• ROSE 83

     

     

                                     UNE FORME TITUBANTE DANS L’OMBRE

            

             Vingt-deux heures et des poussières. Rose est occupée à changer Olivier, après la dernière tétée, quand un cri résonne dans la rue :

    Rose !

    La voix qui l'émet est si discordante, si éraillée que, de prime abord, elle ne la reconnaît pas. Surprise, elle couche son fils et se penche à la fenêtre. Dans l'ombre se dessine une forme titubante dont le visage levé grimace sous la lune.

    — Mona, c'est… c'est toi ?  

             La réponse lui parvient, sifflante :

    Oui, c'est moi, kalba*!

    M'enfin, proteste Rose, soufflée.

    — Je t'ai attendue toute la journée. Pas un mot, pas un coup de fil. Tu es un monstre, tu entends ? UN MONSTRE.

             Il y a tant de souffrance dans cette accusation que le premier réflexe de Rose est la pitié.

             « Il faut que je descende la réconforter », se dit-elle.

             Mais quelque chose la retient : Mona n'est pas dans son état normal.

    Justement, je voulais… se contente-t-elle de répondre.

    Un ricanement lui coupe la parole.

    — Tu n'as rien à vouloir, petite idiote ! C'est moi qui veux. Et tu sais ce que je veux ? Je veux ta peau, ah ah ah ah.

    « Elle est saoule, réalise Rose. Saoule et… dangereuse. »

             Et, ni une ni deux, elle referme la fenêtre.

             Ce geste malencontreux (?) met un comble à la fureur de la quadragénaire. Ses éructations redoublent, passant sans transition du mode rauque au suraigu. Reproches et insultes fusent, dans un français mêlé d'arabe, entrecoupés de rires avinés, de pleurs, de gémissements.

             Rose, terrifiée, tire les rideaux et court se réfugier au fond de la pièce, entre le berceau d'Olivier et le lit de Grégoire (qui, par chance, a le sommeil lourd).

             « Elle est folle, folle à lier, se répète-t-elle. Quand je pense que je l'ai fait entrer dans ma maison et… et… que  je lui ai confié mes enfants ! Je… (Montée d'adrénaline :) Mon Dieu, la clé ! Elle a la clé ! »

              Avec un hoquet d'épouvante, elle dévale jusqu'au rez-de-chaussée, vérifie la bonne fermeture des volets, glisse sa propre clé dans la serrure, et, tant qu'à faire, pousse le canapé devant la porte.

             Dans la rue, le tintouin continue de plus belle, assorti à présent de coups sourds.

              — Salope ! Salope ! Je t'aurai ! glapit Mona, en heurtant des deux poings la petite porte du jardin. Je vous aurai, tous, tes enfants aussi !

    Julie aboie à s'en briser les cordes vocales. À proximité, une voix d'homme hurle :

    Bas, ia akrou charmouta*!

    Airi fik *! » réplique Mona sur le même ton.

     Rose remonte dare-dare, les mains pressées sur les oreilles, et se barricade dans sa chambre.

     

                                                                                                  * Kalba : chienne

    ·      — Ça suffit, espèce de putain !

    ·      — Va te faire foutre !

                                             

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  • Commentaires

    1
    Lundi 24 Mars 2014 à 10:48
    Mêo
    Oh là là, on dirait la super-glu dont j'avais parlé, que j'avais parlé... Pff comment on dit ? On dirait la super-glu de moi quoi.
    2
    Lundi 24 Mars 2014 à 16:12
    Annie GH
    ça chauffe !!!
    3
    Lundi 24 Mars 2014 à 17:11
    Gudule
    yesss !
    4
    Lundi 24 Mars 2014 à 17:24
    Gudule
    @ Mêo : On y a pensé, avec Castor, bien sûr ! Une catastrophe sur pattes...
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    5
    Lundi 24 Mars 2014 à 18:48
    Pata
    Dur, ce genre de situation, surtout parce qu'on se reproche de l'avoir laissé s'installer... Et parce qu'au final, on a aimé cette personne qui s’époumone et qui maintenant, épouvante !
    6
    Mardi 25 Mars 2014 à 00:51
    Ryko
    Gloups. Et je pèse mon mot.
    7
    Mardi 25 Mars 2014 à 00:56
    Ryko
    A propos de mot. Si je l'avais "fait" entrer (Mona), tout le monde me l'aurait reproché, sauf les grammairiens.
    8
    Mardi 25 Mars 2014 à 02:30
    Gudule
    Merci, c'est corrigé.
    9
    Mardi 25 Mars 2014 à 17:24
    Castor tillon
    Traiter une femme de salope parce qu'elle n'a pas voulu coucher me paraît quelque peu paradoxal.
    10
    Mardi 25 Mars 2014 à 17:47
    Gudule
    C'est pourtant une pratique courante. Une femme qui dit "non" se fait souvent traiter de salope par le sexe opposé. Y a de ces aberrations !
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