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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 107
Le rêve de votre vie
Dans les années cinquante, Pierre Bellemare présentait une émission radiophonique qui enthousiasmait la France et la Belgique. : « Le rêve de votre vie ». Le principe en était simple : chaque semaine les organisateurs invitaient une catégorie d’auditeurs à écrire à l’ORTF, afin d’exprimer leur plus cher désir. Trois lettres tirées au sort étaient lues au micro, le public votait par téléphone, et le désir primé était réalisé.
Mes parents adoraient cette émission. Nous l’écoutions donc religieusement, tous les vendredi soir. Or, un jour, qu’annonce Pierre Bellemare ?
— La semaine prochaine, nous comblerons les vœux des... (court silence, pour ménager le suspense) petites Françaises née en 1945 et vivant à l’étranger.
Je reste stupéfaite, tandis que mes parents s’exclament, en me regardant :
— Mais... c’est toi, ça !
— Que vas-tu demander ? s’enquiert mon père.
Et moi, sans hésiter :
— Un cheval.
Tandis que je monte dare-dare dans ma chambre, mes parents, perplexes, se consultent des yeux.
Je m’efforce de rédiger une lettre convaincante quand maman se pointe.
— Nous avons réfléchi, avec papa : il faut que tu demandes une caravane. Nous en rêvons depuis toujours, mais n’avons jamais eu les moyens d’en acheter une. Ce serait formidable pour partir en vacances, non ?
— Et mon cheval, alors ? protestai-je.
— Ne sois pas ridicule : les chevaux, c’est pour les gens riches qui ont de grandes propriétés. Où veux-tu que nous le mettions ? Dans le placard à balais ?
Que répondre à ça ?
Sous sa dictée, j’écris donc une seconde lettre où je reprends à mon compte le « rêve » de mes parents. Puis maman la relit, la met dans une enveloppe qu’elle timbre, et la pose sur le guéridon de l’entrée, en disant :
— Je la posterai demain en allant faire les courses.
Cependant, cette nuit-là, impossible de m’endormir. Je suis trop déçue. Je n’en ai rien à cirer, moi, de leur caravane ! Tandis qu’avoir un cheval... Je me vois déjà, galopant les cheveux au vent, îvre de liberté !
Bref, après des heures à me tourner et à me retourner dans mon lit, je finis par céder à cette tentation folle : descendre sur la pointe des pieds, ouvrir l’enveloppe, remplacer la lettre de maman par la mienne, et... ni vu, ni connu, j’t’embrouille !
L’histoire s’arrête là. Car si le courrier est bien parti, il n’a pas été tiré au sort. Mes parents ont toujours ignoré ma forfaiture. Mais, une fois adulte, je n’ai pu m’empêcher de continuer l’histoire, d’imaginer ce qui serait arrivé si ma lettre avait été sélectionnée. Ma panique quand, devant toute la France — et mes parents ! — le présentateur m’aurit remis mon cheval au lieu de la caravane prévue. La tête de papa ! La fureur de maman ! Leur monstrueux embarras ! Brrr, rien que d’y penser... Ça a donné un faux « récit véridique » auquel tous mes lecteurs ont cru. Quand je vous disais que j’étais menteuse !
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Commentaires
1OrchéonMardi 3 Avril 2012 à 12:41Répondre
Si tu avais eu un cheval, je crois que tes parents l'auraient revendu pour acheter une caravane !
Je ne me souvenais plus que c'était sur Paris Inter, toutefois à l'époque l'Ortf n'existait pas, c'était la Rtf.
En dehors de ça il me souvenait que c'était plutôt sur un poste périphérique, soit Radio Luxembourg, soit sur Europe 1.
A l'époque nous n'avions pas la télé et donc la radio, très vivante et riche animais énormément nos soirées.
Bonne continuation4guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:48
Vous n'imaginez pas le nombre de fois où j'ai "rebâti" cette histoire dans ma tête !5guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:486guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:48
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