-
grands moments de solitude 166 (tome 2)
L'amant
Ça a été le rêve de toute mon enfance, ça : que ma mère ait un amant. Primo, parce que ce « faux pas », comme on disait alors, m’eût libérée du joug de sa perfection — qu’elle ne cessait d’opposer à mes propres défauts, jugés par elle insupportables.
— Moi, à ton âge, j’étais première de classe, me répétait-elle à tout bout de champ. Je ne répondais pas à mes parents, je savais préparer un œuf sur le plat sans casser le jaune ; je tricotais des pull-over à mes petits frères au lieu de m’amuser bêtement, je ne lisais pas de livres destinés aux adultes, je ne regardais pas les garçons, je n’essayais pas de ressembler aux vedettes de cinéma, je n’étais ni gourmande, ni curieuse, ni menteuse, ni coquette, ni paresseuse, ni tête en l’air, je ne gigotais pas sur mon prie-dieu pendant la messe, et je n’avais pas, comme toi, le vice dans la peau…
Deuzio, parce que cette faiblesse l’aurait rendue humaine. À travers ses élans charnels, je me serais enfin reconnue en elle. Nous eussions même pu vibrer à l’unisson — voire devenir complices — , pour peu qu’elle me confiât son merveilleux secret.
Et, enfin, troizio, parce qu’en fissurant le bloc parental — ce monolithe obscur qui m’étouffait —, la chose m’eût apporté une bouffée d’oxygène.
Ah !, comme je l’espérais, cet amant libérateur ! Hélas, j’eus beau prier Jésus, la Vierge Marie et tous les saints du paradis, jamais il ne se manifesta. Et maman demeura irréprochable, drapée dans sa moralité comme une reine dans un manteau bordé d’hermine.
Résultat des courses : je perdis la foi.
-
Commentaires