• Pédophile, poil aux cils

    Nouvellement installée dans un petit village d'une centaine d'habitants, j'éprouvais le besoin de me faire des amis — normal : l'homme est un animal social, et moi en particulier, bien que je sois une femme. Or, j'avais pour voisin un charmant vieux monsieur, érudit, écrivain à ses heures, solitaire mais néanmoins fort heureux de fréquenter des "gens de son bord" (entendre par là "barbotant dans la chose écrite"). Commence donc, entre nous, une relation exquise : thé au coin du feu, petit biscuits, longues dissertations sur Pierre Loti, Paul Valery ou Sainte-Beuve. Georges de Roche-Amand — eh oui, c'est le nom du vieux monsieur, son vrai, pas un pseudo !  — m'offre ses œuvres : deux opus de légendes locales dont j'apprécie le style désuet et précieux. Il me fait également cadeau d'une ravissante curiosité : un petit "Roméo et Juliette" de dix centimètres sur huit, relié tout cuir. Je ne peux moins faire que de lui rendre la pareille. Mais lequel de mes livres lui offrir, qui présente pour lui un quelconque intérêt  ? Nous ne sommes pas du tout sur la même longueur d'ondes...

    Le hasard vient à mon secours, en la personne de Mickaël Jackson dont le procès pour pédophilie défraye justement la chronique. Georges, très au fait de l'actualité, en arrive forcément à le commenter. La conversation glisse sur la maltraitance enfantine, et là, éclair de génie : je vais lui offrir La mort aux yeux de porcelaine, paru chez Flammarion l’année précédente, dont le thème est, justement, comme ça se trouve, la pédophilie. Et, coïncidence encore plus frappante, dont le héros principal est inspiré de Mickaël Jackson.

    — J'espère que vous ne serez pas choqué par mon écriture, dis-je en lui tendant l'ouvrage. Ma plume n'est pas aussi délicate que la vôtre, hu, hu, hu...

    Il m'assure qu'un langage un peu vert n'est pas pour lui déplaire, remercie, et s'en va tout content, son cadeau sous le bras.

    Je ne le revois plus.

    Mais plus du tout, hein !

    Si, une fois, je l'aperçois de dos, sur les remparts, mais à l'appel de son nom, il ne se retourne même pas, et lorsque je me dirige vers lui, il s'esquive prestement.

    Ahurie par ce mystère, j'en parle autour de moi. Je ne récolte que gloussements et rires sous cape, jusqu'à ce qu’une voisine vende enfin la mèche. Georges de Roche-Amand, homosexuel notoire (ah bon ?) a été jadis, affirme la rumeur publique, mêlé à une affaire de "ballets bleus" qui défraya le chronique. Et comme ce genre de rumeur — vraie ou fausse, et plus souvent fausse que vraie —  vous colle aux baskets pour longtemps, d’aucuns le soupçonnent encore de s'intéresser d'un peu trop près aux petits garçons...

    Pure malveillance, bien sûr, mais qui fait de lui une sorte de paria.

    Je me battrais bien, tiens ! Entre les quelque deux cents titres dont je suis l'auteure, il a fallu que je lui offre justement ce livre-là, me mettant involontairement dans le camp de ses détracteurs. C'est tout moi, ça !

    Encore une maladresse que je ne me pardonnerai jamais (ni lui non plus).

     


    13 commentaires
  •  

    La famille idéale

    J'étais toute jeune mariée, et heureuse maman d'un petit blondinet aux yeux bleus dont j'étais très fière. Nous vivions au Liban, d'où mon mari était originaire. Un jour, l'un de nos amis journaliste nous dit :

       Je fais un dossier sur La famille idéale, et j'aimerais qu'il soit illustré par des photos de vous.

      L'on se doute de notre fierté ­— de la mienne en particulier ! Après les galères que j'avais traversées  : un fils illégitime (dans les années 60 !), suivi d'un exil au Moyen-Orient, puis d'un mariage clandestin, j'avais une revanche à prendre sur la vie. Un besoin impérieux de rentrer dans la norme, de prouver que j'étais, sapristi, "comme tout le monde". L'occasion qui m'était offerte d'incarner, aux yeux de milliers de lecteurs, l'entité la plus conforme qui soit, comblait ce vœu au-delà de mes espérances.

