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Hallali, ah là là !
« Putain, ça recommence ! hurle mémé Georgette.
— Qu’est-ce qui recommence, mémé ?
— Ils ont encore dézingué un cerf dans un village. À Avilly-Saint-Léonard, dans l’Oise, cette fois… Heureusement, le maire a porté plainte.
— Mais enfin, de quoi tu parles ?
— Des chasseurs à courre, pardi ! Comme ceux qui louent notre forêt tous les samedis pour leurs sales divertissements de merde !
— On peut louer les forêt domaniales, maintenant ? Première nouvelle !
— En principe, non, mais les principes, tu sais… Dès qu’il y a du fric à la clé !
— Et les promeneurs, alors ? »
Mémé hausse les épaules, ce qui signifie : tout le monde s’en tape.
« Que cette chasse soit inique n’est plus à démontrer, continue-t-elle. Traquer un animal jusqu’à ce que son cœur lâche révulse même les chasseurs « normaux » : la viande du cerf, après un tel stress, n’est plus consommable. D’ailleurs, en général, les chiens le dépècent tout vif…
— Quelle horreur !
— Mais ce n’est pas tout : dans certaines régions — dont la nôtre — ce « sport » représente un véritable danger pour la population, car les forêts englobent des hameaux. L’année dernière, à quelques kilomètres d’ici, le cerf affolé a défoncé la baie vitrée d’une maison. C’était l’heure du repas, la famille était à table. La meute a déferlé, brisant tout sur son passage. L’animal a été achevé dans la cuisine.
— Et les gens ont laissé faire ça ?
—Ils on pris leurs cliques et leurs claques pour éviter d’être piétinés ! Mais une pétition a circulé, réclamant l’interdiction de la chasse à courre dans la commune, où ce genre d’accident est courant.
— Et alors ?
— Que dalle. En haut-lieu, on préfère les « saigneurs » aux péquenots, et les sonneurs de cor aux cueilleurs de champignons ; ça rapporte plus. Et puis, la tradition, n’est-ce pas ce qui fait le charme de notre beau pays ? »
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Mémé fait de la résistance
« Et merde, grogne mémé Georgette, en écrasant sa clope sur le seuil du troquet. Ne plus pouvoir fumer devant mon p’tit ballon, ça me mine… »
Elle s’accoude au bar, commande un verre de rouge.
« Je ne sers plus que du bio, précise le patron. Et pour la demoiselle, ce sera ?
— Une grenadine. »
J’ai droit à un sirop vaguement rosâtre et pas appétissant du tout.
« Pourquoi elle est pas rouge, ma grenadine ? », je demande.
Il me regarde comme j’avais chié une pendule sur son zinc.
« Le colorant est un poison, lâche-t-il du bout des lèvres.
— Confidence pour confidence, je préfère le bon vieux préfontaine à cette piquette, objecte mémé en repoussant son verre à moitié plein. Je vous dois combien ?
— Cinq euros trente.
— Oups ! Ça a augmenté !
— La bonne santé se paie, ma p’tite dame. Mon pinard réduit le taux de cholestérol. »
Au même moment, à la télé placée au fond de la salle passe un pub pour les yaourts Trouduc, qui facilitent le transit intestinal.
« Aujourd’hui, tu ne manges plus, tu te soignes, ricane amèrement mémé Georgette. Faudra bientôt une ordonnance pour boire un coup, et les restos ressembleront à des pharmacies— d’ailleurs leurs cuisines s’appellent déjà “laboratoires”… . Le pire, c’est que tout le monde applaudit ! Et si t’es pas d’accord, y a toujours quelqu’un pour te faire la morale : le sucre, c’est mauvais pour la tension, le gras bouche les artères, fumer donne le cancer, etc…Et le plaisir, dans tout ça, on en fait quoi ? On s’asseoit dessus ? »
Les consommateurs l’écoutent, bouche bée, comme à un meeting.
« La secte des bien-mangeants est en passe de devenir la religion officielle, beugle-t-elle. Ne nous laissons pas embrigader dans leur trip castrateur ! Résistons, foutredieu ! Jouissons de nos papilles avant que la dictature de l’hygiène ait notre peau ! »
Eh bien, vous savez quoi ? Personne n’a applaudi. Triste époque…
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