• ROSE 61

     

     

                                            L’ORANGERAIE

     

    La rentrée se déroule, ma foi, plutôt bien. En laissant son petit entre des mains mercenaires, Rose verse une larme. Grégoire, non. Il a avisé, dans un coin de la cour, un cheval de bois monté sur ressorts, et n'a de cesse de grimper dessus.

    — Profitez-en pour vous sauver, conseille l'institutrice à la mère éplorée. Ça évitera une séparation trop brutale.

    Rose, que l'expérience de la crèche a échaudée, juge le conseil avisé. Mais durant toute la matinée, elle a le cœur en berne. Curieusement, les animaux semblent aussi déphasés qu'elle, et même Olivier. La maison est si calme, sans son habitant le plus remuant ; le jardin si triste ! Avec une mélancolie de chien flairant les traces du maître absent, Rose ramasse un jouet, le repose un peu plus loin, replie un vêtement, range une paire de chaussures…

    Vivement quatre heures, se dit-elle.

    Et, jusqu'au moment d'aller le rechercher, elle tourne en rond. 

     

     

                                                *

     

    Le lendemain, ça va déjà mieux, et dans les jours qui suivent, cette amélioration s'accentue encore. Si bien qu'au bout d'une semaine, le rituel du départ et du retour quotidiens ne suscitent plus que de la bonne humeur.

    8h10 : Rose installe Olivier dans sa poussette, siffle Julie, accroche le cartable de Grégoire à son dos.

    8h15 : ils remontent tous quatre les ruelles ombreuses, Rose poussant le bébé, Grégoire courant devant, Julie sondant le pavé d'une truffe appliquée.

    8h20 : ils parviennent en vue d'un verger d'oranges vertes qu'ils traversent — c'est un raccourci. En chemin, Grégoire ramasse un fruit qu'il mangera à la récréation.

    8h22 : toujours dans le verger, ils croisent la Bohémienne : une vieille druze tatouée au henné qui se nourrit d'oranges et dit la bonne aventure. Rose lui donne dix piastres, refuse de la laisser lire dans les lignes de sa main. La vieille émet quelques litanies plaintives censées bénir la mère, les enfants et le chien, puis leur fait « au revoir » en agitant ses fichus colorés.

    8h25 : le portail de l'école est en vue. Rose embrasse son fiston : « Tu vas tout seul en classe, comme un grand ? » Il détale. Elle le suit des yeux jusqu'à ce qu'il ait franchi la grille, avant de s'en retourner par un autre chemin.

     

     

     

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 2 Mars 2014 à 18:20
    Mêo
    ah là là, ce "tourner en rond" quand le gosse est à l'école...
    Ça m'a duré longtemps. Même après m'être habituée, ça me reprenait à chaque rentrée, ce blues de la rentrée des classes !
    2
    Dimanche 2 Mars 2014 à 18:22
    Annie GH
    Ce récit, si elles avaient le talent de Gudule, combien de mères auraient pu l'écrire avec quelques adaptations de contexte ? Hein combien ?
    3
    Dimanche 2 Mars 2014 à 18:23
    Annie GH
    Pas la peine de commencer à compter sur vos doigts, prenez la population active, sachant que la famille moyenne, c'est 4,5 personnes (le O,5, Ryko va s'en régaler), et que là-dedans il y a une mère (au moins, car les familles recomposées, ça complique…), ça fait, ça fait Ah j'ai oublié les grands-parents, les célibataires, bref on obtient le nombre incroyable de ------ mères. Vous avez deux heures…
    4
    Dimanche 2 Mars 2014 à 18:25
    Annie GH
    Bon mon premier commentaire a sauté. Je vous disais que si elles avaient le talent de Gudule, combien de mères auraient pu écrire cela ? Hein ? Avec quelques adaptations de contexte bien sûr ! Alors, combien ? Là il faut reprendre mon commentaire précédent qui était le second et qui est devenu le premier; vous suivez ?
    5
    Dimanche 2 Mars 2014 à 18:27
    Annie GH
    Et bien finalement, il était passé… les finasseries d'internet, je m'y perds…
    6
    Dimanche 2 Mars 2014 à 18:28
    Gudule
    Tes deux commentaires sont passés, Annie. Et que ce soit Mêo, toi ou Rose, je pense que nous sommes toutes parfaitement d'accord !
    7
    Dimanche 2 Mars 2014 à 18:28
    Annie GH
    on s'identifie forcément à ce qui est universel…
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    8
    Dimanche 2 Mars 2014 à 21:12
    Castor tillon
    Hoû les vilaines qui ont abandonné leur enfant dans le grand inconnu scolaire, et sont retournées tranquillement chez elles pour tourner en rond !
    Je rigole, j'ai subi les mêmes affres.
    9
    Dimanche 2 Mars 2014 à 21:21
    Gudule
    Un truc de parents, quoi.
    10
    Lundi 3 Mars 2014 à 00:22
    Ryko
    Pendant que vous tourniez en rond, j'ai appris à compter.
    Si l'on se base sur une population de 60 millions d'habitants, divisées par 4,5 ... ça nous fait 13333333,3333 familles. Donc autant de mères puisqu'une famille c'est : un papa, une maman, un garçon, une fille et un qui compte pour moitié tant qu'on ne connait pas son genre.
    11
    Lundi 3 Mars 2014 à 06:36
    Tororo
    Aaaaah! merci Ryko. Quand c'est toi qui expliques, je comprends tout!
    12
    Lundi 3 Mars 2014 à 15:55
    Pata
    Le chemein des écoliers sent la noisette en France et l’orange au Liban :)
    13
    Mardi 4 Mars 2014 à 01:11
    Annie GH
    Ryko, sans intervalle entre les 0, j'arrive pas à lire les grands nombres ! Je sais, faut que je retourne à l'école, Bouhouhou !!!
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