• ROSE 47

     

     

                                                AFFRONTEMENTS

                             

             Le 5 juin au matin, des clameurs éclatent dans le village. Rose se précipite à la fenêtre :

             — Qu'est-ce qui se passe ?

    Un groupe de villageoises parcourt les rues en poussant des « îhîî » suraigüs.

    Chou aïda ? * leur crie Amir.

    — La guerre a éclaté, répond l'une d'entre elles en tombant à genoux, les bras au ciel. Allah nous protège !

    Allume vite la radio, lance Amir à sa femme.

    La voix du présentateur s'élève, âpre, gutturale. « C'est fou, pense Rose en un éclair, à quel point les sonorités de la langue arabe peuvent varier d'une bouche à l'autre. Chez Feirouz, par exemple, elles sont limpides, cristallines. Et là, c'est du concentré de haine. »

             — Qu'est-ce qu'il dit ? interroge-t-elle.

             — Israël a attaqué l'Egypte. Les deux pays se pilonnent

    mutuellement.

    Rose reçoit la nouvelle comme une gifle.

    — Jaffa est touchée ?

    Amir, l'oreille contre le poste, lui fait signe de se taire. Et tandis que se poursuivent les informations, une photo entraperçue dans le journal assaille l'esprit de Rose. S’anime. Devient une séquence d’épouvante.

     

    Jaffa, ombre et lumière. Sur un seuil, une vieille femme berce un enfant. Plus loin, un chien, allongé sur le flanc, dort au soleil, dans le parfum des orangers.

    A l'horizon passe une silhouette, noire sur le ciel blanc. Celle d'un homme jeune, son Leika à l'épaule. Un homme au nez chaussé de petites lunettes rondes, à la John Lennon…

             Soudain, un bruit de moteur troue l'air léger, et s'amplifie, jusqu'à devenir assourdissant. Le jeune homme lève la tête, saisit son appareil. Une déflagration interrompt son geste. Autour de lui, tout vole en éclats : les arbres, les maisons, la ligne d'horizon. Un geyser de feu déchiquette la vieille, l'enfant et le chien. Tandis que les avions rasent le paysage dévasté, le photographe court, l'échine ployée, à la recherche d'un abri. Trop tard : une nouvelle explosion le fauche en chemin. De lui, ne restent plus, quand la fumée se dissipe, que des membres éparpillés parmi les ruines. Et un Leika, propulsé dans l'espace par le souffle mortel, qui retombe en tournoyant dans un nuage de poussière...

     

    — Les petits ! articule Rose, bondissant vers Grégoire comme si les événements qu'elle vient d'évoquer n'attendaient qu'une seconde d’inattention pour se déclencher.

    Elle le prend dans ses bras, l'embrasse fougueusement.

    — C'est effrayant, commente Amir en éteignant le poste. Je ne voudrais pas être israélien, à l'heure qu'il est. Tous les pays arabes vont leur mettre la pâtée.

    Pauvre gens, gémit Rose.

    Amir approuve d'un hochement de tête.

    — Ah, ça, ils n'ont pas une position très confortable. Mais c'est leur faute, aussi.  Ils n'avaient qu'à se tenir tranquilles.

    Qui va gagner, à ton avis ?

    — Tu le demandes ? Comme c'est parti, Israël sera bientôt rayé de la carte.  Ce qui ne sera pas un mal pour les Palestiniens, remarque : eux aussi ont été éjectés de leur pays.

    — Moi, je suis toujours du côté du plus faible, dit Rose. Jusque maintenant, j'étais plutôt pro-palestinienne, mais si tout le monde s'en prend aux Juifs, alors, je serai pro-juive.

    Et s'ils nous bombardent ?

    Rose a un haut-le-corps.

    Il y a des risques, tu crois ?

    Possible.

    Elle serre Grégoire contre elle.

     — Alors, je ne serai plus pro-personne ! siffle-t-elle farouchement.

     

    * Chou aïda ? : Qu'est-ce que c'est ?

     

                                              

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 16 Février 2014 à 09:35
    Ryko
    Pff, tu m'obliges à réviser l'histoire contemporaine... un dimanche matin... après une nuit trop courte... En plus, j'ai du boulot... Pff, va, je ne te hais point.

    PS. Je ne me souviens pas si tu as indiqué en quelle année se déroule ton récit. Maintenant, je le sais. Mais je n le dirai pas. Na!
    2
    Dimanche 16 Février 2014 à 09:51
    Gudule
    67, 67, 67, 67... Et moi non plus je ne te hais point. La preuve, je t'envoie 67 bises.
    3
    Dimanche 16 Février 2014 à 09:54
    Gudule
    Et l'opinion que j'avais à l'époque n'a rien à voir avec celle d'aujourd'hui, bien sûr. Le génocide palestinien n'en était encore qu'à ses premiers balbutiements ! Comment aurais-je pu deviner la suite ?
    4
    Dimanche 16 Février 2014 à 10:03
    Mêo
    Je lis et j'ai l'impression de regarder un film tant les images que tu fais naître sont fortes.
    5
    Dimanche 16 Février 2014 à 10:31
    Annie GH
    Ce que pensait Amir, beaucoup le pensaient à l'époque… et beaucoup plaignaient ce petit état juif cerné par tous ces ennemis… Oui, depuis, l'histoire est passé par là…
    6
    Dimanche 16 Février 2014 à 10:32
    Annie GH
    Face à l'adversité, ce réflexe de mère-poule rassemblant autour d'elle ses poussins est quasi universel…
    7
    Dimanche 16 Février 2014 à 11:34
    Gudule
    C'est même grâce à lui que l'humanité a survécu...
    8
    Dimanche 16 Février 2014 à 16:57
    Gudule
    Youhou, les filles ! Allez, toutes en chœur : un gros smack à Pierre-Yves !
    ça va, Pierre-Yves ? Tu survis à l'assaut ?
    9
    Dimanche 16 Février 2014 à 22:55
    Castor tillon
    Ouééé ! Grosses bises à P... euh, ah mais non, je suis pas une fille, moi. Quel idiot, ce Castor.
    10
    benoît barvin
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:28
    benoît barvin
    Bien, ça, de retrouver une page contemporaine de l'intérieur... Merci.
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    11
    Pierre-Yves Delarue
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:28
    Pierre-Yves Delarue
    A cette époque, je vivais à la Martinique où je passais le bac. Il Y avait le ciel, le soleil et la mer. Et les filles. Alors qu'est-ce que j'en avais à foutre de ces petites guerres très lointaines ?
    Et puis je suis rentré en métropole, et ce fut Mai 68 qui m'a ouvert les yeux....
    Note : aujourd'hui, précisément, j'ai 65 ans. Ça ne me rajeunit pas, mais j'accepte avec plaisir des grosses bises de toutes les copines du Blog à Gudule !
    12
    Pata l
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:28
    Pata															l
    Ben grosses bises à Pierre Yves alors ! Pour ma part, je vais lui en faire 3.14, rapport à son prénom...

    Ben oui, Pierre-Yves = Py = 3.14; CQFD !!

    (Sinon, merci pour ce témoignage de l'intérieur, de ce combat en Absurdie !
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