La nuit dernière, un souvenir est venu me hanter. Si je ne le raconte pas, je sens bien qu’il va me pourrir la vie.
Il y a une douzaine d’années (les dates et moi, on est fâchées), j’avais publié chez Grasset un roman intitulé « J’irai dormir au fond du puits ». Le secteur jeunesse venait d’être créé, et c’était mon premier livre dans cette prestigieuse maison d’édition. Or, voilà t’y pas que, quelques temps plus tard, Marielle Gens, la directrice, m’annonce : « Ton livre a obtenu le prix de la Société des Gens de Lettres ». Ç’aurait été le Goncourt, l’Interralié ou le Fémina, j’aurais pas été plus contente. Je ne me sentais plus pisser, dis donc ! Arrive le jour de la cérémonie, qui se déroulait dans le magnifiques hôtel de Massa. Petits fours, ronds de jambes, etc. Tout le gratin littéraire était là. J’avais mis un pantalon propre et des baskets neuves, et bu une coupe de champagne, histoire d’avoir la pêche. Vient le moment de la remise du prix et des discours. DU discours, en fait, car je compris vite que mon livre, aucun des membre du jury (une dizaine d’écrivains style académiciens, entre soixante et quatre-vingts-dix ans) ne l’avait lu. Pas même le monsieur qui s’y est collé, et qui, pendant dix bonnes minutes, a fait des jeux de mots laborieux sur mon nom. De mon roman, censé avoir été élu pour ses qualités littéraires, personne n’a pipé mot. En revanche, le staff Grasset a été encensé pour avoir, une fois de plus, fait briller haut et fort le phare éblouissant de la culture française.
Je suis repartie, frustrée à mort, avec mon p'tit diplôme sous le bras. Et quand on m’a demandé si j’était heureuse, j’ai dit oui. Dès le lendemain, un joli bandeau rouge ornait la couverture du bouquin. Plein de gens l’ont acheté car il avait l’aval de SGDL. Et quand les droits d’auteur sont tombés, j’ai dit merci. J’allais pas, en plus, cracher dans la soupe !