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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 91
Le kidnappeur
Au Thier-à-Liège, avec le grand Louis (il avait dix ans et moi à peine sept), nous aimions beaucoup jouer au kidnapping. J’installais mes poupées sur la terrasse, bien alignées en rang d’oignons, et je partais soi-disant faire les courses. Louis arrivait en catimini et, profitant de mon absence, les enlevait. A mon retour, je devinais ce qui s’était passé et me précipitais sur leurs traces. L’aventure se soldait par une course-poursuite à travers le jardin — et même, quelquefois, par une partie de cache-cache ou de quête au trésor (« tu brûles... non, là, c’est froid ; si tu ne cherches pas mieux, tu ne retrouveras jamais tes enfants ! »). Bref, le kidnapping était un jeu complet, qui les contenait tous...
Le seul problème, c’est que pour moi, ce n’était pas vraiment un jeu. Je m’impliquais trop. Les souffrances de la mère dépossédée de ses gosses, je les éprouvais réellement. Sa haine pour le ravisseur aussi. De sorte qu’un jour, je conçus un plan machiavélique. Au lieu de m’éloigner comme d’habitude, je me mis en embuscade avec un gros bâton et quand Louis se pointa, je le lui assenai de toutes mes forces sur le crâne.
Aux cris qu’il poussa, Tantine apparut, vit le malheureux gamin en sang, et envoya un de mes cousins prévenir sa mère qui, elle-même, appela les pompiers. Au milieu d’un tohu-bohu indescriptible, on me pressa de questions auxquelle je ne pus que répondre, d’une voix hoquetante de larmes :
— C’est pas ma faute, j’ai juste défendu mes enfants !
En représailles, je fus cantonnée une semaine dans ma chambre. Je n’y restai que deux jours, grâce à l’intervention de Louis, remis de ses émotions après huit points de suture. Avec une galanterie dont je lui sus longtemps gré, il affirma être le seul coupable : il m’avait fait trop peur et j’étais si petite...
A dater de ce jour, nous remplaçâmes le kidnapping par le Monopoly, nettement moins dangereux. Moins passionnant, aussi. Le fric, ça n’a jamais été ma tasse de thé...
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Commentaires
1benoît barvinDimanche 18 Mars 2012 à 07:23Répondre
Ma soeur, qui est une femme d'une grande humanité, se transformait en démon quand on s'en prenait à ses enfants, et il y a eu ce cas, en Inde, d'une femme qui a arraché son enfant aux griffes d'un tigre. L'instinct maternel est une force in-quantifiable.6guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:487OdomarVendredi 29 Août 2014 à 13:48
C'était impressionnant. Aussi, quand je me mis à ne plus croire à ces balivernes de transsubtantiation (sic!), je voulus faire la même chose, car s'il me restait un petit doute, minuscule, un infime "on ne sait jamais", je serais alors fixé, j'en aurais (comme Tintin) "le coeur net". Je recueillis l'hostie dans un mouchoir et, une fois chez moi, dans le secret de ma chambre, lui fit subir quelques avanies (coups d'épingle, etc.) Rien, évidemment. De ce jour-là mon athéïsme fut définitif et sans faille.8guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:48
@ Castor : c'est encore un truc de Dame Nature pour préserver l'espèce, ça l'héroïsme maternel ! Et le pire, c'est qu'on en est affligé dès l'enfance. La manière dont j'ai pris en grippe tous les mecs qui l'ont fait chier (ou plaquée, ou ce genre de truc) amuse beaucoup Mélanie. Elle, elle en a rien à battre.9guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4810guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:48
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