. La moutarde me monte au nez
J’ai travaillé durant quelques années pour une entreprise de presse dite "de charme", dirigée par un jeune arménien, Toufik Yacoubian, avec qui j'avais des rapports assez tendus. Un jour, à ma grande surprise, Toufik m'invite au resto japonais. Or, à cette époque, je ne connaissais pas la cuisine japonaise, qui n'était pas encore passée dans les mœurs. Forte de mon ignorance, je le laisse donc choisir le menu — un assortiment de sushis et makis. Galamment, il m'en détaille la composition, en omettant toutefois de préciser que la petite boule verte est du wasabi, une moutarde au raifort extrêmement forte. Nous commençons à discuter. En fait, il veut savoir quelle démarche adopter pour faire éditer un livre, l'un de ses amis ayant cette ambition mais n'y arrivant pas.
— Si je m’adresse à toi, c’est parce que tu es une pro, explique-t-il, perdant provisoirement sa morgue coutumière.
Flattée, je pérore, j'en rajoute une tonne, et tout en parlant, je ne fais qu'une bouchée... de la boule de wasabi, que je prends naïvement pour de la purée de légume. Je vous laisse à juger du fou-rire de Toufik quand, en pleine fanfaronnade, je me mets soudain à devenir rouge, cramoisie, violette, pour m'étouffer dans une toux inextinguible, l'œil exorbité et les sinus en feu.
Six mois plus tard, il me virait — sans qu’il y ait aucun lien entre les deux événements.