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ROSE 50
LE CONFLIT S’INTENSIFIE
Deux personnes, cependant, semblent imperméables aux affres collectives : Rachad et Omane. Comme À quelque chose malheur est bon (dixit l'inénarrable Suzanne Vermeer) Rose avait espéré, en son for intérieur, que la situation politique les réunirait à nouveau. Se serrer les coudes dans l'adversité, c'est le propre d'une famille, n'est-ce pas ? Quand la vie est en jeu, les autres considérations passent au second plan… Espoir déçu, hélas : dans le hurlement des Mirages comme sous l'azur clément, les parents de la petite Nadège demeurent recroquevillés dans leur douleur, derrière les hauts murs qui les isolent du monde.
*
Le 8 juin au soir, alors que Rose et Amir s'apprêtent à dîner, des coups de klaxon précipités leur parviennent de la rue.
—Qu'est-ce que c'est encore ? bondit Rose, sur le qui-vive.
Elle a les nerfs à fleur de peau. Toute la journée, Migs syriens et Phantoms israéliens ont survolé Zouk en alternance, tels de sinistres oiseaux de proie.
—Ne bouge pas, je vais voir, dit Amir.
Il sort, revient au bout de quelques minutes.
—C'est la police. Ils veulent qu'on occulte toutes les fenêtres.
Exclamation étouffée de Rose :
—Pourquoi ? Ils… ils craignent une attaque du village ?!
— Mais non, voyons : simple mesure de précaution. Nous ne sommes qu'à une vingtaine de kilomètres de Beyrouth.
Déjà, il cherche nappes, torchons, serviettes à punaiser sur les chambranles, afin qu'aucune lumière en transparaisse à l'extérieur.
— C'est provisoire, précise-t-il. Demain, j'irai acheter du papier noir à scotcher sur les vitres.
Une fois l'opération terminée.
—J'étouffe, dit Rose. J'ai l'impression d'être dans un bunker.
—Sitôt qu'on aura éteint, on les retirera, la rassure Amir.
— Alors, éteignons tout de suite : je préfère encore le manque de lumière au manque d'air.
—Si tu veux de l'air, va au jardin !
—Excellente idée. La lune, au moins, on ne l'occultera pas…
Ni une ni deux, elle couche Grégoire dans le hamac — où il s'endort aussi sec —, et amène le berceau d'Olivier sur la terrasse. Jusqu'à des heures indues, ils resteront dehors, à contempler les étoiles dans l'ombre. Car, avec la nuit, la ronde infernale des avions s'est calmée.
Ce n'est qu'une trêve, hélas. Qui sait ce que leur réserve demain ?
—On aimerait que le jour ne se lève jamais, dit Rose.
Mais, déjà, les premières lueurs de l'aube pointent à l'horizon.
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Commentaires
Quant à Rachad et Omane, je pense que toutes les personnes un peu sensibles comprennent parfaitement leurs réactions.7Pata lVendredi 29 Août 2014 à 13:27
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Tiens, voilà que je découvre (ou que j'invente, plutôt) un autre sens à
l'origine du mot couvre-feu...
Ce que tu dis de Rachad et Omane m'émeut. Ils peuvent traverser la
guerre, rien ne sera plus important que leur apocalypse intime.