• ROSE 82

     

     

                                                               DOUTES

     

             Hélas, ça n'empêche pas de penser, bien au contraire. La couverture sous le menton, un loupiot à droite, un loupiot à gauche, Rose barbote dans ses doutes et ses contradictions. Tantôt, la colère l'emporte : « Non mais qu'est-ce qu'elle s'imagine, cette bonne femme ? Qu'il suffit d'un claquement de doigts pour que je lui tombe dans les bras ? » À cette idée, elle frémit de dégoût. « Décidément, les Nana (!), ce n'est pas ma tasse de thé. »

            Le souvenir de Claire et des soupçons pesant sur elles la distrait un instant.

             « Ah, là, là, les bonnes sœurs, comme fines psychologues ! Mona ne vaut guère mieux, note bien : espérer que je trompe Amir avec elle… Encore, bon, elle serait jeune et belle —style les héroïnes des livres de Colette —, ce serait, sinon possible, du moins plausible. Mais ELLE. Punaise, à croire qu'elle ne s'est jamais regardée dans une glace ! »

             À d'autres moments, son bon cœur prend le dessus :

             « La pauvre, elle a besoin d'amour, comme tout le monde. Et vu qu'elle ne supporte pas les hommes, elle prend ce qu'elle trouve, c'est-à-dire moi. Il n'y a aucune raison que ça me vexe. Je devrais plutôt être attendrie, à la limite. »

    — Maman, où l'est, Nana ?

             — Elle est retournée chez elle, mon chéri. Elle avait plein de choses à faire.

    « En plus, dans la culture arabe, les relations lesbiennes n'ont pas la même connotation que chez nous. C'est la réponse logique aux harems, à la polygamie, au machisme ancestral. »

    — Ne gigote pas comme ça, tu vas faire tomber ton frère.  Allez, descends du lit et va jouer avec Julie.

    « Pourquoi j'ai réagi aussi violemment ? Après tout, être désirée n'a rien de dégradant, même par une femme. Est-ce que, par hasard, j'aurais autant de préjugés que mes parents ? » 

    — Arrête, Grégoire, on ne tire pas la queue des chiens ! Tu aimerais, toi, qu'on te tire les oreilles ?

    « Ceci dit, elle aurait pu garder ses sentiments pour elle, cette grosse bêtasse… Et éviter de passer à l'acte, surtout ! C'est ça, en fait, qui m'a foutue en rogne : quelque part, j'ai ressenti son geste comme une sorte de viol. Rien que d'y penser, tiens, j'en ai la nausée .»

             Bref, la journée se passe en tergiversations. Et le soir venu :

             « Quel capharnaüm ! » se dit Rose, devant sa maison qu'une journée sans Mona a suffi à mettre sens dessus-dessous.

    Est-ce ça qui balaie ses dernières réticences ? En tout cas, subitement, sa voisine lui manque. Mais vraiment, hein ! Assez pour qu'elle décide de passer l'éponge.

             « Voilà ce que je vais faire : dès que les enfants seront endormis, je l'appellerai et je lui dirai : « Hier, j'ai été choquée par ton attitude, mais à la réflexion, j'avais tort : si tu as envie de m'aimer, ça te regarde. Moi, je n'ai rien contre, à une condition : qu'il n'en soit plus jamais question entre nous.» C'est vrai, quoi : du moment qu'elle n'attend rien en retour — rien de physique, je veux dire — je ne vois pas pourquoi je me formaliserais. »


             Apaisée par cette sage décision, Rose attend patiemment la nuit.

     

            

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 23 Mars 2014 à 09:06
    Ryko
    Rose se rend compte que la vie, l'amour, la solitude... le ménage sont moins simples qu'il n'y parait. Me trompe-je ? :)
    2
    Dimanche 23 Mars 2014 à 10:45
    Annie GH
    "la vie, l'amour, la solitude... le ménage", pour reprendre le comm de Ryko… Tout se mélange dans cette "sage décision" de Rose, cette jeune mère qui n'a pas complètement quitté l'adolescence mais qui va être rattrapée par l'urgence…
    3
    Dimanche 23 Mars 2014 à 12:05
    Gudule
    On dirait un titre de film : "la vie, l'amour, la solitude, le ménage". Ne manque que : "Et dieu dans tout ça ? "
    4
    Dimanche 23 Mars 2014 à 13:16
    Ryko
    Gaffe, quand Dieu fait le ménage, faut éponger.
    5
    Dimanche 23 Mars 2014 à 13:19
    Ryko
    Ne m'en veuille pas si je lui colle une majuscule, je parle de celui qui est dans les livres, comme Superman ou Titeuf.
    6
    Dimanche 23 Mars 2014 à 13:51
    Mêo
    Chat échaudé craignant l'eau froide, je me suis retrouvée avec une super-glu avec des réflexions comme celles-ci...
    7
    Dimanche 23 Mars 2014 à 16:07
    Tororo
    Ce que je trouve très fort dans cet épisode, c'est la façon dont en quelques phrases il nous immerge jusqu'au cou dans le capharnaüm d'une journée passée à faire le ménage avec deux mômes et deux bestiaux dans les pattes, et à la fin on est fatigués comme Rose.
    8
    Dimanche 23 Mars 2014 à 18:56
    Gudule
    Bah, suffit que je regarde vivre ma fille pour trouver les mots. D'autant que, elle, c'est pas deux bestiaux qu'elle a dans les pattes, mais quatre. Et pour ce qui est de pisser partout, ils en valent dix !
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    9
    Dimanche 23 Mars 2014 à 19:36
    Castor tillon
    A cette époque, on était poli : on disait : "cette grosse bêtasse…". Aujourd'hui, à moins d'être enrhumé, c'est plutôt "cette grosse pétasse…".
    10
    Dimanche 23 Mars 2014 à 21:52
    Gudule
    "... car le monde et les temps changent..." comme chantait Hugues Aufray
    11
    Lundi 24 Mars 2014 à 05:35
    Pata
    Après avoir fait son coming out, Mona va bientôt fait son come back !!!
    12
    Lundi 24 Mars 2014 à 18:49
    Pata
    "Faire", c'est mieux...

    Note pour plus tard, ne pas laisser de comms le matin, avant d'aller bosser !
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