• grands moments de solitude 122 (tome 2)

     

                                            Les ballerines

     

             Mélanie nous avait fait tout un cirque : c’était cette paire-là qu’elle voulait, et pas une autre. Or, « cette paire-là » coûtait bonbon et je n’avais pas une thune.

             — Demande à ton père, lui conseillé-je.

             Sans hésiter, elle courut chez Alex et l’entraîna vers le magasin de chaussures. Ils en sortirent une demi-heure plus tard, aussi fiers l’un que l’autre ; lui de s’être acquitté brillamment de sa tâche, elle d’avoir des pieds de danseuse.

             Après m’être extasiée sur leur acquisition, je recommandai à ma fille :

             — Tu y feras bien attention, n’est-ce pas ! Parce qu’à ce prix-là, on ne t’en rachètera pas d’autres !

             Recommandation inutile ! Mélanie n’avait d’yeux que pour ses jolies ballerines, sur lesquelles elle veillait jalousement, et qu’elle bichonnait avec amour.

             Le surlendemain, vers midi, j’attends son retour de l’école quand on frappe à la porte.

             — Etes-vous la maman de la petite Mélanie ? demande un voisin que j’ai aperçu quelquefois dans le quartier.

             Je sens un éclair glacé me vriller l’échine.

             — Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

             — Elle vient de se faire renverser par une voiture…

    Dans la seconde qui suit, je dévale l’escalier et fonce vers l’attroupement qui piétine devant l’immeuble.

             — Où est la petite fille qui a eu un accident ?

             — Les flics l’ont emmenée à Lariboisière, même qu’elle ne voulait pas y aller. Elle trépignait en réclamant sa mère.

             Ces mots me crucifient.

             — Pourquoi ne m’a-t-on pas prévenue ? Je suis la première concernée, quand même ! Et j’habite juste là.

             Mimique incertaine de la foule.

             — Tout s’est passé si vite ; on ne nous a pas demandé notre avis…

             — Ils sont partis depuis combien de temps ?

             — Cinq minutes à peine.

    En tremblant comme une feuille, je remonte chez moi, téléphoner à Alex et appeler un taxi.

             Comme il n’y en a pas de libre ; je cours d’une traite jusqu’au métro.

             Inutile de m’attarder sur les visions horribles qui me traversent l’esprit durant le trajet. En proie à une angoisse indescriptible, je me ronge les ongles jusqu’au sang. J’imagine déjà ma petite fille mutilée, handicapée à vie…

            

             À peine arrivée, je fonce aux urgences où je la trouve en larmes, assise dans un fauteuil roulant. Son père est déjà là, qui la serre dans ses bras, aussi bouleversé qu’elle.

             — Tu as mal, ma chérie ?

    Et elle, dans un sanglot :

             — Non, pas du tout. J’ai jamais eu mal, d’ailleurs, mais quand je leur ai dit, « ils »n’ont pas voulu me croire.

             — Pourquoi tu pleures, alors ?

             — La méchante infirmière a abîmé mes ballerines !

             L’accusée, qui a surpris ces derniers mots, s’empresse de se justifier :

             — On a dû découper sa chaussure pour la lui retirer : comme la roue de la voiture a heurté sa cheville, le docteur craignait une fracture et a demandé une radio. Je vous rassure tout de suite, elle n’a rien.

             Découper sa chaussure ! Ce sacrilège méritait une compensation.

             En rentrant, nous fîmes un détour par le magasin de chaussures, où il restait, par chance, une paire de ballerines blanches à la bonne pointure.

             Réaction de Mélanie :

             — Oh, je suis bien contente : elles me plaisent encore mieux que les roses ! La prochaine fois, je pourrai avoir les dorées ?

     

            

     

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  • Commentaires

    1
    Yunette
    Lundi 28 Septembre 2015 à 08:45
    Les mômes, c'est le pied !
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    2
    Lundi 28 Septembre 2015 à 10:23

    Hé, hé... Il est donc justifié de dire que son accident lui aura fait une (même deux !) belle jambe :)

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