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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 80
Le défiguré
Décembre 1987. Pour les dix ans de Mélanie, nous décidons, Sylvain et moi, de lui offrir un chien. J’y mets, cependant, une condition expresse : comme nous vivons dans un petit appartement, il ne doit pas être plus gros qu’un chat. Nous voilà donc partis pour la S.P.A., car ce chien, il n’est pas question de l’acheter. Nous sommes, l’un comme l’autre, opposé au commerce des animaux. En revanche, récupérer une bête abandonnée et lui donner une seconde chance nous plaît beaucoup.
Après avoir erré des heure durant dans une banlieue inhospitalière, nous finissons par aboutir au refuge, dix minutes avant la fermeture. Qu’à cela ne tienne : nous longeons les cages au pas de course. Des aboiements poignants s’élèvent sur notre passage. Hélas, ils appartiennent tous à des molosses.
— Si c’est un petit chien que vous cherchez, nous n’en avons pas en ce moment, nous signale le gardien, pressé de s’en aller.
Soudain j’aperçois, terrée au fond d’une cage, une silhouette minuscule, frêle et grelottante, pourvue de deux oreilles immenses.
— Et ça ?
— Lui, c’est un peu particulier. Vous voulez le voir ?
Il l’attrape et me le fourre dans les bras. Je m’extasie :
— Oh, regarde, Sylvain, on dirait un fennec ! Il est tout jeune, non ?
— Deux ans, dit le gardien, mais...
Il lui prend la tête et la tourne.
— ... y a un hic.
Je manque de tomber à la renverse. Si le « fennec » a une mignonne petite gueule du côté droit, du gauche, il est défiguré. Une espèce de sourire éternel dévoile sa dentition presque jusqu’à l’oreille, et tout autour, c’est à vif, boursouflé, et ça suinte.
— Il s’est brûlé en rongeant un fil électrique, nous explique le gardien. C’était une bête de concours, avant... On l’a retrouvé à moitié mort dans une poubelle, on l’a opéré, soigné, mais personne n’en veut. Il va falloir l’euthanasier.
D’une même voix nous nous écrions :
— Non, non, on le prend !
Sur le chemin du retour, on est bien embêtés. Drôle de cadeau, quand même. Un machin tout moisi...
— Je me demande comment Mélanie va réagir, s’inquiète Sylvain. Qu’est-ce qu’on fait si elle en a peur ? On ne peut quand même pas le ramener.
Et moi, dans le trente-sixième dessous :
— Je crois qu’on s’est trop précipités, avec ce type qui nous mettait la pression... On aurait dû se donner le temps de réfléchir !
Trop tard, hélas. Mélanie nous attend sur le pas de la porte, elle trépigne d’impatience. C’est presque en s’excusant qu’on lui offre son cadeau.
— Oh, il est génial ! s’écrie-t-elle, ravie. On dirait un effet spécial de film d’horreur. J’adooore ! Je vais l’appeller Freddy. Tu viens, Freddy ?
Entre ces deux-là, une belle histoire d’amour commence.
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Commentaires
1benoît barvinMercredi 7 Mars 2012 à 09:18Répondre
Et je te mets aussi en lien deux nouvelles très courtes, sur le même blog, d'un ami de plume qui jongle avec l'horreur, l'humour et la syntaxe comme personne : http://lunatik-labyrinthe.blogspot.com/2011/06/tortura-f.html
Et http://lunatik-labyrinthe.blogspot.com/2010/09/lecon-damour-fou-1-tout-nest-il-que.html
Au passage : j'ai trouvé sympa l'idée d'un "Entretien" en fin de recueil, dans Mémoires d'une aveugle, ainsi que des quelques lignes d'intro pour chaque nouvelle... mais j'ai pesté en lisant celles de Douce Nuit Sainte Nuit qui dévoilent la chute, rogntud'ju de rogntudju.
Et sinon, je ne suis pas plus Belge que moine franciscain, j'ai bien peur que mes tics de langage ne me viennent en effet de Franquin. J'habite la campagne profonde, en Auvergne.8RakineVendredi 29 Août 2014 à 13:489guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:48
@ Benoît : quel lyrisme, ce matin, cher frère. Mais je suis cent pour cent d'accord avec vous. Pourquoi croyez-vous que j'écris des livres pour la jeunesse ?10guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4811OdomarVendredi 29 Août 2014 à 13:4812ElizaVendredi 29 Août 2014 à 13:4813guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:48
@ Odomar : Je lui transmets. ça lui fera plaisir.14NadègeVendredi 29 Août 2014 à 13:48
*Sifflotte*15NadegeVendredi 29 Août 2014 à 13:4816guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4817NadègeVendredi 29 Août 2014 à 13:4818guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4819guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:48
Oui, oui, c'est bien le chien qui rit. Et tiens, tu le retrouveras dans ma chronique d'aujourd'hui. Bises.20guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4821guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4822guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:48
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