-
LE BEL ÉTÉ 46
LE CLAN DES VEUVES
Je ne m’aperçus pas tout de suite que le Clan des Veuves me battait froid. Elles étaient quatre — cinq avec Yolande qui les rejoignait sporadiquement. La plus âgée, qu’on surnommait Choupette, frôlait les quatre-vingt-dix ans et, sous des dehors joviaux, aimait à fredonner « Le grand air de la calomnie ». Marie-Angélique, nettement plus jeune mais aussi vipérine, reprenait le refrain en chœur, suivie de Mme Fournier, énorme et impotente, et de la vieille Martouque, toujours escortée de sa kyrielle de chats. Elles se promenaient en se tenant le bras ou s’alignaient sur le banc de la place de l’église, d’où elles suivaient en ricanant les allées et venues du village. Pour des raisons qui me semblent évidentes, elles voyaient en moi une future recrue et s’en réjouissaient. Mais, l’arrivée de Castor avait brisé cet espoir dans l’œuf. Je n’oublierai jamais le jour où elles nous croisèrent, devant la boulangerie. Nous nous donnions innocemment la main en discutant, comme de coutume, sur le mode complice. Sans m’interrompre, je les avais saluées d’un simple signe de tête — ce qui leur avait déplu. Depuis, elles détournaient le regard à notre approche, d’autant qu’au fil des jours, notre attitude, de plus en plus flagrante, ne laissait aucun doute sur la nature de notre relation. Ayant assimilé à une trahison cette entaille dans le lien conjugal posthume, le clan sanctionna mes mœurs en me collant sur le front l’étiquette « dépravée ». Et je devins l’incarnation du mal.
Loin de me déranger, cette hostilité subite me flatta. Cette fois, j’avais bel et bien gagné mon pari. Le cancer était passé au second plan, loin derrière le scandale des amours illicites. Et qu’on m’en tint rigueur évitait qu’on me plaigne — ce qui, finalement, était le but du jeu. « Mieux vaut faire envie que pitié » aurait dit ma sainte mère, et pour une fois, je l’approuvais sans réticence.
-
Commentaires
Dans le genre iconoclaste...
Mais franchement, ta description du clan des veuves est magnifique, on s'y croirait. Elles me font un peu penser à la chanson de Brel "Les bigotes".
est la vie. Et que le plus beau signe de fidélité est d'être avant tout heureux. C'est ce que Sylvain attend de toi alors ça tombe bien
Coucou GH.
@GH : même moi, j'ai fait cette confusion, c'est dire !
@ Ryko : bigoterie ou jalousie, va savoir... C'est qu'il en fait des envieuses, mon Castor !26Pata lVendredi 29 Août 2014 à 13:29
Ajouter un commentaire
♪ ♫ Ne jetez pas la pierre à la veuve adultère (avec un ange recommandé par Sylvain, qui plus est) ♪ ♫ (que Castor se démerde avec la partition de Brassens !) Zut, faut que j'arrête, je crois que je vais tomber en panne de parenthèses.