    Vient le grand jour. Je me fais toute belle, je pomponne le fiston, Alex met son plus beau costume, et nous voilà partis ventre à terre vers la gloire. (Vers le studio, plus exactement, notre ami journaliste nous ayant fixé rendez-vous directement chez le photographe.)On arrive, on s'installe, on prend la pose. Projecteurs, essais, re-essais, re-re-essais. Quelque chose, visiblement, cloche. Le photographe tire la tronche, parlemente avec le journaliste. Je ne saisis pas ce qui se dit, trop occupée à calmer mon rejeton que la chaleur incommode et qui en a mare de rester immobile. Alex va aux nouvelles et revient, quelques instants plus tard, bien embêté. En fait, je ne conviens pas.Pour la famille idéale, j'ai pas le physique. En revanche, mon mari et mon fils sont parfaits. Le photographe propose de me remplacer par son assistante.N'ayant pas d'autre choix, je m'efface. On ne lutte pas contre son destin.

    La photo où je ne suis pas paraîtra la semaine suivante, en couverture du principal magazine francophone de Beyrouth. Ce sera, pour le copain journaliste, le tremplin vers la presse internationale et pour le photographe, le début d'une brillante carrière. Quant à l'assistante, paraît qu'elle a fini mannequin chez Dior-Liban. Mais ce sont peut-être des ragots... 

     

     


    8 commentaires
  • La capote et le goupillon

    Lorsque je travaillais dans la presse de charme — entendez par là le cul bas de gamme crapoteux pour branlettes de routiers —, nos bureaux étaient situés rue du Faubourg Montmartre, à l'étage au-dessus des locaux de "Chrétien d'aujourd'hui". Nous n'avions que peu de relations avec les employés de cette édifiante (et néanmoins excellente) revue, ces derniers ayant une fâcheuse tendance, lorsqu'ils nous croisaient dans l'ascenseur, à garder l'œil fixé sur la ligne bleue des Vosges. Cependant en dépit du fossé séparant nos deux médias, force leur fut, à plusieurs reprises, de se présenter à notre accueil, tenu, à cette époque, par une sémillante créature du nom de Djamilah. Voici dans quelles circonstances.

    J'avais parmi mes pigistes, un ancien lecteur de Fluide glacialoù j'avais sévi durant plusieurs années sous le pseudo de "sœur Gudule". Cet humble tâcheron, qui gagnait sa vie en pondant au kilomètre une laborieuse prose érotique, avait beaucoup d'humour en dépit de son ingrat labeur. Il prit donc l'habitude, histoire de rigoler un brin, d'adresser ses copies à la "Révérende mère Gudule". Vous devinez la suite : le facteur, persuadé en toute bonne foi (!) qu'un courrier ainsi libellé ne pouvait s’adresser qu'à "Chrétien d'aujourdhui", le glissait d'office dans leur boîte aux lettres. Je n'ose imaginer (ou plutôt, si, j'ose ; putain, la crise !) la réaction de ces dévotes gens lorsque, pour la première fois, ils ouvrirent l'enveloppe et prirent connaissance de son contenu...

    Nous vîmes débarquer l'une de leurs secrétaires, toute raide et les lèvres pincées. Se plantant devant Djamilah, elle jeta l'enveloppe sur son bureau en éructant : « C'est à vous, ça ? » avant de tourner dignement les talons (sous le feu nourri, est-il besoin de le préciser, de nos ricanements égrillards).

    Par la suite, le courrier nous fut rapporté sans avoir été préalablement ouvert. Et, l'habitude aidant — car tout ici bas s'émousse avec le temps, même les plus légitimes indignations — , une certaine familiarité s'instaura entre nos deux rédactions. Si bien qu'un beau jour, l'on surprit leur standardiste et la nôtre s'en allant déjeuner bras-dessus bras-dessus au snack du coin. De ce jour, le "Chrétien d'aujourdhui" du mois, gracieusement offert par nos concurrents, trôna sur le guéridon de l'entrée, à la disposition de tout un chacun. Mais, en toute honnêteté, je ne crois pas qu'il y eut réciprocité — ou alors, sous le manteau.


    8 commentaires