• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 81

    Jeux interdits

     Le plus jeune de mes cousins, dernier-né d’une fratrie de six enfants, avait dix ans de plus que moi. Quand j’étais en vacances au Thier-à-Liège, il aimait à jouer les petits chefs. Contrairerment à Tantine qui était la patience même, il me houspillait sans cesse, usant et abusant de l’illusoire « droit d’aînesse » qu’il s’était octroyé.

    Je ne l’aimais pas beaucoup.

    Le jour de ses vingt ans, il reçut une guitare qu’il ne lâcha pas de la soirée, y gratouillant des gammes et des arpèges — assez adroitement, si je me souviens bien. Vers neuf  heures trente, on m’envoya dormir. J’étais à peine couchée que mon cousin entra.

    — Je viens te faire  la sérénade, dit-il, en s’asseyant au bord du lit.

    Surprise par une aussi délicate attention, je fermai les yeux et me laissai bercer. Il égréna, ô ironie, les premières mesures de « Jeux interdits », avant que je sente ses lèvres gober les miennes et sa main s’insinuer dans ma chemise de nuit, à la recherche de mon absence de seins.

    Je ne réagis pas instantanément. J’étais, comment dire ? pas vraiment là. Dans un demi-sommeil peuplé de douces rêveries, voyez ? La sérénade, le prince charmant, tout ça... Quand le baiser s’acheva, je rouvris les yeux et reçus la réalité en pleine face. Je poussai un hurlement d’horreur. Mon cousin battit aussitôt en retraite, mais eut le temps de lancer, avant de disparaître :

    — Si jamais tu répètes ce qui vient de se passer, gare à toi ! Je te flanquerai la raclée de ta vie !

    L’instant d’après, Tantine, alertée par mes cris, rappliquait dare-dare. Je prétendis avoir eu un cauchemar.

    À dater de ce jour, tout en gardant le secret, je pris « Jeux interdits » en grippe. Quand il passait à la radio, j’éteignais le poste. Et si quelqu’un s’en étonnait, je répondais simplement : « Ce truc me donne la nausée ». J’en demande pardon à Narciso Yepès, mais c’est toujours vrai. 

    « GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 80GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 82 »

  • Commentaires

    1
    Jeudi 8 Mars 2012 à 19:27
    Castor tillon
    Moi aussi je joue de la guitare, et il m'est arrivé de jouer "jeux interdits", quoique mes morceaux de préférence soient du ragtime. Mais je n'ai jamais agressé mes cousines, promis ! Il y en a qui se servent de la guitare pour envoûter les nanas, moi c'est juste pour faire de la musique.
    Tu n'avais que dix ans en plus, meyrde, le salaud.
    2
    Dimanche 11 Mars 2012 à 01:46
    Zoé
    Mais du coup, ça a provoqué une immunisation complète et totale du célèbre charme du "branleur à la guitare", ou simplement du morceau ^^ ?
    3
    Dimanche 11 Mars 2012 à 11:10
    Zoé
    C'est tout d'même assez impressionnant de réaliser que dans énormément de familles finalement, les enfants sont très souvent confrontés au moins une fois à ce genre d'expériences. De façons plus ou moins traumatisantes. Je l'avais remarqué pendant mes différents stages d'instit' sur Bruxelles (de Schaerbeek à Ixelles), en pensant que c'était peut être une question de milieu ou de génération... Et ben pas du tout. En y repensant et en parlant avec des amis et un psy, ça m'a l'air de quelque chose de très récurrent. Que l'on s'en rappelle vaguement, que cela soit devenu un souvenir flou, refoulé, ou bien un cauchemar récurrent... (ou un très chouette billet de blog ^^)
    4
    Dimanche 11 Mars 2012 à 17:20
    Zoé
    C'est assez complexe, parce qu'en effet, ça a toujours existé. Et le fait de savoir que ce genre d'incidents se produit fréquemment peut aider à relativiser. Mais ça reste quand même passablement bizarre à gérer... Relativiser sans banaliser c'est un exercice d'équilibriste (surtout quand on est juste à l'écoute de l'enfant qui partage son histoire)
    Au final, je me contente souvent d'écouter, et de bien vérifier que le gamin sait que le malaise éprouvé est légitime... Et puis lui rappeler ses droits ^^
    5
    Dimanche 11 Mars 2012 à 18:45
    Zoé
    Je note, j'allais justement me faire une virée au Pêle mêle et m'autoriser une petite commande sur Amazone ^^ (si tu as d'autres suggestions :D ) J'espère qu'il est encore trouvable par contre ^^
    6
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    Le diable ait son âme !
    7
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    Odomar
    Notons qu'il n'est pas besoin de ça pour avoir la nausée de "Jeux Interdits".
    8
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    C'était aussi l'avis de Reiser, si je me souviens bien. Parce que dans les soirées, sitôt que quelqu'un a une guitare, il joue "Jeux interdits" et se tape toutes les filles. Ce jugement très personnel sentait le vécu...
    9
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    Grande question ! Mais restons dans la symbolique...
    10
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    Bof, ce genre de chose a toujours existé et existera toujours, et le vrai problème, c'est qu'on n'arrive pas à relativiser. Je parle de petits trucs comme ça, pas de viols, évidemment ! Le viol, c'est un traumatisme terrible. Mais même ce genre de petite bêtise, ça vous laisse un goût amer dans la bouche.
    11
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    C'est sûr que là, le rôle des enseignants (et de tous ceux qui écoutent et ENTENDENT) n'est pas simple. Comprendre sans aggraver ; ne pas donner aux choses plus d'importances qu'elles n'ont, sans pour autant les minimiser, c'est un véritable travail d'orfèvre.Ce rôle, même vis-à-vis de mes propres enfants, m'a toujours semblé l'un des plus difficiles. Tomber dans la dramatisation excessive, c'est créer artificiellement un traumatisme qui n'a peut-être pas lieu d'être. Assurer que "ce n'est pas très grave", c'est peut-être trahir la confiance d'une victime qui souffre plus qu'on ne l'imagine... As-tu lu la BD d'Olivier Ka et Alfred, "Pourquoi j'ai tué Pierre",parue chez Delcourt (ou Glénat, je ne me souviens plus) il y a quelques années. Une vraie souffrance d'enfant exprimée et analysée par l'adulte qu'il est devenu. Je pense que pour une pédagogue, c'est un formidable outil de travail.
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :