• ROSE 7

     

     

                              GAVROCHE DÉGUISÉ EN REINE DE SABA

     

     

    — Regarde, j'ai encore grossi.

    Plantée devant la glace, Rose s’obstine à fermer la braguette de son jean.

    ­ —Eeeh, ne force pas comme ça, la rabroue Amir. Tu vas étouffer le bébé.

    Elle rit.

    — Tout de même pas. Normalement, ce pantalon est trois fois trop large.  

    Mets autre chose, je ne sais pas, moi. Tu as bien une robe ?

    — Elles me boudinent toutes. Il me faudrait des vêtements adaptés.

    Tu veux qu’on aille en acheter à Beyrouth ?

    Rose grimace.

    Par cette chaleur ?

    En fait, le shopping, elle a horreur de ça. Le souk et ses joyeux grouillements, ses palabres, ses odeurs, OK, pas de problème (pour autant que la température soit supportable, évidemment, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui). Mais les boutiques de fringues… Avec ces vendeuses qui vous embobinent, tentent de vous fourguer des marques hors de prix — et, généralement, y réussissent, si bien qu'après trois quarts d'heure d'essayage, on finit, de guerre lasse, par acheter un truc affreux, qui vaut la peau des fesses et qu'on ne porte jamais —, non merci !

    — Qu'est-ce que tu vas faire, alors ? Tu ne peux quand même pas te balader à poil.

    — Si j'avais du tissu, je me la fabriquerais moi-même, ma robe de grossesse.

    C'est au tour d'Amir de rire.

    Je vois ça d'ici. Ce serait du joli.

    Ben quoi, je sais coudre. Ma mère m'a appris.

    Avec un froncement de nez ironique, Amir suggère :

    Dans ce cas, adresse-toi à Hassan.

    Le tisserand ? Tu veux que je taille ma robe dans un tapis ?

    — Il tisse des toiles plus fines, aussi. Ou alors, demande à Omane. Elle a des coffres remplis de soieries de toutes les couleurs.

    Ah, oui, Omane, c'est une bonne idée.

    Sitôt dit, sitôt fait : Rose enfile à la va-vite une chemise d'Amir sur son pantalon dont elle garde la fermeture-Éclair ouverte, et court frapper à la porte voisine.

    Elle en ressort une heure plus tard, nantie d'une somptueuse tenue — celle de La Tosca*, pourpre rehaussée d'or —, assez large pour y enfouir trois ventres comme le sien. Sa belle-sœur, qui n’entre plus dedans, la lui prête jusqu'à l'accouchement, ce qui, tout compte fait, est nettement plus pratique que de manier l'aiguille.

    — Tu as une de ces allures, ma pauvre, s'esclaffe Amir. Gavroche déguisé en reine de Saba.

    Flattée par la comparaison — qui, pourtant ne l'est pas, flatteuse, mais Rose a des critères très personnels en matière d'élégance —, elle se rengorge.

    Je te plais ?

    Un long baiser lui prouve que oui.

     

        * Omane ne porte, comme vêtements de ville,  que ses anciennes parures de scène

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  • Commentaires

    1
    Mardi 7 Janvier 2014 à 07:14
    Tororo
    Je dirais bien à Rose que j'adhère tout à fait à sa conception de l'élégance, mais du coup ça rendrait ses critères plus si très personnels que ça... ça ne risque pas de la vexer?
    2
    Mardi 7 Janvier 2014 à 08:23
    Gudule
    Boah ! Des critères partagés, ça devient un mouvement, voire une mode. Et du coup, ça flatte l'égo. M'étonnerait qu'elle s'en offusque !
    3
    Mardi 7 Janvier 2014 à 14:27
    Flore
    Bonjour tout le monde ! Me revoilà après les fêtes de fin d'année (nid à microbes, groumpf). J'ai tout lu mais pas pu commenter comme j'aurais voulu...

    Je me demande d'un coup ce que ça peut bien être une reine de Sabbat ?
    - Une reine qui ne sort que le samedi ?
    - La reine des sorcières qui mène le Sabbat ?

    Enfin, ceci dit j'imagine bien Rose avec le costume pourpre et or avec des brodures (mot inventé par mon copain qui soutient mordicus qu'il existe) et une casquette de Gavroche.

    Merci Gudule de partager ces histoires avec nous :)
    4
    Mardi 7 Janvier 2014 à 15:39
    Ryko
    Mais non, Flore, c'est une allusion à "sabbat mater".
    5
    Mardi 7 Janvier 2014 à 15:48
    Ryko
    BRODURE. C'est du moyen français (sic) d'après le CNTRL (Centre National de Ressources Textuelles Lexicales).

    Exemples :
    Dont les façons sont si estranges Et les brodeüres et les franches Qu'il n'est homs qui les devisast Toutes (CHR. PIZ., M.F., I, 1400-1403, 130)

    ...quatre nappes d'autel appartenant à la dite chappelle garnyes de perles et de brodures. (Comptes Lille L., t.1, 1448-1449, 396)

    Ah !
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    6
    Mardi 7 Janvier 2014 à 15:58
    Castor tillon
    Brodures, ça existe, mais le mot n'est plus employé depuis le siècle dernier. Il est né quand ton copain, Flore ?
    7
    Mardi 7 Janvier 2014 à 16:01
    Flore
    Ben au siècle dernier, banane !!!
    Comme moi...

    PS : on est au XXIème siècle :D

    M'en fous, je lui dirai pas que ça existe, rien que pour continuer à me payer sa poire !!!
    8
    Mardi 7 Janvier 2014 à 20:24
    Gudule
    Oups, tu as raison, Flore. Fallait écrire : reine de SABA !On aurait pu écrire aussi reine de Chabat, mais il est très discret sur sa vie privée, cet homme-là !
    9
    Mercredi 8 Janvier 2014 à 00:26
    Flore
    N'empêche que "Reine de Sabbat", ça pousse plus à la réflexion...
    Ceci dit, je ne l'ai pas vu à la première lecture, mais un truc me chiffonnait quand même. C'est après que j'ai tilté, mais j'ai quand même cherché pour vérifier s'il n'y avait pas plusieurs orthographes possibles :)
    10
    Mercredi 8 Janvier 2014 à 08:21
    Gudule
    En tout cas heureusement que tu me l'as fait remarquer.Merci !
    11
    Pata l
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:29
    Pata															l
    Tiens ? Encore une histoire d'aiguille, à coudre cette fois ci !!

    Oui, on peut bien dire de Gudule que ces récits piquent, du moins notre curiosité !!
    12
    Pata l
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:29
    Pata															l
    SES récits, groumph !

    Je ne sais plus écrire moi :))
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