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    Jim Hawkins

       « L’île au trésor », paru en BD dans le Spirou d’après guerre, me fascinait. Bien que les tenants et les aboutissants de l’histoire m’échappent totalement, j’étais raide-dingue de Jim Hawkins, petit héros blond et déluré auquel je m’identifiais avec passion. Donc, seule ou avec mes copains du Thier-à-Liège, je jouais à Jim. J’étais Jim, combattant les méchants pirates avec une branche d’arbre que je passais à ma ceinture, en guise de sabre d’abordage.

             Mais, dans mon esprit d’enfant, Jim devait forcément être blessé. Et pas n’importe où : à la tête. Ne me demandez pas pourquoi, je l’ignore. Sans doute une vignette représentant la chose m’avait-elle particulièrement frappée. Toujours est-il qu’un jour où Tantine, ayant des courses à faire, m’avait laissée sous la (vague) surveillance de mes grands cousins, nous décidons, ma copine Josiane et moi, de jouer à Jim. Armées de nos branches fraîchement coupées, on commence à se battre en duel, et, selon l’immuable déroulement du scénario, elle me blesse. C’est là que — grande première ! — par souci de crédibilité (et profitant de l’absence de ma tante), nous montons dans sa salle de bains chercher des pansements et du mercurochrome. Josiane m’entortille le front de gaze blanche qu’elle badigeonne soigneusement de rouge, puis nous reprenons notre jeu.

             Sur ces entrefaites, Tantine rentre. Voit mon déguisement de loin. Et manque de se trouver mal.

             Le temps que je rapplique pour lui expliquer, elle a déjà enguirlandé l’un de mes cousins. Résultat : lorsque la vérité éclate, sa colère se retourne contre moi, mon cousin en rajoute une couche, Josiane est priée de rentrer chez elle et on m’envoie dans ma chambre sans souper.

             Eh bien, vous me croirez si vous voulez, j’ai adoré ça. En butte à l’injustice, à la répression, et « mise à fond de calle » par un capitaine tyrannique, j’étais enfin vraiment un Jim selon mon cœur !



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  • L’herbe bleue

      Et tiens, à propos de niaiserie... Ça devait être en 72 ou 73, par là. À cette époque, la Convention de la Bande dessinée avait lieu à la salle de la Mutualité, à Maubert (la Mutu, comme on disait). Nous nous y étions rendus, Alex et moi, avec tout l'enthousiasme et la candeur qui nous caractérisaient alors. Nouvellement débarqués du Liban, nous étions éblouis par l'univers mythique de la B.D. Quant à ses vedettes, les Gotlib, Bretecher, Mandryka, Forest et autre Moebius, c'était carrément de l'idolâtrie. Je revois Frémion en salopette rayée, barbu et chevelu comme un Christ, faisant faire ses premiers pas à sa fifille ; Shlingo, encore inconnu mais bédéphile à mort, claudiquant derrière Fred pour le photographier, et clamant haut et fort : « Tout sur la liaison Fred-Carali dans le prochain Havane Primesautier » ! (son fanzine de l’époque).

             Un moment, j’aperçois le grand T. et Anne D., sa compagne du moment, rôdant comme des zombis dans la foule, sans voir ni entendre personne.

             — Regarde, on dirait des anges, glissai-je à mon mari. Ils doivent être en pleine inspiration !

             Andouille : c'était le teuch !

             M. (le même que dans « Crotte de chien », oui, exactement) traînait dans un coin avec quelques potes. On s'approche de lui, on le salue et il nous dit, l'œil curieusement rétréci :

             — Putain, je déteste ce genre d'endroit ! Il m'a fallu deux joints pour pouvoir venir...

              Et moi, ne comprenant pas de quoi il s’agissait :

             — Des joints de culasse ?

             Fallait-il qu'il soit défoncé pour éclater de rire à ce qui devait lui apparaître comme une vanne minable — alors que c'était juste l'expression d'une vertigineuse ignorance !

