• Carte d’électeur

      Lorsque je vivais à Moussy-le-neuf, petit village de Seine-et-Marne, il m’arriva une drôle d’histoire. Un employé de mairie, opposé sans doute à l’abstentionnisme, m’envoya d’office ma carte d’électeur. (Je n’en avais pas fait la demande, pour l’excellente raison qu’à cette époque, je ne votais pas.) Jusque là, rien d’exceptionnel, hormis le zèle quelque peu excessif du fonctionnaire. Mais où les choses se corsent, c’est que cette carte, pour une raison que je ne m’explique pas, était libellée au nom de Gudule.

             Après un instant d’incrédulité — que dis-je ? d’ahurissement ! —  j’éclatai de rire, et tous ceux auxquels je la montrai en firent autant. Jamais je ne pus déterminer quel était l’auteur de cette initiative, ni si c’était une plaisanterie, de la simple distraction ou une manière infiniment subtile de boyoter les élections.

             Par la suite, cette carte fut reproduite dans quelques revues d’humour — Fluide Glacial, entre autres, où elle trôna en bonne place dans « Les documents de la mère Docu », de Frémion — et, passant de main en main, finit par s’égarer. Un amateur de curiosités aura sans doute oublié de me la rendre.

             Encore un distrait !


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  •  Récidive

       J’ai souvent raconté comment, enfant, je comprenais les mots de travers, principalement dans les chansons. Pour moi, le « bergère, vite, allons » de Il pleut, il pleut bergère devenait « bergère Vitalon », nom qui me déplaisait. (J’aurais préféré Rose ou Violette, nettement plus glamours.) Dans le succès de Charles Trénet La java du diable, il y avait ces deux vers redoutables : « Au-delà des mers, ce fut bien pire / Le mal gagna, c’est trop affreux ». Aussitôt, cet affreux Malgagna devint l’incarnation de toutes mes peurs nocturnes. Que de cauchemars il m’a provoqués, le bougre ! Quant à la litanie que les sœurs nous imposaient chaque matin, en classe : « Je rends grâce à Dieu tout-puissant, à la très sainte Vierge Marie et à Joseph, son chaste époux », j’ai longtemps cru qu’elle était destinée à nous débarrasser des parasites capillaires.

             Je pourrais en énumérer des dizaines, de ces confusions puériles et charmantes ; vous également, j’en suis certaine. Mais, pour le commun des mortels, elles s’arrêtent à l’âge adulte. Pas pour moi.

             Il y a deux ou trois ans, je discutais avec mon pote Malick à la terrasse du Roc café. Comment en suis-je venue à parler de « fandanruy » ? Je ne m’en souviens pas.

             — Qu’est-ce qu’un fandanruy ? s’enquit-il.

             — Une sorte de fandango à l’ancienne, je suppose. C’est Victor Hugo qui en parle dans son poème « Gastibelza », mis en musique par Georges Brassens.

             Moue dubitative de Malick.

             — Ah bon ? Où ça ?

             Et moi, toute fiérotte, de citer (de mémoire) :

             — « Le roi disait en la voyant si belle, à son neveu / Pour un baiser, pour un sourire d’elle, pour un cheveu, / Un fandanruy, je donnerais l’Espagne et le Pérou / Le vent qui vient à travers la montagne me rendra fou. 

             — « Infant Dom Ruy », corrigea Malick, écroulé de rire.

             J’ouvris des yeux ronds.

             — Mais... ça ne veut rien dire !

             — Bien sûr que si. Le roi s’adresse à son neveu, l’infant Dom Ruy, en le nommant : « Pour un baiser, pour un sourire d’elle, pour un cheveu, / Infant Dom Ruy, je donnerais l’Espagne et le Pérou... »

             Vérification faite sur internet, il avait raison. Ça m’a complètement déstabilisée. Mettez-vous à ma place : durant un demi-siècle, j’avais imaginé Donâ Sabine dansant le fandanruy sous les yeux éblouis du souverain d’Espagne, et d’un seul coup, tout s’écroulait.  

             Pour me venger, j’ai donné ce nom au village de mon livre « Le faiseur d’anges » que j’ai, dans la foulée, dédié à Malick. Et toc !


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  •  

    Une vache dans la cuisine

                Je prenais mon bain lorsque mon fils Olivier, alors âgé d'une dizaine d'année, déboule en catastrophe dans la salle d'eau :

    — M'man, y a une vache dans la cuisine !

    Je, bien sûr, l'envoie promener. La plaisanterie est très marrante, mais je ne suis pas d'humeur.

    — Je te jure ! trépigne-t-il. Viens voir si tu ne me crois pas !

