•                                                          Naissance

     

        Fin décembre 1994. Après de nombreuses tractations avec les éditions Hachette, ma série Zoé-la-trouille  — projet qui me tient particulièrement à cœur — vient d’être acceptée. Seize épisodes fantastico-humoristiques destinés aux CP-CM2, à raison de six parutions par an. Je suis sur le velours pour les deux ans à venir...

        Comme Sylvain tourne un film dans les pays de l’Est, et ne sera pas là pour le réveillon, l’envie me prend de faire « naître » mon héroïne la nuit de la Saint-Sylvestre, au dernier coup de minuit. Je m’empresse de prévenir mon entourage : cette année, pas d’invitation, je reste en tête-à-tête avec ma créature. Me connaissant, personne n’insiste. Je me prépare donc un petit repas de fête que je savoure devant mon ordinateur, dans les affres délicieuses du futur accouchement.

        Minuit. Je suis sur les starting-blocks. Un coup... Deux coups... Trois coups... Mon cœur bat à tout rompre. Quatre coups... Cinq coups... Six coups... Devant moi, la page blanche (enfin, l’écran blanc) ; pas de vertige, bien sûr, mais une folle impatience. Mes doigts fourmillent, attirés par le clavier comme par un aimant ; ma tête est pleine de mots qui ne demandent qu’à sortir... Sept coups... Huit coups... Neuf coups... L’instant ultime approche. Je bloque ma respiration, prends mon élan...

        Dix coups... Onze coups...

        Un bruit de clé dans la serrure m’arrache à mon attente hallucinée.

        — Sylvain ?

        C’est bien lui, souriant et crevé. Qui s’est tapé douze heures de train pour me faire la surprise.

        Je lui tombe dans les bras, on se partage les restes de toasts au saumon, on finit le champagne à peine entamé. Il me raconte par le menu son épopée, je lui narre en riant mon rituel avorté. Puis on va se coucher.

        Zoé naîtra demain, quand Sylvain sera reparti. Pour l’heure, j’ai mieux à faire.

     


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  •                                La vie parisienne

     

       Ma voisine rentre d’un week-end à Paris, chez sa mère, sexagénaire obèse.

    — Alors, c’était comment ?

        — Fatigant.

        Elle arbore, en effet, une mine de papier mâché.

        — Tu as trop fait la fête ?

        — Du tout. Je n’ai juste pas fermé l’œil.

        — À cause de la circulation ?

        — Non, d’une éléphante en rut.

        Ai-je mal compris ? Je lui fais répéter. Devant mon air stupéfait, elle explique :

        — Ma mère habite à côté du Jardin des Plantes, et l’éléphante du zoo a barri toute la nuit.

        Je pouffe de rire, soulagée. Un instant, j’ai cru à une métaphore...

     


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  •                                                Bien joué, l'EDF !

     

       Lorsque sortit Rencontre du troisième type, Alex, féru de ce genre de film, s’empressa d’aller le voir. Seul. Perso, ça ne me disait rien, et les gamins étaient trop petits.

        Le lendemain soir, à table, il nous raconte l’histoire. C’est un conteur hors-pair qui sait captiver son auditoire. Nous sommes tous trois haletants, suspendus à ses lèvres. Or, parvenu à la séquence — particulièrement impressionnante — où les extraterrestres enlèvent le petit garçon... 

        Pouf ! la lumière s’éteint.

        Ce cri qu’on pousse, les gosses et moi !

     

        La coupure d’électricité n’a duré que quelques secondes. Nous avons retrouvé nos deux fils sous la table, tremblant de tous leurs membres. Je crois qu’ils ont eu la trouille de leur vie.

        Moi aussi.

     


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  •                                             Sans peur et sans reproche (2)

     

        Non seulement Mélanie n’avait pas peur du noir, mais rien n’altérait sa sérénité. Durant ces fameuses vacances dans l’Aveyron, Sylvain aidait le copain à retaper sa maison. En consolidant un mur branlant, il tombe sur un énorme crapaud, endormi au soleil.

        — Tu ne veux pas le déplacer ? demande-t-il à Mélanie, convaincu qu’elle va pousser des cris de dégoût.

        Sans hésiter, elle empoigne l’animal à pleine main en s’extasiant :

        — Qu’il est mignon !

        — Tu devrais l’embrasser pour qu’il se transforme en prince charmant, glousse le copain qui assiste à la scène.

        Mélanie lève les yeux au ciel en soupirant : « N’importe quoi ! » puis, avec un petit bisou d’adieu, dépose le crapaud dans l’herbe où il se rendort aussi sec.

        Elle passera l’après-midi à le dessiner.

     


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  •                                      Sans peur et sans reproche

     

        Quand j’ai, à mon corps défendant, permis à Mélanie de regarder son premier film d’horreur (La nuit des morts-vivants, de Romero), je me suis mentalement traitée de tous les noms.

        « Tu es en train de bousiller ta fille, me disais-je en moi-même. Sept ans, c’est bien trop tôt pour un spectacle pareil ! Si elle devient hystérique, mythomane ou hypocondriaque, ce sera ta faute, mère indigne. »

        Eh bien, je me trompais : elle n’a jamais eu peur du noir ni des croquemitaines, et je ne connais personne de moins angoissé qu’elle. En voici un exemple parmi d’autres :

        Cette année-là — elle devait avoir huit ou neuf ans —, nous passions nos vacances chez un copain, dans l’Aveyron. Il habitait, à flanc de colline, une baraque à moitié restaurée, à côté d’un hameau en ruine. Déjà ça, c’était pas mal flippant. Et que dire des toilettes ? Une petite construction au milieu des bois, à une bonne cinquantaine de mètres de la maison. Imaginez l’expédition, si un besoin pressant se faisait sentir, la nuit...

        Or, c’était justement le cas. Et Sylvain qui dormait à poings fermés !

        « Je ne vais quand même pas le réveiller pour qu’il m’accompagne, me dis-je en moi-même. J’aurais vraiment l’air d’une andouille. »

        N’empêche, je n’en menais pas large...

        Me voyant me lever en douce, Mélanie, qui partageait notre chambre, me demande où je vais.

        ­— Au cabinet, mais ça me fout les jetons, tu peux pas savoir.

        —Tu veux que je t’emmène ?

        Joignant le geste à la parole, elle me prend par la main, m’entraîne tranquillement dans la forêt nocturne et, une fois à destination, m’attend devant la porte en observant la lune avec ravissement. Et lorsque je m’étonne :

        —Tu n’as pas peur ? 

        Elle me répond suavement :

        — Penses-tu ! J’en ai vu d’autres !

       


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