'est le coup de grâce.

    — Bon, capitule Rose, en proie à une culpabilité monstre. Si le toubib accepte, moi aussi.

    Ce dernier, consulté, approuve avec vigueur. De sorte qu'une semaine plus tard :

    — Fais attention à toi, hein, recommande Rose, tandis qu'Amir charge sa valise dans le coffre de Ricco.

    — Ne t'inquiète pas, chérie, ce ne sera pas long : je ne resterai parti qu'une dizaine de jours.

    Tu vas nous manquer, tu sais. 

    Un coup de klaxon coupe court aux adieux :

    — Abrège, Amir, on va finir par louper l'avion. Désolé, Rose, mais faut qu'on y aille.

    Un dernier baiser, une portière qui claque. Un grondement de moteur… Rose regarde s'éloigner la voiture à travers un trouble écran de larmes.

    — Alors, ça y est, vous voilà célibataire ? lance une voix gouailleuse derrière elle.

    Du pas de sa porte, Mme Irène a assisté à la scène.

    Venez donc prendre un café, ça vous réconfortera.

    Roses, dolente, se laisse entraîner.

    — J'ai peut-être un p'tit job pour vous, poursuit la troquetière, en actionnant le percolateur.

    Ah ?

    — Dino, un camarade historien, cherche quelqu'un pour taper et corriger ses manuscrits.

    Formidable ! s'écrie Rose.

    Et, instantanément, elle retrouve son tonus. 

     

                                      

                                                  *

     

    Dino Fumetti est un homme charmant. Barbiche grise, lunettes, accent chantant, il s'exprime, comme tout Italien qui se respecte, avec les mains. Son appartement, situé au 25 rue de Stalingrad (!), déborde de livres. Rose s'y sent aussitôt à l'aise.

    Elle en repart nantie d'un énorme cahier couverts de pattes de mouches, et d'un joli billet de cinq cents francs tout neuf — avance sur un travail payé huit francs le feuillet.

    Aussitôt rentrée, elle se met à l'ouvrage.

    Ce n'est, contrairement à ce qu'elle pensait, pas une activité de tout repos. Car, outre le fait que le texte, d'une érudition qui la dépasse, est truffé d'erreurs de syntaxe, elle a beaucoup de mal à le déchiffrer. Elle s'y astreint néanmoins, avec l'énergie du désespoir. Mais au bout de trois heures d'un travail acharné, elle n'a tapé qu'un feuillet et demi, c'est-à-dire moitié moins que lorsqu'elle écrit ses propres romans.

    Qu'importe, elle a un boulot, c'est l'essentiel. Malgré la maladie d'Amir et son absence, l'avenir s'éclaire.

     

     

                             

     

     


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    NOUVELLES DÉCONVENUES

     

             Dans la foulée, Rose décide de terminer son bouquin. Après tout, écrire, c'est ce qu'elle fait le mieux. Pourquoi chercher midi à quatorze heures ? S'obstiner à mendier une petite place dans la presse ou le showbiz ? Elle n'a qu'à devenir romancière et basta.

             Cette décision a un double avantage : celui de la soulager tout en lui donnant bonne conscience. Fini d'envoyer des courriers à droite et à gauche, de solliciter des entrevues, de se faire jeter au téléphone : elle n'a qu'à s'astreindre à ses cinq heures de frappe quotidiennes, point. Ensuite, elle éditera son livre et touchera des droits d'auteur.

             D’autant que maintenant, plus rien ne l'empêche d'y consacrer ses journées entières : en l'absence de Grégoire et d'Amir, l'appartement est une bulle de silence.

             Les portes de l'enfer avance donc à la vitesse grand V.

    — Alors ? s'enquiert Mme Irène quand, sur le coup des onze heures, sa cliente débarque Aux Bons Amis pour un p'tit break.

    Tout en lui racontant le chapitre en cours, celle-ci boit un café — généralement gratuit — tandis que Béchir pouponne Olivier. Puis elle regagne dare-dare sa machine à écrire.

