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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 101

Caprice des vieux

   Mon père a passé les dernières années de sa vie à Spa, dans une maison de retraite proche de son domicile. En dépit de mon insistance, il refusait de quitter les Ardennes belges pour venir, selon son expression, « s’enterrer à Paris ».  Bien qu’il reçoive de nombreuses visites, ses enfants, disséminés aux quatre coins du globe, lui manquaient cruellement. Comme j’étais la plus proche, dès qu’il avait un petit coup de mou, il me téléphonait. Or, des coups de mou, il en avait de plus en plus souvent, malgré sa nature optimiste...

         Cette fois-là, la sonnerie me réveille à l’aube. C’est lui, en larmes. Il faut que je vienne tout de suite, ça va très mal, le personnel soignant le persécute, il ne restera pas un jour de plus dans cet horrible endroit.

         — OK, bouge pas, j’arrive.

         Je décommande tous mes rencards professionnels, et, plantant là Sylvain, Mélanie et mon roman en cours, je saute dans le premier train.

         Rejoindre Nivezé, où se trouve sa résidence, est une vraie galère en transports en commun. Le train me dépose à Verviers où je prends le tortillard régional jusqu’à Spa. De là, un car remonte sur les hauteurs, mais le dernier vient de partir. Moment de découragement intense : la nuit tombe, j’ai quitté Paris à neuf heures ce matin, j’en ai plein les bottes et va falloir que je me tape cinq kilomètres à pied, à travers bois.

         Bon. 

         Tout en marchant, je rumine. Dans quel état vais-je trouver mon pauvre papa ? J’élabore des plans pour organiser son départ ainsi que le déménagement de ses meubles. Je l’installerai provisoirement dans notre chambre ; Sylvain et moi, on dormira sur le clic-clac en attendant de lui trouver un studio. Il y en a un qui va peut-être se libérer dans l’immeuble...

         Lorsque j’arrive, tous les pensionnaires sont au réfectoire — agencé comme une salle de restaurant : petites tables, nappes roses, éclairage tamisé, musique douce. Papa, qui termine son dessert en compagnie de deux charmantes vieilles dames,  m’accueille d’un joyeux :  «  Ma chérie ! Ça alors, quelle surprise ! » Et quand, stupéfaite, je lui rappelle son coup de fil du matin, il me répond avec un grand sourire :

         — Je t’ai appelée au secours, moi ? Tu es sûre ? Je ne m’en souviens plus. Je devais avoir envie de te voir, sans doute...

       Désarmant, non ?  

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