             Au Liban, pourtant grand producteur de ce genre de gâterie, nous n’en avions même jamais entendu parler. C’était pour les touristes, ça, pas pour les locaux !

             Bon, on s’est bien rattrapés depuis, rassurez-vous. En tout cas, moi.

         

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  • Je ne suis pas celle que vous croyez !

      Encore une histoire de parano ? Allez, ne boudons pas notre plaisir. En 1971, Alex bossait dans une petite agence de publicité dont le directeur, un Belge nommé Jo Vandamme, avait tout du séduisant Viking. Emma, sa secrétaire, était une adorable grosse blonde toujours vêtue de longues robes Laura Ashley (le Bilitis  de David Hamilton ayant remis l'imprimé liberty et les chapeaux de paille au goût du jour).

    Un soir, en rentrant du travail, mon mari m'annonce :

      Nous sommes invités à dîner chez une de mes collègues de boulot.

    Moi, ravie : j'étais mère au foyer et ne connaissais personne, dans ce fichu Paris où nous n'étions que depuis quelques mois — à part ma voisine de palier à laquelle, illico, je demande de jeter un coup d'œil sur les gosses en mon absence. Je me fais toute belle : la petite robe noire à col blanc, achetée pour mon mariage dans une friperie de Beyrouth (et, est-il besoin de le préciser, monstrueusement démodée), des mini-talons, et hop ! en route.

             Nous débarquons dans un appartement qui m'ahurit littéralement. Pas de meubles, à part des coussins, des table basses, une gigantesque bibliothèque, et des plantes vertes à foison. Sur les murs des fresques érotico-bucoliques — nymphes grassouillettes et satyres au membre hypertrophié, copulant à fesses-que-veux-tu —, le tout éclairé par d'immenses candélabres, au son d'une musique religieuse du XIIIème siècle.

             Et tout cela n’est rien à côté de Didier, le maître des lieux (et l’auteur des fresques) ! Imaginez un Gainsbourg chauve, dont les rares cheveux forment comme des petites cornes, vêtu d'une grande robe rouge de gourou médiéval...

             Bref, on s'installe dans les coussins, on trinque, Jo Vandamme nous rejoint et la soirée se poursuit à cinq. Bien que je ne comprenne pas tout, je sens, à certains propos échangés, à des regards, des private joke, des rires, qu'une complicité de toute évidence libidineuse unit Jo à nos hôtes. Une ambiance puissamment sensuelle s'instaure, d'autant que nous mangeons allongés sur la moquette, comme les convives d’une orgie romaine.

             Soudain sans crier gare, Alex s'endort.

             « Ils l'ont drogué ! » me dis-je, épouvantée.

             Me voilà à la merci de ces trois débauchés qui, depuis des heures, j'en suis certaine à présent, salivent en me convoitant, moi, l’oie blanche de service, la petite immigrée pas encore déniaisée.

             Une peur panique m'étreint lorsqu’Emma propose, le plus naturellement du monde :

             — Si nous passions dans la pièce à côté, pour laisser ce pauvre garçon se reposer en paix ? 

             Or, la pièce en question, c'est la chambre à coucher...

             Je n'ose pas protester et on se retrouve sur le lit : moi, toute crispée et prête à m'enfuir au moindre geste suspect, eux, fabuleusement décontractés.

             Il ne s'est rien passé entre nous, je le jure. Rien de rien. Pas même un geste ambigü. Par après, Emma, Didier et Jo sont d'ailleurs devenus d'excellents amis et, quoique de mœurs très libres, n'ont jamais cherché à nous "embrigader". Alex s'est réveillé une demi-heure plus tard en s'excusant : il avait eu un petit coup de barre dû, sans doute, à l'alcool (il n'avait pas l'habitude de boire). Et je n'ai jamais parlé de ma parano à personne, pas même à lui. La niaiserie a ses limites, tout de même !