    À quatre heures, elle l'abandonne pour aller chercher Grégoire, fait un brin de causette avec Lili, l'institutrice, un crochet par la bibliothèque, un autre par le parc, et jusqu'au soir se consacre à sa marmaille.

    Ainsi s'écoulent les journées. Presque heureuses.

     

    Amir, en revanche, dépérit. Les traits tirés, le visage amaigri, le teint cireux, il se traîne comme une âme en peine. Il a presque perdu le mode d'emploi du rire — en présence de sa femme, du moins, car, d'après Ricco, durant leurs virées du samedi soir, il tient la forme.

    Faut dire, ils s'en donnent à cœur joie : café-théâtre, cinoche, restaurants, boîtes de nuit ;  ils goûtent sans modération aux plaisirs de Paris by nigth. Ricco est avide de découvertes, et comme c'est lui qui raque… 

    — Amir a intérêt à en profiter, tente de se convaincre Rose, en réfrénant une pointe de jalousie. Ce ne sont pas ses revenus qui peuvent lui offrir ça.

    Elle aimerait, elle aussi, jouir de cette bonne fortune. Manque de bol, il y a les gosses. Et puis, Ricco n'a peut-être pas envie de doubler les frais.

    Une seule fois, il l'a invitée. Applaudir, au café d'Edgar, un débutant du nom de Michel Colucci. Elle a bien ri (tout en le trouvant quand même un peu vulgaire) mais a refusé d'aller dîner après : c'était Mme Irène qui gardait les enfants, et elle ne voulait pas abuser de sa serviabilité. La soirée a donc été écourtée — et ne s'est pas renouvelée.

    Depuis, il n'est pas rare qu'Amir reste dormir chez son copain, prudence oblige. Mieux vaut ne pas conduire après un repas bien arrosé, et le dernier métro est à deux heures du mat'.

    Ces nuits-là, nuits de solitude, Rose met les bouchées doubles. Au lieu de se coucher dans le grand lit froid, elle s'installe à sa machine et écrit avec frénésie. L'aube la trouve souvent endormie au milieu de sa paperasse, sous le faisceau clair de la lampe.

    Dans ces conditions, elle boucle ses trois cents pages en moins de deux mois.

    — Ce livre, c'est mon troisième enfant, déclare-t-elle à son mari, en brandissant la pile de feuillets noircis. Tu veux le lire ?

    Il esquive :

    Euh, moi, tu sais, la science-fiction…

    Elle n'insiste pas — chacun ses goûts  — mais en conçoit une légère déconvenue qu'elle évite de montrer, par fierté. Puis elle photocopie son œuvre et l'envoie chez un éditeur.

    Qui ne lui répond pas.

    Quinze jours plus tard, elle téléphone. On lui explique que le délai est de trois mois, minimum, et qu'en cas de refus, son manuscrit ne lui sera pas retourné.

    C'est dégueulasse, proteste-t-elle. Ça coûte cher, les photocopies.

    Les timbres aussi, madame.

    Par la suite, elle essaiera successivement huit maisons d'édition, parmi les plus connues. Récoltera deux réponses : « Votre manuscrit, bien que présentant de grandes qualités littéraires, n'entre pas dans le cadre de nos collections »  et «Nous sommes au regret de ne pas pouvoir publier votre livre qui ne s'inscrit pas dans notre ligne éditoriale ». Pour le reste, silence radio.

    En conséquence, Les portes de l'enfer finira au fond d'un tiroir d'où il ne sera plus jamais extirpé.

     

     

     

     


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  • "Grands moments de Solitude" vient de sortir aux éditions Rivière Blanche

    http://www.riviereblanche.com/moments.htm

     

    Et voici la critique de Fantasio des Ardennes :


    http://lefantasio.fr/index.php?2014/05/26/1298-gudule-grands-moments-de-solitude-riviere-blanche&mod=1


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