    Il a un tel accent de sincérité que, troublée, je m'enveloppe dans un peignoir éponge et je descends... pour me retrouver, effectivement, nez à nez avec un vache. Elle était passée par la porte-fenêtre, grande ouverte sur le jardin.

    C'est gros, une vache. Énorme. Et mes « pshiii, pshiii, va-t'en sale bête ! » ne l'impressionnaient pas beaucoup !

    Affolée, je sors de la maison pour essayer de la faire reculer... et je m'aperçois que trois de ses congénères broutent mes rosiers et bousent sur ma pelouse. En fait, elles avaient défoncé leur clôture pendant la nuit, et s'offraient une petite virée par chez nous, car notre pavillon jouxtait leur pré.

    Je n'ai eu d'autre recours que d'appeler les voisins à la rescousse. Ils ont beaucoup ri. Moi, moins. Surtout quand il a fallu nettoyer le jardin ! 


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  • Le carnet du futur

      Je n’étais pas, mais alors pas du tout, d’accord avec l’éducation de ma mère. Et pour être sûre de ne jamais suivre son exemple, je décidai, vers douze-treize ans, d’inaugurer un « carnet du futur » pour y répertorier ses erreurs. Histoire de ne jamais imposer à mes propres enfants ce dont j’avais, personnellement, eu à me plaindre.

             Cette initiative changea ma vie. Au lieu d’avoir peur de me faire gronder, je me mis à guetter la moindre réprimande pour vite, vite, la noter. «  Une de plus ! » me réjouissais-je à chaque fois. En véritable collectionneuse, je les classais par importance, selon leur degré de gravité ou leur fréquence, accompagnées d’un commentaire, du genre :

             Jeudi 25 mars 1958 : quand j’ai voulu raconter à maman ce qui s’était passé en classe, elle m’a interrompue en me disant : « Va ranger ta chambre ». J’écouterai toujours mes enfants, quand ils me raconteront quelque chose, et j’attendrai qu’ils aient fini pour leur faire des remarques.

             Ou encore : 

              Lundi 2 avril 1958 : maman m’a enguirlandée parce que j’avais épousseté les meubles en contournant les objets posés dessus. Quand j’ai prétendu que jes les avais retirés, elle m’a punie. J’ai dû écrire cinquante fois « Je suis une menteuse ». Jamais je ne ferai faire des lignes à mes enfants. Et la poussière restera où elle est.

             Il y avait aussi ses petites manies qui, jusque là, ne m’avaient guère dérangée, mais sur lesquelle, soudain, je focalisais. Son habitude de citer des proverbes à tout propos ou d’émailler ses phrases d’interjections wallonnes. Son côté soupe au lait. Ou encore, sa précipitation à débarrasser la table avant qu’on ait fini de manger... Bref, je me mis à épier ses faits et gestes — même quand ils ne me concernaient pas — pour y trouver de quoi alimenter ma quête.

             Cela dura presque un an, puis je délaissai le « carnet du futur » pour d’autres occupations, plus épanouissantes. Et je l’oubliai.

             Quatre décennies plus tard, en vidant le grenier de mes parents décédés, je le retrouvai, au fond d’une malle. Ma mère l’avait pieusement conservé, avec mes cahiers de classe et mes premiers poèmes. Je fus épouvantée à l’idée qu’elle l’ait lu.



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  • Prenez-moi comme une bête !

      Été 1983. Dans le cadre de sa revue « Psikopat », Alex sort des tee-shirts hilarants et provos comme j’aime. Deux d’entre eux en particulier, dont les slogans : « Tu avales ou tu craches ? » et « Prenez-moi comme une bête ! » sont clamés par des p’tites nanas comme seul mon mari sait en dessiner.

             Je craque aussitôt pour « Prenez-moi comme une bête ». Dans un premier temps, tout le monde se marre, puis on s’habitue — d’autant que je ne porte plus que ça. Ce tee-shirt devient ma seconde peau, et, avec le temps, je zappe complètement le message qu’il véhicule.

             Voilà pourquoi, me baladant ainsi vêtue en plein Barbès, je m’étonne des regards insistants dont les passants gratifient mon poitrail, pourtant de dimensions modestes. Jusqu’à ce que je réalise...

             Oh, bordel ! Si c’est pas un appel au viol, ça !

             Affolée, je me rue dans la première boutique venue pour y acheter un veste, un foulard, un châle, n’importe quoi qui cache mon T-shirt. Et comme tout ce qui s’y vend est d’une hideur sans nom, je jette mon dévolu sur un gros pull en solde que je porte, impavide, jusque dans mes foyers.

             Il fait 35° à l’ombre.

             On peut dire que j’ai eu chaud !

     


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