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  • Gudul’s connexion 

      En 1999, invitée par l’Alliance Française de La Paz, je me rends en Bolivie. Avant mon départ, des amis qui connaissent bien le pays rm’ont prévenue : à 4000 mètres d’altitude, la respiration est laborieuse et le cœur dérouille. Les Européens ont souvent des malaises.

             — Pour éviter tous les problèmes, fais comme les Indiens, mâche des feuilles de coca, me recommandent-ils. C’est un  stimulant cardiaque naturel, utilisé depuis des millénaires.

             Je suis ce conseil à la lettre. Rien de plus facile, d’ailleurs : cafés, restaurants, magasins, administrations mettent, à la disposition du public, des petits ramequins remplis de ces feuilles qui ressemblent à du laurier. De plus, la boisson de base de la population est le « maté de coca », une infusion servie le matin, à mon hôtel, et en journée, dans tous les bars de la ville. Bien que le goût ne soit pas terrible, je remplace donc mes habituelles pauses-café par des pauses-maté, et m’en trouve bien.

             La veille de mon retour, je me dis : « Si je ramenais un peu de ce breuvage à Sylvain ? » et j’achète, dans le supermarché du coin, un paquet de cent dosettes vendu au rayon thé. Puis je prends mon avion, sans arrière-pensée.

              Or, je voyage par la TAM, compagnie aérienne brésilienne. Ni le personnel, ni les passagers ne parlent français. Ce n’est, en soi, pas très dérangeant, jusqu’à l’aterrissage à Charles de Gaulle. Car au moment où l’avion se pose — de manière un peu chaotique, ce que, plongée dans un bouquin, je remarque à peine —, le pilote annonce quelque chose au micro, et les hôtesses passent dans l’allée en nous exhortant à rester assis. 

             Un quart d’heure s’écoule sans que les portes s’ouvrent. J’en demande la raison à mes voisins qui me répondent en portugais ou en anglais, deux langues que je ne comprends pas. De ma place, je n’ai pas accès aux fenêtres mais des lueurs de girophares me parviennent par intermittences.

             C’est alors que l’évidence me fond dessus.

             « Mon maté de coca ! »

             Dans ma tête s’élabore aussitôt un fulgurant scénario-catastrophe. La brigade des stups a eu vent de mon achat. En ce moment même, des chiens sniffeurs fouillent la soute à bagage ; les flics retiennent les passagers jusqu’à ce qu’ils aient coincé le coupable — c’est-à-dire moi, devenue par inadvertance trafiquante de cocaïne... Dans un  état de panique indescriptible, je prépare ma défense : « C’est juste de la tisane, monsieur le commissaire, pas une drogue, je vous jure ! Je me suis renseignée au consulat de France, et on m’a assuré que ce produit était légal. Vous pouvez les appeler, ils vous confirmeront. Tout le monde boit ça, en Bolivie, même les enfants ! » Hélas j’ai beau tenter de me rassurer, la peur enfle, enfle. Quand, enfin, les portes s’ouvrent, elle a atteint son paroxysme.

             Des hommes en uniforme montent à bord et font sortir un à un les voyageurs, en leur recommandant — en français, cette fois — de ne pas s’affoler : ils maîtrisent la situation. Toute fuite s’avérant impossible, je me laisse entraîner vers l’inévitable garde à vue... 

             Sur le tarmac, des ambulances, des fourgons de police, des voitures de pompiers nous accueillent, et pour cause : l’avion a quitté la piste et s’est embourbé jusqu’au ventre dans la pelouse. C’était donc ça, les secousses ressenties lors de l’atterrissage ? Mais alors, ce déploiement de forces ne m’était pas destiné ?

             On a juste frôlé l’accident mortel ?

             Ah bon ?

             Quel soulagement !  


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  • ... de "Mémoire d'une aveugle : http://www.wagoo.fr/

    Merci, Maestro ! 


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