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grands moments de solitude 160 (tome 2)
Autodafé
La femme de mon frère aîné, qui n’avait même jamais ouvert un livre, détestait d’emblée tout ce que j’écrivais. Malgré cela, lorsque parut Et Rose elle a vécu, je lui en envoyai un exemplaire, qu’elle fit disparaître aussitôt afin qu’il ne « contamine » pas sa descendance (elle craignait mon influence, au point d’interdire à ses trois enfants de fréquenter les miens.)
Personne ne le lut donc, durant plusieurs années — sauf elle, en diagonale, histoire de mesurer l’ampleur du péril. Ce survol me valut d’ailleurs une diatribe qui me laissa sans voix, et d’où il ressortait que mes cochoncetés salissaient notre nom (!) La honte qui retombait sur toute la famille l’affectait donc personnellement et légitimait sa colère.
Puis, les années passant, les six cousins se rapprochèrent les uns des autres, de sorte qu’à l’adolescence, ils se fréquentaient assidûment. D’autant qu’ils présentaient des aptitudes communes : Karine dessinait, tout comme Mélanie, Olivier et Marie-Dominique ne juraient que par le théâtre, et Frank partageait avec Fred l’amour des vieilles voitures.
Or, un jour, Frank, âgé d’une quinzaine d’années, avisa, dans ma bibliothèque, la tranche d’un livre.
— Oh ! s’exclama-t-il, le bouquin défendu ! Je l’avais oublié, çui-là !
Et de m’expliquer qu’ayant relégué l’ouvrage dans un placard, sa mère le gardait soigneusement sous clé.
— Et tu acceptes ça ? m’étonnai-je. C’est de la dictature !
Il haussa les épaules :
— Bof, tu la connais, hein ! Si je passais outre, je l’aurais sur le dos jusqu’à la saint-Glinglin. Ma curiosité ne va pas jusque là.
Bien que sa réflexion ne fût pas très flatteuse, je pris le bouquin et le lui tendis.
— Tu le veux ?
Il remercia, le fourra dans sa poche et s’en fut.
Trois jours plus tard, il me téléphonait.
— J’ai terminé Et Rose elle a vécu, et, franchement, c’est pas terrible. Quelque part, je comprends la réaction de maman. Tous ces mots d’argot, ces termes orduriers… À croire que tu l’as fait exprès pour la choquer !
Je poussai un soupir de lassitude. Mal barré, le petit neveu. Les chiens n’engendrent pas des chats, comme on dit.
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Commentaires
1YunetteDimanche 15 Novembre 2015 à 11:16Un livre écrit exprès pour choquer la belle soeur, quel honneur !RépondreGudule n'a sali aucun nom, puisqu'elle écrivait sous pseudo. Elle l'a toujours détesté, son nom à rallonge, et ne l'a jamais utilisé.
Son vrai nom : Anne Bocquillon Liger-Belair, et elle était vicomtesse.
3PataLundi 16 Novembre 2015 à 12:57Hum, comme quoi on n'échappe vraiment pas à l’influence parentale, sauf en coupant les ponts voire son nom !
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