-
ROSE 52
L’INDÉSIRABLE
—Rose ! Rooose !
Interrompue en plein travail, Rose se penche à la fenêtre.
—Chut, Mona, pas si fort. Olivier dort.
— Oh, pardon ! Tu m'offres un thé ? J'ai apporté des fitir bi agua.*
Rose se mord les lèvres.
—C'est que… je suis déjà en retard pour ma rubrique, et…
— Juste une petite pose. Je ne te dérangerai pas longtemps, je te le promets.
Soupir vaguement irrité.
—Bon, d'accord, je descends. Entre, la porte est ouverte.
Mona est si gentille, n'est-ce pas ? Un peu envahissante, certes, mais toujours prête à rendre service. Rose le disait encore hier, à son mari :
— Qu'est-ce que je ferais sans elle ?
— C'est surtout elle qui a besoin de toi, a-t-il répondu.
Peut-être n'est-ce pas tout à fait faux.
Une heure plus tard, elle est toujours là. Et Rose ronge son frein sans rien oser dire.
*
— Tu viens te coucher, Rose ?
— Je termine et j'arrive. Tu pourras porter mes deux pages à Orient-Magazine, demain, en passant ?
—D'ac'… Comment ça se fait que tu bosses aussi tard ?
— Mona s'est incrustée tout l'après-midi… Elle avait apporté des gâteaux merveilleux, remarque ! Je me suis régalée… Tiens, au fait, elle m'a appris un truc affreux : elle a été excisée*, quand elle était petite. Tu savais que les mutilations sexuelles se pratiquaient en Égypte, toi ? Moi, je croyais que c'était seulement dans certaines tribus d'Afrique…
— Non, elles sont encore en vigueur dans pas mal de franges dures de l'Islam.
— Quelle coutume ignoble ! J'en suis toute retournée… Du coup, les hommes ne l'ont jamais intéressée. Forcément, elle n'éprouve pas de plaisir.
—Elle s'est mariée, pourtant.
— Avec un vieux qui était déjà malade quand elle l'a épousé. Elle lui a servi d'infirmière, en fait. C'est triste, hein, une vie gâchée.
—Bah, elle n'a pas l'air si malheureuse… Il était très riche ?
Moue dubitative de Rose.
— Je n'ai pas demandé de détails, mais riche ou pas, elle lui a sacrifié sa jeunesse et ce genre de chose n'a pas de prix.
—Si : un bel héritage.
—Oh, tu es cynique !
— Réaliste, plutôt. Elle a assuré son avenir, ta Mona, et là, elle est peinarde pour un bout de temps. Ça vaut bien un petit sacrifice, non ?
Rose hoche la tête, pas du tout convaincue.
— Ben moi, j'aurais préféré tirer le diable par la queue jusqu'à la fin de mes jours.
—Évidemment, : toi, tu ne penses qu'à l'amour, sourit Amir.
Et elle, brusquement câline :
—Tu t'en plains ?
*Fitir bi agua : petits gâteaux secs fourrés à la pâte de figue
-
Commentaires
1RykoVendredi 21 Février 2014 à 09:43Répondre
Mais on commence à la "voir venir", cette Mona, hein ?
Sacrifice ou "investissement" ?
Et puis cette manière qu'elle a de squatter après avoir viré tous les bibelots...
Vous êtes trop forts tout les deux, merci pour cette bouffée d'air que vous nous offrez !!
Je suis restée sur l'amour qu'offrait la Rose pour en nimber Gudule et ses lecteurs !
J'aime l'état d'esprit de ton héroïne, une épicurienne qui cultive son insouciance comme une vertu devant rester inaltérée ^^
Ajouter un commentaire